Dernière note de Solidaridad Negra : des projets qui ferment et d’autres qui naissent

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Dernière note de Solidaridad Negra, trois ans après la vague de répression en Bolivie.

Nous croyons qu’il est important de fermer des histoires et des procès qui semblent ne jamais se terminer, selon nos propres rythmes et objectifs, mais aussi selon les contextes et moments.

Solidaridad Negra est né en tant qu’espace de diffusion, et en même temps d’interaction solidaire, avec le compagnon Henry, au cours des moments les plus difficiles de la répression dans ces terres. Nous croyions alors, et le croyons toujours, que c’était une contribution nécessaire et que ça a donné d’excellentes réponses et liens solidaires qui ont renforcé le compagnon de façon opportune. Nous avons beaucoup appris de chaque bise et clins d’œil complices. Nous nous sommes fortifiés, notre activité anarchiste s’est nourrie et a continué d’avancer grâce à tous ces compagnons. Nous pensons aussi avoir atteint notre objectif de soutien envers le compagnon Henry, par une solidarité active et combative.

Cependant les temps ont changé, et même si le procès n’est pas terminé, nous ne pensons pas qu’il soit judicieux de maintenir le rythme de contre-information basé sur des audiences suspendues, qui maintenant ne sont même plus demandées. Dans ce sens, nous pensons que même si la justice maintient l’affaire ouverte afin de garder sous le coude les inculpés, il faut poursuivre vers là où nos intentions nous mènent et inciter nos compagnons à continuer de voler dans le ciel, avançant en cherchant chaque jour à nous sentir plus accomplis, libres et heureux, luttant contre les multiples formes d’oppression qui nous volent la vie et contre l’apathie qui nous domestique.

Ce sera probablement la dernière fois que nous publierons quelque chose jusqu’à ce que le procès soit terminé. L’adresse mail sera toujours fonctionnelle afin qu’on puisse communiquer et conspirer avec nous. C’est précisément ce 29 mai, trois ans après la vague de répression sur le territoire contrôlé par l’État de Bolivie. Et tout en voulant déclarer une fois de plus notre solidarité envers notre compagnon Henry, nous voulons envoyer toute notre force, notre amitié et notre complicité au site Irakunditxs, un projet qui existe depuis un moment et maintient une position politique importante en terme de contre-information locale et internationale. C’est un projet auquel nous apporterons notre soutien d’une façon ou d’une autre, car il est temps d’élargir les horizons de la solidarité et de la contre-information. Bonne chance compagnons !

À Henry, notre solidarité ferme, notre main tendue, notre rage partagée. Beaucoup de force à toi, Guerrier ! Ce sont trois ans d’une détermination ferme, qui ne doute pas et nous inspire, qui ont passé.

Nous en profitons pour envoyer, dans un geste de solidarité constant, une grosse bise aux compagnons suivants :
Gabriel Pombo da Silva, Claudio Lavazza, Marco Camenisch, Marcelo, Freddy, Carlos et Juan, Tripa, Chivo, Fallon, Amelie, Abraham, Mario et Braulio, Juan, Nataly, Guillermo et Enrique, Monica, Francisco et les trois de Barcelone, aux compagnons prisonniers des opérations Pandora et Piñata en Espagne, aux compagnons de Culmine, à Alfredo Cospito et Nicola Gai et les prisonniers de l’opération Ardire en Italie, aux prisonniers du No tav, à Tamara, Tato et Javi.
Aux bêtes indomptables de la Conspiration des Cellules de Feu, leur révolte dans les prisons a été une leçon de force, d’irréductibilité et de fermeté. À Nikos Maziotis et Kostas Gournas, membres de Lutte Révolutionnaire. À Ilya Romanov, aux prisonniers en Turquie, à Eat et Billy, à ceux enfermés pour avoir garder le silence. À ceux en cavale, et aux prisonniers dont ils n’ont jamais pu s’emparer du cœur.

Nous voulons remercier pour le soutien des différents sites de contre-information qui continuent, qui ont fermé et qui émergeront régulièrement, pour faire de la contre-information une arme de combat et de solidarité.

Jusqu’à la libération Totale.
Destruction des prisons !

Solidaridad Negra
29 mai 2015

Bolivie : il y a trois ans

pajaritos

Cet anonymat n’est pas un refuge, c’est le détachement le plus total

Aujourd’hui, alors que j’écris ces mots, je lis dans un journal qu’à Llallagua ils ont incendié les bureaux du juge pour enfant, du procureur, des bureaux de la police et la maison d’un violeur qui a reconnu ses faits. Je souris. Je m’en réjouis, ils ne vont pas attendre que la police s’en charge, ils détruisent les institutions de l’État, ils les attaquent. Mais le sourire passe … C’est bien, c’est différent la révolte collective. Moins de risques (d’après certains), mais possible à chaque instant (le sourire revient).

 Un essai d’irrévérence

Je hais les textes qui, par des détails littéraires et de la grande philosophie, décrivent les buts des anarchistes afin de les rendre plus sympathiques aux lecteurs. Lorsque j’écris ce texte ça n’est pas avec l’intention de faire plaisir à qui que ce soit, ou de donner une bonne image, pas même de donner des explications, au contraire je cherche à insister de façon antipathique (à partir des attaques explosives et incendiaires à La Paz, Sucre et Cochabamba entre 2011 et 2012) sur le fait que l’attaque anarchiste ne peut pas rester un cas isolé. Cela dépend de chacun de donner à la révolte un potentiel de joie et de haine qui découlent chaotiquement de nos vies, et sentir dans chaque pas d’insoumission la joie débordante de la liberté.

C’est gênant de reparler de l’existence des groupes d’action et des attaques contre des symboles physiques de la domination sur le territoire contrôlé par l’État bolivien, parce que le procès judiciaire est toujours en cours et parce que le mouvement n’a pas encore réussi à se remettre du contrecoup du système. Mais c’est précisément pour cela que c’est d’autant plus important de continuer la réflexion, la prise de position honnête et ferme sur ce qui s’est passé, et c’est là que je veux en venir.

Le 29 on a manqué de feu …

Le 29 mai, après les arrestations, ce qui a le plus manqué c’est le feu. Les communiqués informant que les détenus n’avaient rien à voir avec les attaques n’ont pas eu, et c’était évident qu’ils n’allaient pas l’avoir, la force nécessaire. La force ne pouvait venir que du feu, de plus d’attaques, et cela a été une erreur fatale déterminante, pas seulement pour les détenus, mais pour l’offensive anarchiste même, parce qu’à partir de là la répression a réussi à réduire tout un mouvement grandissant en une succession de tranchées épouvantées. Que s’est-il passé ? Il y a simplement eu une grande confusion et l’envie de s’éviter la détention, et donc il y a eu peu d’agitation, peu de stratégie et peu de sécurité au moment de se réunir entre personnes d’affinité afin de réagir comme il aurait fallu le faire : en brûlant et attaquant tout ce qu’on pouvait. Je le dis comme ça en toute clarté, afin que ceux qui font fasse à la répression sachent que le jour même où ça se passe il faut attaquer, et le suivant, et celui d’après, pour qu’il soit clair que les détenus ne sont pas les responsables, car nous savons que la police se trompe sans aucune honte. Et afin que la flamme allumée par certains ne s’éteigne pas avec l’arrestation d’autres.

Si cela semble une réflexion très basique c’est parce qu’il y a eu des erreurs de ce genre, et c’est important que ça se sache, qu’on parle des choses qui ne sont pas toujours positives, sans besoin de s’auto-flageller pour s’être trompé et sans intention de nier les erreurs.

Après le 29 on ne comptait plus les théories de complot …

On a cherché des explications diverses, et des théories locales de conspiration ont été construites au sujet du processus de répression du 29 mai 2012. Pour moi la réponse est simple : c’était une conséquence évidente. Il y a plusieurs raisons, entre autres la présence d’une personne qui collabore avec l’État et la police. Mais en soi, la défense étatique face aux attaques, une fois qu’ils ont fini de spéculer et qu’ils se sont rendu compte que ça venait des anarchistes, est quelque chose qui devait arriver tôt ou tard. Et il faut le répéter, parce qu’on doit créer nous même les conditions pour affronter les vagues de répression.

La recherche de différentes théories de conspiration qui expliquent le pourquoi des arrestations révèle, à son tour, que les attaques n’avaient pas de sens pour les libertaires, que la prison n’était pas envisageable pour eux (et elle devrait l’être pour n’importe qui qui affronte la domination), et que même aujourd’hui ils évitent de s’opposer à la police et à l’État à cause des détentions. C’est à dire que la violence des arrestations, des perquisitions, de la privation de liberté sans aucune raison, la continuité inquiétante d’un procès qui en n’avançant pas maintient en alerte ceux qui sont impliqués dedans, tout ça n’a pas provoqué plus de rage, plus d’anarchie. La violence de l’enfermement des personnes, dans le but de défendre des distributeurs de monnaie, n’inquiète pas outre mesure, n’enflamme pas la haine, et encore moins les distributeurs. La lobotomie sociale a percé tellement loin que cela semble légitime (pas seulement légal) y compris pour la majorité de ceux qui en subissent les conséquences et qui préfèrent continuer de chercher des explications toujours plus complexes.

Les fantasmes les habitent.

« J’ai souvent entendu parler de celui qui commet un délit comme s’il était non pas l’un des nôtres, mais un étranger et un intrus dans notre monde. »

Les vagues de répression qui se succèdent depuis le Caso Bombas, en passant par les détentions en Grèce, l’arrestation des compagnons de Culmine avec l’opération Ardire, les 5 de Barcelone, l’opération Pandora et Piñata, l’arrestation des compagnons aux Mexique, les prisonniers No tav, le Caso Bombas 2, nous mettent en lien avec différents espaces et moments de solidarité et compagnerisme. Le 29 n’était pas un fait isolé. Ça n’est pas une histoire exceptionnelle. Les prisonniers sont nos compagnons, ils sont parmi nous.

L’infatigable position d’Henry et sa remise en question féroce de la collaboration, délation et trahison a été la seule chose qui a maintenu des liens solidaires avec le reste du paysage anarchiste. La prison, au delà du compagnon, a provoqué un retrait féroce de la faune et la flore anarchiste et libertaire. Tout le processus répressif en Bolivie semblait être « incompréhensible » pour ceux pour qui la répression est logique, légitime et légale. Le 29 n’a pas été un fait isolé. Ce qui a isolé ces terres de la carte de la révolte ce sont des fantasmes. La prison, sur le territoire dominé par la Bolivie, est devenue une présence fantasmatique qui a un vrai rôle de contrôle. Un fantasme qui instille la peur, qui habite les corps et se nourrit de la rage, laissant seulement le trou du repentir, qui s’étend et se déguise, de civisme, d’anarcho-pacifisme, de rebellions citoyennes, de négociations avec la « justice ». Des enfants sages qui mangent leur soupe et font leurs devoirs, mal faits, mais qui les font, qui connaissent les règles et les limites de leur rébellion, et profitent des possibilités alternatives que le marché, alternatif lui aussi, leur offre. Comme c’est difficile de combattre les fantasmes !

Nos vies ont volé en éclat.

 » Au delà d’un certain point il n’y a plus de retour possible. C’est ça le point qu’il faut atteindre. »

Après le 29 mai nos vies ont volé en éclat. Enfermés. Isolés. Exposés, sans personne pour t’ouvrir une porte. Sans pouvoir rentrer à la « maison », fuyant même les « amis ». Nos vies se sont terminées comme nous les avions connues. Ce que nous avons pu faire à partir de là c’est ce qui a creusé les différences profondes jusqu’à aujourd’hui, trois années plus tard, avec des chemins irréconciliables pour certains et avec des tensions plus ou moins fortes pour d’autres.

Le 29 mai nos vies ont été complètement réduites en poussière, et trois ans plus tard qu’est-ce que nous en faisons ? Combien de notre mépris envers le système demeure dans notre cœur et dans nos actions ? Combien, et de quelle manière, ont laissé tombé, se citoyennisant chaque fois un peu plus ? Quelle force on a été capables de sortir de nous-mêmes face à la destruction totale de nos vies ? Et combien d’autres encore ils seront capables de balancer ? Ils défendent toujours la prison ?

Cette secousse a provoqué une reconsidération de ce que sont les zones de confort,  la vie collective, la solitude, la force, les relations et les sentiments, et ça a surtout fait réfléchir sur les positions politiques. Dans mon cas, et dans celui de personnes avec qui j’ai des affinités, la répression, loin de diminuer la détermination anti-autoritaire pour s’attirer la sympathie du pouvoir et de la société (contre laquelle luttait la majorité des détenues), a renforcé la décision de les affronter. Et ainsi cette épuration me semble positive. Le 29 mai a marqué la séparation radicale des manières de considérer la liberté, l’anarchie et la rébellion entre ceux que nous considérions anarchistes. Cela a tracé la frontière entre ceux qui acceptent le système de façon alternative et ceux qui ne l’acceptent sous aucune forme et qui luttent chaque jour pour l’expulser de nos pratiques quotidiennes tout en l’attaquant, en cherchant au moins à déranger, rompre avec la normalité de ce conformisme intello, informé et passif, profondément complice de multiples chaînes d’exploitation.

Le 29 signifiait faire un pas en avant ou se retirer du combat. Et ça a été le point de non-retour à la normalité. Un point qu’on ne peut pas réduire à une date qu’on garde en mémoire, mais à l’expansion de la révolte.

Il faut encore plus de feu, de rébellion et de vandalisme.

La révolte a besoin de tout : journaux et livres, armes et explosifs, réflexions et blasphèmes, venins, poignards et incendies.

La seule question intéressante est : comment les mélanger ?

La tension contre la domination ne peut se passer d’une corrélation entre les idées, actions, formes de vie individuelle et collective, une vie la plus autonome possible et une attaque permanente contre l’autorité de l’État-capitaliste-extractiviste*. Se déplacer rapidement, tout changer. Aimer et détester à l’extrême à chaque endroit, avec chaque compagnon. Planifier avec soin, être prêt à tout, tout le temps. Tout détruire, surtout nos façons de comprendre le monde.

Au delà des erreurs, je suis fier d’avoir fait partie de ces événements. Nos vies ont changé, la séparation s’est faite et personne ne s’est arrêté. C’est toujours possible de transformer la révolte et la violence en une arme efficace contre la monopolisation du pouvoir. C’est à chacun de nous d’écrire les derniers chapitre de cette histoire, ceux qui ont affronté de différentes façons cette répression, ceux qui se sont solidarisé, ceux qui ont observé, ceux qui le veulent mais ne se motivent pas … Nous avons vécu cette répression, nous sommes mieux préparés maintenant. On est tombé et on s’est relevé. Nous avons tendu des liens forts et marqué les différences nécessaires. La terre est fertile. Le pouvoir se prépare, monopolisant chaque espace, reprenant les batailles pour lesquelles nous avons risqué nos vies et qui semblaient être paralysées, comme celle du TIPNIS. L’indignation débordera à nouveau tôt ou tard.

Pour la liberté, le chaos et l’anarchie.

Destruction des prisons !

Depuis un trou, quelque part, dans l’anonymat irrenonciable : à Henry pour son irréductible rébellion, à la meute (compagnons aux hurlements sauvages et enragés qui font tout pour faire vivre l’anarchie à travers le monde), à Xosé Tarrío et Mauricio Morales (nos morts sont avec nous et ne reposent pas en paix, il restent sur le pied de guerre, avec la même fermeté).


Ndt :

* L’extractivisme en Amérique Latine désigne les activités d’exploitation des ressources naturelles à échelle industrielle. Au sujet de la Bolivie on se rappellera les conflits autour de la privatisation de l’eau, mais on peut penser aussi à l’exploitation intensive de toute sortes de minerais, qui ces dernières années a provoqué de violents conflits au Pérou, et les gigantesques exploitations agricoles qui prospèrent en Amérique du Sud. Ces activités d’exploitation intensives diverses ne sont pas sans lien avec le projet de construction d’une route à travers la forêt amazonienne bolivienne, le fameux projet Tipnis.

 Instinto salvaje

Quelques mots du compagnon Henry Zegarrundo à trois ans du coup répressif en Bolivie

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Après trois ans de jours longs et obscurs, d’autres intenses et réconfortants à différents moments, en prison, en arrestation domiciliaire, ce réconfort est le début de nouvelles expériences qui aident à émerger, à ne pas étouffer dans le vomi du Pouvoir, des expériences qui font que les éclaboussures de la démocratie ne me transforment pas en un être docile de plus.

Dans l’après-midi du 29 mai 2012, en marchant dans la rue je suis intercepté pour « qu’on me pose quelques questions », des fous en civil sortis d’un échiquier duquel ils n’ont jamais cessé d’être les défenseurs du système établi dont ils clament et imposent la servitude, au nom de l’oppression et du devoir. Gardiens de la démocratie bourgeoise avec l’âme et l’esprit prisonniers de l’obéissance, l’immuabilité, la répression, au final ils ne seront rien de plus que des instruments de domination afin de perpétuer l’esclavage dans leurs âmes misérables. Je suis certain qu’il y a pire que ceux-là, certains prétendent confronter le Pouvoir, mais lorsqu’ils se trouvent entre ses mains, ils deviennent des idiots utiles, d’autre tiennent le rôle d’infiltrés, d’autres enfin ont commencé une chasse aux sorcières, essayant de trouver des « responsables » de ce qui s’est passé, ils ont persécuté, surveillé des maisons de proches de certains compagnons. Le coup répressif n’est pas seulement venu de la part du Pouvoir, il est aussi venu de la part de toutes ces pourritures converties en policiers ad honorem. Tous ceux-là se trouvent dorénavant de l’autre côté de la barricade. Après m’avoir intercepté ils essaient de « me faire parler ». Je ne me prête pas au jeu, je sais qu’il n’y a aucun moyen de se proclamer contre le Pouvoir et en même temps d’être l’un de ses laquais.

La lutte continue durant l’enfermement. La 9° marche pour le TIPNIS arrive à la Paz au mois de juillet 2012. Une bataille qui a du faire face aux multiples stratégies de l’État/Capital pour imposer sa mentalité extractiviste. La répression continue, mais on ne recule pas. La vie quotidienne devient une bataille pour la survie des désirs les plus intenses de destruction de cette saloperie qui s’appelle autorité. Chaque acte de désobéissance, chaque moment dans lequel se répondent les forces pour continuer, chaque acte solidaire est le souffle qui me connecte à l’offensive tandis que la guerre sociale continue.

Ils m’ont transféré de la prison sociale à cette autre, plus petite, plus surveillée, qui m’impose plus de choses, et qui est plus autoritaire, mais finalement ces deux prisons existent, si nous laissons cette existence se perpétuer, nous nous mettons nous-mêmes les fers. Qui que nous soyons dans l’une ou l’autre, nous pouvons choisir de nous soumettre ou de nous rebeller.

Dans l’enfermement tu as très peu d’armes pour continuer le chemin, mais les quelques unes que tu as doivent être bien utilisées : mutineries, grèves de la faim, communiqués, lettres, refus de collaborer, n’importe quelle participation sera toujours une preuve d’insoumission, de courage, de désir de ne pas tomber dans la normalité aliénante de la société. Dans des moments aussi compliqués, lorsque nous sommes enfermés comme n’importe quel animal capturé par l’homme civilisé, il ne nous reste plus que le choix entre être une pourriture ou un anarchiste. La conviction est un souffle d’air pur, l’échec est la soumission qui oblige à se résigner à la pollution. Je préfère choisir la première, il n’y a pas d’intermédiaire entre les deux, l’incertitude grisâtre mènera toujours à agir de façon opportuniste et en rien révolutionnaire.

Des moments qui sont interminables, les heures qui s’arrêtent et vont à l’encontre de ce désir de voir passer le temps rapidement. Puis la cage a changé, pour que je sorte en arrestation domiciliaire. Il y a plusieurs nuances dans la punition, ils te font croire que le système judiciaire est juste et complaisant, mais ça n’est que leur jeu, et au final je suis toujours otage. Les prisonniers continuent d’exister, le Capital continue de faire des ravages. Cette justice hystérique protectrice de la classe exploiteuse et aisée continue dans son long parcours sans destinée, mais avec l’objectif clair de punir ceux qui ne se soumettent pas, et des arguments nauséabonds leur servent d’appui, et tout ça se situe en dehors de mon monde.

Tout État est terroriste, parce qu’il utilise la répression afin de maintenir son état de droit, ses lois, ses normes, son éducation, ses religions. Et pour mettre en avant qu’il est omnipotent, ils nous considèrent comme l’ennemi public, parce que ce qui est normal c’est que les citoyens obéissent têtes baissées et fidèles à leurs normes. La terreur inspirée par le Pouvoir est estompée dans la peau des gens. Notre ennemi n’est pas le citoyen lambda, malgré son obéissance et sa servilité, l’ennemi c’est celui qui essaie de nous arracher la liberté d’exister sans sa présence. Sous toutes les ruines causées par la répression, c’est inévitable qu’ils étouffent le feu des nouvelles pousses qui germent en silence, c’est inévitable qu’ils en finissent avec la lutte pour la liberté absolue, c’est inévitable qu’ils nous acquittent de notre identité acrate.

Pour la destruction des cages humaines et animales.

Henry Z.A.

PS : salutations insoumises à tous ceux qui restent en guerre contre l’autorité et le Pouvoir à l’extérieur et à l’intérieur de la prison, et depuis la digne clandestinité. Une grosse bise à toi, compagnonne en cavale, où que tu sois j’espère que ces mots t’arriveront.

source

Actualisation sur le cas d’Henry Zegarrundo

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Cela fait presque trois ans qu’a eu lieu le coup répressif du 29 mai 2012, et le compagnon Henry Zegarrundo se trouve toujours sous certaines restrictions de sa liberté, étant en résidence surveillée, ce qui lui permet de sortir pour faire des activités personnelles, voir sa famille et travailler pour gagner quelques Pesos. Depuis qu’il a été emprisonné jusqu’à maintenant il a eu plus de quarante audiences, desquelles une trentaine ont été suspendues, et on a arrêté de compter.

Le pouvoir peut tout modifier et manipuler à sa guise, et plus de deux ans se sont écoulés depuis que le juge a sommé le parquet de présenter ses accusations, et si dans un laps de temps de cinq jours il ne le faisait pas le dossier serait clos (cet ordre du juge a eu lieu en mai 2013 suite à la sortie du compagnon en résidence surveillée totale, après un an d’emprisonnement), et puis le juge a fait un pas en arrière, comme on pouvait s’y attendre, et a fait preuve de partialité envers ses collègues du ministère public.

Il y a environ quatre mois une audience a eu lieu afin de résoudre cet incident qui vient d’être mentionné, et la défense a réussi à obtenir que le ministère public soit mis en dehors de l’affaire, cependant jusqu’à maintenant le tribunal n’a pas informé les différentes parties afin que les cinq jours s’écoulent, et s’ils ne font pas appel ou ne donnent pas leurs accusations l’affaire devrait être close (cette notification devait être prête quelques jours après l’audience), et ceci concerne l’accusation de terrorisme. L’autre accusation est celle de tentative d’homicide, dont  la plaignante, l’ex vice-ministre de l’environnement n’a déposé une plainte qu’en octobre 2011, et il y a eu un rapport d’expert de l’unité d’explosifs ambigu dans lequel même eux ne peuvent pas expliquer ce qu’il s’est passé. Cependant il n’y a pas ici un quelconque montage qui aurait imaginé les attaques qui ont eu lieu. Certaines cellules ont attaqué des structures physiques de l’État/Capital entre 2011 et 2012, mais à travers les délires du pouvoir dans sa tentative de montrer son « omnipotence », des preuves ont été inventées, et le pouvoir a obtenu que des personnes qui soi-disant luttent contre le système dominant et patriarcal balancent d’autres personnes. Dans ce fouillis de « preuves », ces déclarations, plus les plaidoyers, et les informations venant d’infiltrés dans le mouvement libertaire,  ils ont monté une affaire, où ils déclarent qu’il y a une organisation anarchiste avec des liens internationaux et un financement international, et ils ont même « criminalisé » la solidarité internationaliste envers les compagnon-ne-s séquestré-e-s par d’autres États et localement envers les peuples et les luttes indigènes.

Au cours du procès il y a eu de nombreuses manipulations du pouvoir, parfois le montage a été évoqué mais non pas depuis une position victimiste, mais une position d’offensive, de dénonciation, pour partager avec les compagnon-ne-s des expériences qui peuvent leur servir pour affronter l’ennemi face à des faits aussi néfastes que le pouvoir utilise. Pour en citer quelques -uns, dans les cahiers d’enquête il y a des choses pour le moins étranges : au cours de la première perquisition qu’ils ont réalisé chez les parents du compagnon, on voit apparaître le nom d’un soi-disant voisin qui aurait été témoin lors de la perquisition de la maison, et ce voisin n’existe même pas, ils l’ont inventé. Au cours de la seconde perquisition, qui cette fois avait lieu chez Henry, alors qu’il était séquestré dans une cellule, ils ont rajouté un agenda qui n’est pas à lui, et au moment de réquisitionner ses affaires, ils le « trouvent » comme s’ils étaient en train de découvrir une « preuve de plus » pour l’accuser.

La situation actuelle du compagnon n’a pas changé, sauf sa situation avec des « mesures alternatives », avec une soi-disant plus grande « flexibilité », vu que pour ces laquais du pouvoir il n’a pas cessé de représenter un danger pour leur société confortable.

Des solidaires.

source

 

Clip vidéo du cd Furia y Candela

Ce cd est une initiative de compagnon-ne-s de la région bolivienne en soutien aux compagnon-ne-s séquestré-e-s par l’État.

furia

Réveille-toi, conspire.
N’aie pas peur tu es en guerre.
La terre se meurt,
libère-toi de cette merde.

Et les cachots brûlent.
Les murs tombent.
Ils ne peuvent pas nous contrôler.
Les murs tombent.

J’attends une nuit de plus,
que ça ne rate pas.
Le temps devient éternité
s’il n’y a pas d’attaque.

Solidaridad Negra

Troisième communiqué d’Henry, en arrestation domiciliaire

tumblr_mrdyryI9iF1ro0ralo1_500J’écris de nouveau aujourd’hui avec un bon moral, avec la force que m’a donné la solidarité,  le regard fixe,  la fierté d’être anarchiste,  le plaisir de vivre en harmonie avec mes mots, après avoir vu de si près le rôle de la justice, protectrice des riches et ennemie des pauvres, qui utilise ses moyens les plus bas comme le montage et ses esclaves délateurs, pour accuser, criminaliser, poursuivre et emprisonner ceux qui ne se conforment pas.

Je suis toujours otage de l’État bienfaiteur du Capital avec plus de 8 mois d’arrestation domiciliaire totale, après 11 mois de prison. On pourrait dire que ce genre de réclusion domiciliaire est une « progression » dans la récupération de la liberté physique, mais ma chambre est ma nouvelle cellule, la maison où je vis est ma nouvelle prison, le contrôle sur ma vie n’a pas disparu, la punition continue de donner son tribut à la société carcérale.  Bien que cette forme d’arrestation n’ait rien d’agréable, ma situation n’a rien de comparable avec les conditions d’isolement que vivent nos compagnon-ne-s prisonnier-e-s révolutionnaires à travers le monde, c’est pour cela que nous devons lutter avec la férocité nécessaire à l’intérieur et à l’extérieur des prisons, jusqu’à ce qu’ils/elles soient de nouveau dans la rue, jusqu’à ce que nous fassions tomber les murs des cages pour humains et non humains.

L’accusation ridicule sur l’existence d’une « organisation terroriste à financement international et tentative d’homicide » reste dans les limbes. Nous les anarchistes nous n’avons pas de chefs, l’autorité nous révulse, parce que celle-ci se base sur la domination et la soumission, et nous n’avons pas de forme d’organisation hiérarchique ni verticale, nous cherchons la libre association et l’affinité politique. Nous pratiquons la solidarité internationaliste, pas seulement envers nos frères/sœurs emprisonné-e-s, mais pour le reste des personnes qui sont dans les prisons, crées, c’est clair, pour protéger le Capital. Le délire étatique continue de soutenir qu’il y a un financement international, avec des liens et des représentants. Chacun de nous, les anarchistes/anti-autoritaires, se représente soi-même, chacun de nous fait partie d’une même lutte, dans laquelle nous ne voyons pas nos visages mais nous nous reconnaissons comme compagnon-ne-s. Celui qui impose la terreur désespérément c’est l’État, à travers son organe politico-juridico-policier, qui punit et poursuit ceux qui luttent pour vivre sans Capital ni ethnocide. Toutes les accusations vont au delà des lois mêmes, eux-mêmes, les oppresseurs, ne respectent pas leurs propres lois, ce sont eux qui les manipulent, corrompent, entravent et nient leur « justice » dont ils font tant d’éloge, qui ne représente que la servilité envers la bourgeoisie.

Le seul crime que j’ai commis c’est de lutter contre n’importe quelle forme de domination. Je ne regrette pas d’être ce que je suis, parce que le regret c’est donner raison à l’ennemi. Je ne regrette pas de lutter contre la société de classes, parce que celle-ci est basée sur l’inégalité et l’oppression. Je n’aspire qu’à récupérer ma mobilité et à rester digne. Je ne me déclare pas « coupable ou innocent », parce que le faire ça serait rentrer dans le jeu du Pouvoir, ce brassage juridique de persécution politique avec ses lois bourgeoises réprime la liberté individuelle de ceux/celles qui n’acceptent pas de vivre dans cette société dictatoriale et autoritaire que nous n’avons pas choisi, au contraire, on nous l’a imposé.

Il faut combattre l’ordre établi, parce que c’est lui qui impose la servilité et la soumission au Capital. Il n’y a pas besoin de réformes ou de conditions « adéquates » pour la révolution. La révolution est un conflit permanent. Le soi disant « processus de changement ou de bien vivre » n’est qu’un déguisement du nouveau colonialisme andin, globalisateur et civilisateur. C’est un chaînon dans la continuité d’autres gouvernements démocratiques et putschistes, parce que tout État est servile au Capital. Il faut lever la tête et nous défendre du terrorisme et de la violence d’État, violence qui au sein de la société trouve son origine de haut en bas. Accepter de vivre soumis veut dire être dans une prison sociale et mentale, sans le courage de rébellion contre l’assassin qui élimine nos désirs de liberté, cet assassin qui utilise les moyens les plus dégradants et méprisables pour détruire ce qu’il combat. C’est indéniable que dans ces terres, partie des Andes, on vit dans une société basée sur le Capital, le spécisme, l’exploitation, l’ethnocide, le latifundium. Nous voyons comment le néo-colonialisme étatique détruit peu à peu les peuples ancestraux, la terre et tout ce qui y vit. L’objectif de l’État c’est d’exploiter, civiliser et domestiquer pour que nous vivions comme dans les pays « développés ». On ne peut pas rester immobiles face à ça. La lutte anarchiste/anti-autoritaire est la lutte pour ne pas être la réplique de ces esclaves du Capital. Notre lutte est réelle lorsqu’elle arrête de n’être qu’une théorie ou lettre morte. Elle se met en marche à partir du moment où l’on refuse une vie aliénée et apathique, à partir du moment où l’on applique au quotidien le refus des contraintes d’un esclavagisme systématique. L’aliénation envers le conflit de la part de la société punitive est quasi totale. La majorité préfère continuer d’être esclave et endormie de façon volontaire. Ça ne les intéresse pas de vivre libres, peut-être par peur ou par conformisme. Parmi les pauvres aussi se reproduisent souvent les schémas d’oppression, d’exploitation et d’autorité lorsque l’envie de ne plus être pauvre n’est que le désir de monter les échelons de la société, de passer d’exploité à exploiteur, ou d’être moins exploité qu’avant.

La lutte doit continuer pour la libération totale. Je veux exprimer mon mépris pour la loi des « droits des animaux » que le Pouvoir avec l’appui des citoyens en faveur du bien-être* sont en train de mettre sur pied dans ce territoire dominé par l’État bolivien. N’importe quelle loi ne fera que normaliser l’esclavage, légalisera la domination, la torture, l’autorité perpétuelle sur les animaux. Tout comme nous ils ont besoin de vivre libres. Une loi ne fera que les condamner à perpétuité, renforçant la relation maître-esclave, propriétaire-animal de compagnie, consommateur-produit. Les « droits des animaux » entretiennent l’existence de la société carcérale, où les cages et cellules sont le reflet de la misère de la conscience et de la solidarité humaine. L’État assure seul cette misère dans sa société. Nous voulons des cages vides, pas plus grandes.

 Au delà des distances politiques je veux saluer les enfants travailleurs qui ont été réprimés et gazés par les « forces de l’ordre » dans la ville de La Paz le 18 décembre dernier; les adultes âgés « victimes de la dictature » frappés et gazés par le régime démocratique sur la place Murillo le 19 novembre; Martha Montiel et ceux qui luttent pour récupérer les corps de leurs proches assassinés et disparus; la résistance du TIPNIS; les guaraníes, takanas, aymaras, quechuas, urus, chipayas, weenhayek, et autres peuples de l’Amazonie, du Chaco, des Vallées et de l’Altiplano, qui se battent pour ne pas appartenir à ce monde civilisateur, domesticateur, et qui subissent le harcèlement étatique permanent et l’asservissement de la part des propriétaires terriens et entrepreneurs.

Salut aux guerrier-e-s en Italie, Espagne, Indonésie, Allemagne, France, Canada, État-Unis, Brésil, Uruguay, Argentine, Pérou, Grèce, Royaume-Uni, Hollande, Croatie; au Méxique à Mario Gonzales, Fallon, Amélie et Carlos; liberté pour les compagnon-ne-s Mónica, Francisco et les autres inculpé-e-s à Barcelone; Juankar Santana Martín, Manuel Pinteño, Gabriel Pombo Da Silva en Espagne; Marco Camenisch pour sa grève de la faim provocante en Suisse; a Thomas Meyer Falk en Alemagne; Ilya Romanov en Russie; aux compagon-ne-s au Chili qui luttent devant et derrière les grilles de cette nouvelle gestion répressive de la démocratie; En Argentine aux compagnon-ne-s arrêté-e-s du peuple kolla qui ont réussi à dévier le trajet du Dakar dans le Jujuy, aux femmes en lutte contre la répression dans la prison d’Ezeiza; à ceux/celles qui résistent en prison avec leur conviction intacte, aux compagnon-ne-s qui utilisent la grève de la faim comme acte solidaire et outil de lutte dans les prisons du Mexique, Grèce, Suisse et Chili. Salutations à Gustavo Rodríguez et Alfredo Bonanno déportés par les régimes capitalistes. Excusez-moi si j’ai oublié des compagnon-ne-s. Mémoire combative pour ceux qui ont perdu la vie en luttant et une grosse bise complice à ceux qui restent en clandestinité, force et courage !

Mon éternel remerciement aux blogs contre-informatifs qui ont diffusé des nouvelles sur ma situation, à tous/toutes les solidaires qui de leur propre initiative ont réussi à faire que l’écho de leurs actions rompe l’isolement et me vole de nouveau un sourire. Contre la société carcérale et ses bourreaux, debout dans cette guerre sociale, contre la société de classes, le Capital, l’autorité, l’isolement et ce qui nous est imposé.

 Libération totale maintenant !!!

 Henry Zegarrundo
Anarchiste/Antiautoritaire

* en espagnol bienestaristas, traduction de l’anglais welfarists

Solidaridad Negra

Désenfermement

rain-in-la-pazUne autre fois la nuit, un jour de plus à souffrir,
à converser avec moi-même, je retourne une fois de plus de la maison de la “justice”.
J’ai juste réussi à voir à travers la vitre fumée.
Voir les rues, les gens qui se réduisent à un code de plastique.
Un certain endroit me rappelle quelqu’un,
me rappelle mes compagnon-ne-s,
me rappelle qui je suis, dans quel but je vis, pourquoi je vis.

Je ne m’accroche pas à la vie, parce que s’accrocher à elle
ne fait que t’apporter la peur d’arrêter de vivre.
Je m’accroche à la liberté, à la liberté de pouvoir rugir,
de pouvoir rugir dans une forêt de ciment.
Parfois la haine m’envahit, et je m’endors dans la haine.
Lorsque je me réveille je sais que l’amour est l’amalgame avec la haine
qui me fait respirer profondément pour continuer de vivre.

Je ressens dans l’enfermement la haine collective contre la société,
la haine de la prison, de l’isolement.
C’est digne d’éloigner son regard du sol,
et c’est mieux de le diriger sur l’ennemi,
sur cet ennemi qui me tient prisonnier de sa cupidité,
l’ennemi qui fait des ravages avec la terre,
qui détruit les formes libres de vivre.

L’ennemi qui enferme, qui punit, qui mutile,
qui t’infecte de désespoir avec son cancer de Pouvoir
qui mute d’organe en organe.
Nous sommes ses anticorps, nous avons développé l’immunité
devant leur insalubre peste humaine.
Nous sommes la lutte sans frontière ni distance,
la colère du bouillonnement de notre sang.

Nous allumons la lumière de la nuit.
L’obscurité et la lumière sont complices des pas,
nous sommes la bataille sans repos,
une métastase de cellules qui sont partout,
c’est mieux de mourir en se battant que de mourir sans l’avoir tenté,
c’est mieux d’être libre même en étant enfermé.

Aujourd’hui je me rêve encore une fois, différent d’hier,
avec la certitude de ne pas avoir perdu, de ne pas m’être laissé abattre.
Demain sera différent de ce jour,
ma rage ne sera pas différente, ni celle de demain.
La force viendra de ceux qui ont la rage avec moi.
Elle arrivera en traversant les murs et les distances
et donc je rugirai une fois de plus sous la lune.

Je grifferai le sol de ciment
comme si il était de boue et d’herbe
jusqu’à ce que mes griffes saignent.
je me fondrai dans les colonnes
je respirerai l’air rempli de crasse au lieu du brouillard.
Les taches sur mon corps me disent qui je suis.

Une fois que je ferme les paupières
je me transporte au paradis onirique
où le silence des vents
est comme le baiser d’un-e compagnon-ne.
Un jour de plus à ne pas me voir vaincu
un jour à rêver sans arrêter d’être celui que je suis
un jour de plus à être prêt à me lever demain.

Henry.
Prison de San Pedro, La Paz pluvieuse

APOLOGIE DE LA DÉLATION

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Assis sur ma couchette qui s’est convertie en l’un des endroits où je peux lire et écrire, je veux exprimer ce qui me perturbe. Le brouhaha des 50 prisonniers avec qui je partage cet espace se fait maître de l’environnement. Une faible lumière s’approche de la feuille de papier sur laquelle j’écris pour laisser place à ces mots, ces mots qui décident de rompre le silence en parlant des délateurs/trices.

Il faut avoir en tête – dans la réflexion permanente – que le but de l’État est la réduction de l’individu en utilisant ses stratégies connues qui ne sont pas vraiment une innovation, comme la matérialisation routinière de la punition à travers l’emprisonnement, la persécution et le fait de faire des exemples. Il cherche à réduire l’individu à une carte d’identité, un numéro ou un code. Il cherche à nous exterminer moralement, à anéantir n’importe quelle pratique révolutionnaire. Mais il y a un détail à remarquer : n’importe quelle personne qui se reconnaît dans l’éventail libertaire possède la notion de se situer du côté de la barricade opposé à celui du Pouvoir-autorité. Cependant, il existe des gens qui se revendiquent libertaires ou anarchistes et qui justifient et cautionnent la répression. À partir de cet aval-justification cette revendication se transforme en simple discours auto-hypocrite, ils passent de l’autre côté de la barricade, et l’on se retrouve face à eux et non plus à côté d’eux.

Si il y a des personnes emprisonnées ça n’est pas parce que les « responsables » des attentats sont coupables de l’emprisonnement par l’État d’individus à tendance ou pratiques politiques *. L’État-Pouvoir profite seulement de ces incidents pour pousser, justifier son efficacité ou « sécurité » citoyenne. C’est très clair que la nécessité politique et répressive et ses alliés plateformistes sont les seuls responsables de l’enfermement de certains d’entre nous dans les entrailles du Pouvoir. Par conséquent, c’est pathétique de demander que les personnes qui ont fait les attentats se rendent ou viennent échanger leur liberté avec celle d’autres personnes. À ces personnes qui parlent de vrais ou faux anarchistes il ne leur manque plus qu’à demander un uniforme de policier en échange de la délation et la collaboration. Ils n’ont pas compris qu’une lutte est digne lorsqu’elle possède de hautes valeurs révolutionnaires, et qu’une personne sans vide moral ne dénonce pas les autres.

Dans ce débat ça n’est pas la priorité de se déclarer « coupable ou innocent », la priorité est qu’il n’y ait pas d’autres compagnon(ne)s qui soient emprisonnés, et au sein de cette priorité il y a la douleur qui se propage dans la famille et les proches qui ne doit pas se reproduire.

Dans l’histoire des luttes sur ces terres il est inévitable de reparler des femmes aguerries du S.F.O.V. ( Syndicat Féminin de Métier Variés) et la F.O.F ( Fédération Ouvrière Féminine). Dans le courant des années 20-50 la lutte contre l’État-Bourgeois oppresseur était organisée en syndicats et à l’intérieur de ceux-là – pas seulement en Bolivie mais dans d’autres pays d’Europe et d’Amérique – il y avait des initiatives empreintes d’un lien solidaire fort envers des prisonniers politiques de d’autres pays. Ces cholas** anarchistes courageuses étaient conscientes qu’il ne fallait de prisonniers anarchistes nulle part. À la fin de l’année 1927 elles ont décidé de se joindre à la campagne internationale pour la libération des anarchistes italiens Sacco et Vanzetti. Comme on le sait c’était deux immigrés, travailleurs et anarchistes, qui ont été jugés et exécutés par électrocution pour le supposé vol à main armée et le meurtre de deux personnes. Ce qu’il y a de remarquable dans cette histoire est le fait que la campagne de solidarité ne demandait pas la tête des auteurs des attentats. Les cholas anarchistes exigeaient la libération de Sacco et Vanzetti et maintenaient une conception élevée et une pratique morale. Elles savaient très bien que faire du chantage et demander aux auteurs qu’ils se rendent pour que la liste des prisonniers politiques s’allonge ne fait pas partie des luttes libertaires.

Bien que beaucoup d’eau ait coulé sous les ponts depuis ce temps, la dignité et les attitudes éthiques se maintiennent intactes. S’il y a eu des délateurs on a toujours considéré qu’ils étaient étrangers à la lutte contre le Pouvoir. Les « cholas» anarchistes du S.F.O.V. et de la F.O.F. sont une bonne référence de lutte anti-patriarcale et avec beaucoup de cohérence elles ont su se libérer d’attitudes accusatrices et délatrices. Actuellement les syndicats – en tout cas ici sur ces terres- sont dans les mains des trotskos. La lutte syndicale est devenue un organisme verticale et autoritaire, et n’a donc rien à voir avec une posture anarchiste. Elle s’est institutionnalisée et n’est qu’une agglutination de masses qui ne font que suivre les accords entre ses dirigeants et l’État.

Je ne m’attendais pas à ce que dans ce chapitre carcéral les délateurs/trices deviennent les protagonistes principaux. À ma charge, je ne m’attendais pas à ce que ceux qui disent être des compagnon(ne)s demandent à ce que les rangs des prisonniers anarchistes soient grossis. Par conséquent je rejette n’importe quel acte solidaire qui m’implique avec des individus qui valident la répression.

Je suis toujours dans l’attente de sortir de cette cage, la machine judiciaire avance lentement mais même ainsi je suis fort et ferme. J’admire tous ceux/celles qui continuent de lutter dans les prisons de dehors et de dedans. Un grand sourire apparait sur mon visage lorsque j’entends que le Caso Bombas a eu une fin, c’est une grande victoire dans notre histoire. Tous les montages des États tomberont tôt ou tard. Je refais un salut à tous les prisonnièr(e)s du Pouvoir qui ne se rendent pas, à ma famille et mes compagnon(ne)s.

Ne laissons pas nos rêves se faire voler. La solidarité est ce qui donne du courage à un(e) prisonnièr(e) et le/la fait ne pas se sentir seul.

Henry Zegarrundo
Prisonnier anti-autoritaire

N.d.T. :

* Le 28 août le collectif de solidarité Libertad a écrit : « nous regrettons que Nina [Mansilla], dans son désespoir de sortir de ce centre d’extermination, a chargé ses compagnons Krudo [Mayron Gutiérrez Monroy] et Henry [Zegarrundo] dans sa déclaration sur laquelle elle est revenue de son propre chef ; de même qu’elle a donné les noms de ceux dont elle pense qu’ils font parti de la FAI-FRI.

Le 29 septembre l’auto-proclamée « activiste anarcho-féministe » Nina Mansilla a mentionné, entre autres choses, que les personnes qui ont commis les 17 attaques devraient prendre la responsabilité de leurs actions et ne pas laisser quelqu’un d’autre « payer pour le mouvement ». De plus, au sujet de la vidéo qui selon le procureur montre Nina en action, elle a fait des allusions à des détails afin d’impliquer une autre personne qui, selon ses mots « je l’ai considéré comme une compagnonne et une sœur à un moment donné, mais je ne peux plus dire la même chose maintenant, alors qu’elle connait ma situation légale et émotionnelle, qu’elle sait que je suis là à cause d’elle, parce que soit disant j’ai une légère « ressemblance » avec elle. » Enfin, N. Mansilla a eu le culot d’écrire : « pourquoi devrais-je me taire ? Pour protéger qui ? On a dit de moi que je suis une balance, et des gens ont retiré leur solidarité envers moi parce que « j’ai accusé d’autres personnes pour me sauver » ; de ce que je vois, c’est très facile pour quiconque de se gargariser avec des discours radicaux, de parler de loyauté et de résistance derrière un clavier, d’écrire des déclarations intransigeantes contre l’État, la société et tous ceux qui ne pensent pas comme eux juste pour se faire mousser. Mais qui est à ma place ? Qui vit avec moi tous les jours ? Qui subit l’humiliation et l’intimidation que je dois supporter depuis les quatre derniers mois ? »

** Le terme chola a une longue histoire et revêt une importante connotation culturelle en Amérique du Sud. En général ça désigne les femmes andines issues de la campagne, qui portent la pollera (costume traditionnel), parlent quechua ou aymara et vendent leurs produits sur les marchés (un archétype des femmes andines). Mais chola peut aussi représenter une certaine attitude dans la façon d’être et de vivre, des traits qui complètent la tenue pour être identifié comme tel. Le terme était utilisé de façon péjorative par les bourgeois pour désigner une femme belliqueuse, séductrice et lascive, en somme un objet de désire sexuel, et de plus l’incarnation du sacrifice à travers la maternité et le travail. C’est devenu un terme qui symbolise la triple oppression que ces femmes subissaient (et subissent encore) : discrimination basée sur l’indigénité, la classe sociale et le genre. Comme Henry l’explique dans le texte le terme désigne aussi les qhateras (marchandes) et d’autres femmes qui se sont rebellé depuis les années 20 et ont pris part à la lutte anarchosyndicaliste en Bolivie, et plus particulièrement à La Paz, s’appropriant le terme chola.