Fragments d’un parcours répressif
La construction de l’ennemi interne par l’État chilien après son réajustement démocratique a subi plusieurs changements, nuances et réinventions de la part des puissants et des services d’intelligence destinés à freiner ceux qui ont déclaré la guerre à l’État et toute autorité.
La DINA (Direction d’Intelligence Nationale) et la CNI (Centre National d’Intelligence) des années 70 et 80 ont fait la place à La Oficina dans les années 90 qui à son tour a crée l’ANI (Agence Nationale d’Intelligence) au cours des années 2000, tandis qu’en parallèle, et dans une continuité répressive, les organismes DIPOLCAR (service d’intelligence de la police) et BIPE (Intelligence de la Police Scientifique) continuent jusqu’à nos jours d’être imparables dans leurs agissements contre-insurrectionnels .
Depuis les années 2000 jusqu’à maintenant une série d’attaques explosives, incendiaires et des pratiques de violence exercées par des groupes et individus anarchistes commencent à donner forme à la notion « d’ennemi intérieur », en parallèle avec le cas des paysans mapuches qui ont décidé de récupérer leurs terres et leurs vies dans un affrontement ouvert avec l’État chilien.
Déjà en 2006 le pouvoir commençait à percevoir comme une menace la continuité, insistance, intensification et expansion d’attaques explosives qui au fil des années se sont répandues sur le territoire chilien. Ce pour quoi l’administration répressive a commencé en 2008 à désigner des juges spécifiques pour regrouper et traiter les cas de placement d’engins explosifs. En même temps, des actions de lutte dans la rue se déroulent régulièrement et à travers la presse apparaît la figure de l’ « encapuchadx », cible à attaquer et poursuivre. En parallèle se développent et se renforcent une diversité de collectifs, squats et centres sociaux qui diffusent des idées et pratiques anti-autoritaires, et qui au cours des années commenceront à être sous surveillance et harcelés par le pouvoir.
Dans ce contexte (2006-2008) les campagnes médiatiques du pouvoir essaient d’identifier des suspects pour les attaques explosives et leurs connections, jusqu’à ce que survienne la dramatique mort du compagnon Mauricio Morales le 22 mai 2009 alors qu’il transportait une bombe près de l’école de gendarmerie, déchaînant ainsi l’hystérie des flics et juges qui dans leur festoiement donnent un nouveau souffle à l’enquête en connectant les attaques avec les squats et les centres sociaux anti-autoritaires.
En juin 2009 l’enquête dispose d’un mandat d’arrêt contre le compagnon Diego Ríos, pour possession d’explosifs (mais l’arrestation n’aura jamais lieu), et d’un renvoi de condamnation contre Cristian Cancino pour possession de poudre noire au cours de la perquisition postérieure à la mort du compagnon Mauricio Morales, à la suite de quoi il y a un changement de juge dans une tentative désespérée de trouver des responsables.
Fixant un calendrier et déchaînant une nouvelle chasse, cette fois dirigée par le Parquet Sud, en août 2010 il y a des perquisitions et des arrestations massives pour le dit « Caso Bombas ». La manœuvre de la police et des juges commence par la détention de 14 personnes et une compagnonne part en cavale, desquel-le-s 10 restent en prison, et finalement seulement 5 d’entre eux/elles passent en procès, étant acquitté-e-s en 2011. Mais même si le procès n’a pas abouti à des condamnations judiciaires, il a réussi à générer une vague de menaces et un climat de peur dans les milieux anarchistes.
La répression a continué d’engloutir des compagnon-ne-s en prison en 2011. Le compagnon Luciano Pitronello est gravement blessé suite à l’explosion accidentelle d’un engin explosif qu’il installait sur une banque Santander en juin de cette année là. Quelques mois plus tard, en novembre, Hans Niemeyer est arrêté à quelques mètres d’une explosion sur une banque BCI. Puis en avril 2012 les compagnon-ne-s Carla Verdugo et Ivan Silva sont arrêté-e-s lors d’un contrôle policier routinier durant la nuit alors qu’ils transportaient un engin explosif. Chacun d’entre eux/elles, après avoir affronté la prison, ont différentes condamnations en rapport avec la loi de contrôle des armes. Postérieurement, en février 2013, le jour où une attaque contre le commissariat de la Vizcachas a lieu, Victor Montoya est arrêté, et doit faire face à un procès suite à l’annulation de son acquittement. La preuve principale contre Victor ce sont des « témoins sous x » qui soit disant l’ont vu se promener en voiture près du commissariat.
À des kilomètres de distance de là, les compagnon-ne-s Mónica Caballero et Francisco Solar, acquitté-e-s dans le Caso Bombas, sont arrêté-e-s en Espagne en novembre 2013, accusé-e-s d’une série d’attaques explosives contre des églises. Les photos et une bonne partie des infos sur leurs antécédents qui sont dans leur dossier sont fournis par le chef de l’ANI, Gonzalo Yussef, qui a voyagé spécialement jusqu’en Espagne afin de collaborer avec la police dans l’arrestation des compagnon-ne-s.
Dans aucun de ces cas les personnes arrêtées ont accepté les propositions du parquet pour faire des procédures abrégées, et elles n’ont pas non plus été condamnées sous la loi antiterroriste.
En plus de tout ça, en décembre 2013 au cours d’une tentative d’expropriation d’une banque Estado, le compagnon anarchiste Sebastián Oversluij meurt sous les balles d’un misérable gardien de banque. Dans les environs deux de ses compagnons sont arrêtés, qui après 6 mois de prison préventive peuvent sortir en acceptant une procédure abrégée. Et en janvier 2014 la compagnonne Tamara Sol Vergara est arrêtée pour l’attaque armée contre un gardien d’une autre succursale de la Banque Estado.
Il est important de signaler que dans tous ces cas mentionnés les arrestations de compagnon-ne-s portant des engins explosifs au Chili ont été marquées par la chance des policiers et/ou par des accidents au cours de la manipulation de ces engins, et dans aucun cas par les enquêtes ou le travail d’intelligence. Dans une tentative de frapper des milieux de lutte plus larges et divers que la seule pratique des attaques explosives/incendiaires, les organismes répressifs et les persécuteurs du Parquet Sud sont encore blessés dans leur fierté suite à l’acquittement des accusé-e-s du Caso Bombas et l’impossibilité d’obtenir une condamnation sous la loi anti-terroriste, restant sur leur faim de revanche et d’un besoin d’étaler une fausse victoire dans les opérations répressives à venir. Cela ils le savent très bien et dans leur frustration impuissante face à l’apparition de nouvelles attaques ils se replacent, créent de nouvelles brigades spécialisées, recréent le climat propice pour préparer les prochains coups répressifs.
L’ennemi se réorganise …
Cependant, sous-estimer tout ce qui a été dit avant reviendrait à sous-estimer l’ennemi et à ne pas réaliser jusqu’où il peut pointer ses dards actuellement. Si les réussites que les services d’intelligence ont obtenu proviennent de situations fortuites dans lesquelles des compagnon-ne-s ont été emprisonné-e-s, blessé-e-s ou morts en action, l’appareil du pouvoir a tiré des leçons de tout ça, tout comme de ses propres erreurs, et sera cette fois prêt à les appliquer afin de ne pas échouer dans son objectif : punir tous ceux qui font face au pouvoir.
Suite aux dernières attaques (engins incendiaires dans différents endroits de la ville, certains dans le métro) il y a eu des réunions des services d’intelligence avec un calendrier, afin d’obtenir des résultats, réorganiser leurs forces, et mettre en œuvre des politiques répressives qui permettent d’identifier et enfermer les supposés responsables.
Derrière le discours sur la sécurité nationale et la lutte contre la délinquance, le pouvoir essaie de convaincre la population du besoin d’une surveillance renforcée et injecte des moyens pour embaucher de nouveaux agents et de nouvelles technologies. Derrière ce même discours de dangerosité latente et d’insécurité quotidienne le pouvoir cherche à modifier son propre cadre légal en renforçant et en ajoutant de nouveaux éléments à la loi anti-terroriste, qui permettent cette fois de juger les responsables présumés, s’évertuant à classer les actions incendiaires et explosives comme attaques terroristes, afin d’obtenir des peines de prison effectives et exemplaires.
Le pouvoir se tire une balle dans le pied en ce qui concerne son discours sur le respect de la démocratie et des droits de l’homme, en cherchant à utiliser des agents sous couverture pour infiltrer et « désarticuler » les soi-disant groupes anti-système suite aux attaques, comme à l’ancienne mode de la dictature. Nous ne défendons pas la démocratie, nous ne voulons rien d’elle, nous savons que le pouvoir est pervers dans sa façon d’agir contre ceux qui se rebellent, et encore plus envers ceux qui l’affrontent directement, et donc attendre un comportement étique de la part du pouvoir ne sera jamais un choix pour nous.
Aujourd’hui les services de renseignement s’alimentent de nouvelles données, grossissant les dossiers avec lesquels ils articulent leurs hypothèses contre-insurrectionnelles : réseaux, liens, personnes et discours sont signalés. La presse étant de nouveau l’instrument de propagande qui laisse entrevoir des pistes de ce qui se trame en ce moment.
Tout comme en août 2010, ce qu’ils cherchent à frapper et exterminer va au-delà de quelques attaques incendiaires ou explosives. Ils ciblent chaque groupe de lutte qui se positionne en confrontation avec l’ordre existant.
C’est pour ça qu’une autre tactique des services policiers c’est de chercher à isoler les différents milieux de lutte en provoquant par la peur une cassure générationnelle qui porte atteinte à la continuité des expériences de lutte.
On sait que les policiers visibles réalisent des contrôles, interrogatoires sur des compagnon-ne-s plus jeunes, dans le but qu’ils arrêtent d’assister à des activités, ou de créer des liens avec d’autres compagnon-ne-s, preuve du style et des conseils des organismes de renseignement italiens (l’affaire Marini, l’affaire Cervantes). Ils savent qu’en effrayant les compagnons qui se rapprochent des idées anarchistes ou anti-autoritaires ils empêchent la continuité d’idées, pratiques et histoires de lutte pour la liberté, isolant les communautés de lutte actives.
Tout cela doit être considéré comme des manœuvres propres au pouvoir. En tant que guerriers nous devons avoir conscience de comment l’ennemi peut opérer, sans surdimensionner ni normaliser ses agissements. Nous ne devons pas baisser le niveau de notre discours en utilisant des expressions comme « arbitraire, abus de pouvoir », nous devons savoir lire le contexte.
Lorsque la marée monte, tous les bateaux ne s’élèvent pas …
… lorsque la répression guette ou frappe, certain-e-s cèdent et se noient, sont déchiquetés ou perdent le cap, complètement désorientés. C’est pour ça que ça nous semble important de ne pas seulement informer sur ce qui indubitablement a lieu en termes répressifs, mais aussi de nous affirmer pour continuer le chemin de la confrontation, parce que ça a toujours été le principe de la lutte, de ne jamais abandonner.
Les temps du pouvoir ne nous définissent pas, ni ses coups ou condamnations. Nous nous définissons nous-même dans l’univers des décisions de guerre que nous prenons. Nous sommes le poids indéniable de la cohérence entre l’acte et le verbe. Ainsi lorsque le pouvoir accélère le galop répressif, nos mots et convictions anti-autoritaires ne disparaissent pas camouflées. Au contraire, ils s’élèvent en nous guidant sur notre chemin.
Il s’agit donc de ne pas reculer, cédant le terrain à l’ennemi, aux puissants de n’importe quel uniforme ou métier. Il s’agit de ne pas invisibiliser ou normaliser les coups bas qui viennent de la répression, ni de tomber dans l’hystérie qui favorise la désertion et alimente la peur.
Nous assistons actuellement à rien de plus qu’à des pratiques continuelles du Pouvoir, qui sont perpétuées dans la mesure où il trouve des fissures par où s’attaquer aux compromis de guerre, d’abord ceux que l’ont fait envers soi-même et ensuite ceux que l’ont fait envers tous les compagnon-ne-s.
C’est pour ça que ça devient important de renforcer chaque espace/groupe arrachés aux logiques de la domination. Renforcer chaque pratique d’offensive, consolider les liens entre compagnon-ne-s et étendre les réseaux de complicité.
C’est important de s’attendre à l’attaque répressive et de prendre les mesures nécessaires, mais de ne jamais se laisser vaincre en laissant place à la dissociation ou en se taisant. C’est comme ça qu’on reste unis en tant que milieu diffus, en respectant l’autonomie de chacun mais en partageant la force commune contre le pouvoir. Il s’agit de nous renforcer, de devenir plus unis, convaincus et clairs que dans la lutte contre le pouvoir il n’y a pas de temps mort. Ainsi les coups répressifs, menaces ou pièges de toute sorte non seulement n’atteignent pas leur objectif, mais au contraire alimentent nos certitudes contre l’autorité.
Continuer d’exister en étant fermes, convaincus et en contribuant à la révolte par l’acte concret, c’est en soi une victoire qui désactive le mécanisme crée pour nous arrêter.
La tension de la guerre sociale monte, et avec elle nos contributions montent et s’enrichissent aussi. Nous ne demandons ni espérons des « garanties démocratiques » de la part de ceux qui veulent anéantir la présence de ceux qui défient l’ordre imposé. Nous voyons le combat comme faisant partie d’une histoire continue de lutte, où un pas d’offensive ou un recul configurent des scènes futures, et il faut être conscient du rôle que chacun joue.
Ainsi lorsque le face à face arrive avec l’ennemi, nos convictions nous font garder la tête haute, jamais soumis, jamais vaincus.
Sans peur des menaces, perpétuant la pratique de la lutte pour la libération totale.
Courage compagnon-ne-s, ils ne pourront pas nous arrêter …