Au sujet des récentes arrestations pour participation à des violences de rue

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Ces derniers mois il y a eu une série d’arrestations de jeunes accusé-e-s de participer à des affrontement contre les forces répressives au cours de manifestations, d’actions menées par des personnes encagoulées au sein des universités. Parmi eux/elle, certain-e-s se trouvent désormais sous divers régimes de détention, depuis la résidence surveillée jusqu’à la prison préventive.

Des compagnon-ne-s ont déjà réfléchi au sujet du rôle de la répression sélective de l’État et de comment les puissants essaient de faire perdre du terrain aux diverses formes de conflictualité contre l’ordre établi.

Nous, individus qui nous couvrons le visage et utilisons la violence insurgée contre les oppresseurs comme faisant partie de la lutte multiforme pour la libération totale, nous croyons que cela dépend principalement de nous si nos pratiques de lutte finissent par s’éteindre de façon définitive. Pour cette raison nous voulons partager quelques analyses et réflexions.

1.La situation répressive.

En analysant la situation cela saute aux yeux que le pouvoir a élargi son rayon d’action répressive jusque dans des secteurs qui ne sont pas considérés comme les ennemis internes déjà connus (ex membres de guérillas marxistes non repentis, anarchistes insurrectionnels et mapuches en résistance), afin de semer la peur et la punition parmi les étudiants mobilisés radicalisés et d’autres secteurs qui mènent différentes luttes au sein de la société.

On s’y attendait, et c’était annoncé, dans un contexte de « mobilisations et agitation sociale » où le pouvoir essaie d’imposer les réformes du système comme seule manière de transformer la réalité, à travers les institutions et la voie pacifique et établie par l’ordre démocratique.

Dans ce but, les puissants, en parallèle du déploiement de leur armée communicationnelle et journalistique, ajustent leurs mécanismes légaux, en durcissant la loi de contrôle des armes en parallèle avec la loi anti-terroriste, pour réprimer les rebelles et semer la peur, en cherchant à empêcher les actes de révolte et de violence révolutionnaire.

2. Tout n’est pas surveillé : contre la victimisation et l’idée que tout n’est que montage.

Il y a une grave erreur qui est faite lorsque le pouvoir déploie sa répression, c’est de la laisser s’écouler sans résistance ni offensive de notre part, de même que de penser que l’ennemi nous a tous à l’œil et qu’il est impossible de conspirer, d’attaquer et d’agir violemment contre le pouvoir.

Une notion qui revient souvent c’est celle de combattre l’idée des montages, qui pour certains est le premier discours défensif (qu’on sort presque comme un joker) lorsqu’il faut faire face à la répression. Cette idée est souvent accompagnée de celle de la victime innocente et du « droit de manifester ».

À l’opposé de cela, la posture anarchiste insurrectionnelle et les années d’expérience ici et ailleurs, montrent qu’il est possible de garder une cohérence révolutionnaire tout en refusant les charges et accusations imposées par le pouvoir, sans requérir ni reconnaître la logique du coupable et de l’innocent, propre au langage et mécanismes juridiques crées par les puissants.

C’est aussi important de combattre l’idée des montages à cause de la croyance stupide que toute attaque vient toujours de la police. Bien sûr que la répression a l’habitude de semer des preuves contre ceux à qui elle veut nuire, mais c’est autre chose de rejeter l’idée qu’il y ait des individus qui de façon libre, consciente et autonome décident de s’organiser, élaborer et mener à bien des attaques contre l’autorité et sa normalité.

Notre position n’est pas celle de jeunes étudiants ou « militants sociaux » qui luttent avec les mains toutes propres et manifestent pacifiquement. Nous nous positionnons en tant qu’ennemis déclarés de toute forme d’autorité, prêts à nous organiser afin de fabriquer des cocktails Molotov, dresser des barricades et attaquer la police en masquant nos visages afin de ne pas être reconnus par les yeux de la répression.

3. N’arrêtons pas d’agir

C’est un moment dont il faut savoir profiter afin de nous renforcer comme individus et comme groupes d’action anarchiste.
Le moment est propice à l’approfondissement de notre critique vis à vis de l’ordre social dans son ensemble, en développant concrètement le refus des normes et propositions d’amélioration, repentis et victimisation que la société offre.

Il est tout aussi important de défendre la violence de rue dans les espaces de combat gagnés par des décennies de pratiques d’insurrection, que de l’associer avec d’autres pratiques de révolte dans d’autres espaces, comme l’ont compris et appliqué les compagnon-ne-s qui il y a quelques jours ont dressé des barricades à différents endroits de la ville.

Sans baisser la garde, minimisons les risques et combattons les imprudences. Gardons toujours en tête que la continuité et la prolifération de l’action autonome, par notre capacité de la développer dans le temps et de déclencher la créativité, réside dans la potentialité de l’attaque diffuse et informelle, pour mettre en danger le pouvoir et ne pas faire de nos pas quelque chose de prévisible pour l’ennemi.

Stoppons la peur, le silence et l’immobilisme que le pouvoir essaie d’imposer afin de freiner toute possibilité d’insurrection.

Affûtons l’action et le discours.

Solidarité avec les prisonniers tombés pour violence de rue et avec tous les compagnon-ne-s séquestré-e-s par le pouvoir.

Quelques encagoulé-e-s anti-autoritaires.

Hommodolars

L’anarchisme au Chili : une synthèse historique de 1890 à aujourd’hui

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Au Chili, de façon périodique, les anarchistes sont mis sur le devant de la toujours très éphémère scène de l’opinion publique, que ce soit pour des actes de violence ou pour des raisons politiques. Dans la majorité des cas, la vieille caricature qui les associe à la terreur et à la rébellion adolescente se répète inlassablement, empêchant qu’on en apprenne plus à leur sujet, ou du moins qu’on s’en fasse une idée un peu plus complexe. Dans l’intention d’esquisser une image représentative pour discuter avec ceux et celles dont la curiosité les pousse à explorer ces contrées, tant sur ce point que sur d’autres, nous proposons de tracer une brève synthèse de l’évolution des initiatives anarchistes dans la région chilienne. Énormément de détails, de variantes et de contradictions seront exclus, et d’horribles généralisations apparaîtront, en honneur à la brièveté, car un mouvement aussi divers et insaisissable est impossible à enfermer dans un seul récit harmonieux. Pour cette raison il ne me reste qu’à vous inviter à commencer vos propres recherches de votre côté.

Avant de commencer il nous faut donner un avertissement méthodologique et politique. L’anarchisme, aujourd’hui comme hier, est un ensemble d’initiatives orientées vers la construction de relations étrangères à toute sorte d’autorité. Cependant, les « chemins » pour arriver à de telles perspectives peuvent être variés et même contradictoires. Pour la même raison, sa dispersion, sa diversité et l’incompatibilité des stratégies entre ses différents pôles ne doivent pas sembler étranges. Des sujets innombrables ont provoqué d’âpres polémiques internes. Nombreux sont ceux qui pensent que tels autres ne sont pas anarchistes, utilisant des propositions divergentes, et se revendiquant comme anarchistes ou libertaires. Le constat de tout ce qui vient d’être dit, que ce soit dans le présent comme dans le passé, est essentiel pour comprendre le développement de cet univers idéologique.

Même si actuellement cela semblerait être un phénomène jeune et même un peu exotique par rapport à la tradition de la gauche chilienne, dominée pendant des décennies par le marxisme, l’anarchisme, dans sa diversité, a une longue et riche histoire dans les mouvements sociaux locaux. Une histoire qui remonte aux dernières décennies du XIX° siècle, lorsque des migrants du Vieux Monde ont partagé avec une poignée d’agité-e-s ces idées subversives. Des concepts et des propositions, qui se sont confrontés, ont influencé et pénétré la réalité locale particulière.

C’est à Valparaíso et à Santiago que sont mentionnés les premiers signes des anarchistes, à travers le journal El Oprimido en 1893, doyen d’une cinquantaine de publications anarchistes imprimées dans le pays. Mais c’est à partir du changement de siècle (1898-1907) que ces idées vont commencer à vraiment s’introduire, à travers l’éclosion explosive de groupes, syndicats, journaux, athénées et troupes de théâtre. Tout en encourageant et accompagnant d’innombrables grèves déchaînées au beau milieu de la dite Question Sociale, leurs diverses branches vont apporter toute une série de nouveautés.

Sur le terrain syndical ils ont introduit les Sociétés de Résistance (ancêtre du syndicat moderne) et l’idée que les personnes doivent lutter à travers l’action directe, c’est à dire, indépendamment de l’État et des partis politiques, afin de conquérir leurs revendications.

Dans l’espace politique et culturel ils ont diffusé avec succès une série de « nouvelles causes », telles que la solidarité internationale des travailleurs, l’émancipation des femmes, le naturisme, l’amour libre, l’autogestion, la commémoration du 1° mai, le refus du service militaire, l’espéranto, les colonies communistes et les écoles rationalistes, l’éducation sexuelle, l’anti-cléricalisme. Enfin, dans un pays où l’analphabétisme touchait la majorité de la population, et l’instruction était réservée aux élites, les riches circuits culturels anarchistes -athénées, troupes de théâtre, journaux, bibliothèques, conférences – ont stimulé par une volonté inhabituelle la libre exploration des savoirs. Bien sûr tout n’était pas rose, car dans leurs pratiques publiques et privées s’y sont mélangées des manifestations d’autoritarisme, qu’aujourd’hui on pourrait qualifier de patriarcales, messianiques, euro-centriques ou scientistes. Ils ont essayé d’agir d’une façon différente, mais pour autant ils n’étaient pas exempts des valeurs de la société dans laquelle ils vivaient.

L’une des particularités du devenir anarchiste dans la région chilienne dans ses premières décennies, est que, bien qu’ils disposaient d’un grand réseau de contacts et d’échanges à niveau mondial, et de la présence active de certains groupes d’immigrés dans leurs rangs, presque la totalité des acteurs les plus notoires étaient des jeunes, hommes ou femmes, locaux.

Avant d’avancer dans le temps nous rappelons que l’horizon libertaire a été très présent dans les manifestations ouvrières de cette époque : Valparaíso (1903), Santiago (1905), Antofagasta (1906), Iquique (1907). Plusieurs sociétés de résistance se sont formées à leur initiative, avec des boulangers, cheminots, employés d’imprimerie, cordonniers et couturières, charpentiers et dockers, principalement. En 1906 ils ont fondé la Fédération des Travailleurs du Chili, l’une des premières centrales ouvrières.
Évidemment ils n’étaient pas seuls. D’autres courants réformistes et révolutionnaires, comme le Parti Démocratique (1887) ou le Parti Ouvrier Socialiste (1912), transformé en Parti Communiste en 1922, ont aussi encouragé les conflits sociaux et œuvré au développement culturel des secteurs populaires.
La seconde décennie du XX°siècle a connu des événements qui mettront régulièrement les anarchistes à la une des journaux. Le double homicide politique d’Efraín Plaza Olmedo, en juillet 1912, a divisé les anarchistes quant à l’usage de la violence, alors qu’en même temps l’élite justifiait de nouvelles mesures répressives. Pendant ce temps, et avec l’excuse de déjouer des « projets explosifs », la police s’en prenait régulièrement aux groupes et journaux libertaires par la prison, la torture et les procès.

Cependant, l’activité acrate, décentralisée et souvent éphémère, montait en puissance. Il y avait, par exemple, des initiatives intéressantes qui fonctionnaient à Antofagasta, Punta Arenas et dans d’autres villes. À Valparaíso, les anarchistes ont participé à la grève générale victorieuse de 1913 contre le « portrait-forcé » (la grève du Singe) [1]. C’est là qu’ils ont fondé la Fédération Ouvrière Régionale Chilienne, la FORCH (1913-1917), une organisation syndicaliste libertaire qui était en contact avec ses semblables en Argentine, Uruguay et Pérou. Ils ont aussi collaboré aux grandes manifestations de locataires et contre la hausse des prix des transports collectifs. Et les grèves et les campagnes en solidarité avec les prisonniers et les persécutés politiques au Chili et dans le monde n’ont pas manqué.

À notre avis, c’est entre 1917 et 1925 que la société chilienne a connu la période durant laquelle les anarchistes et les syndicats principaux (cordonniers, typographes, boulangers, dockers et ouvriers du bâtiment) ont eu la plus grand influence. Pendant quelques années la centrale ouvrière IWW ( Industrial Workers of The World) fondée en 1919, a rassemblé différents groupes libertaires dans tout le pays, particulièrement à Iquique, Valparaíso, Santiago, Rancagua, Talca, Concepción et Talcahuano, et dans les ports depuis Arica jusqu’à Punta Arenas [Ndt : du nord au sud]. L’influence culturelle et politique des anarchistes se faisait aussi beaucoup sentir dans la Fédération d’Étudiants du Chili, dans l’Association Générale de Professeurs et dans la Fédération Ouvrière de Magallanes.

Malgré tout cela il y avait aussi des conflits internes. Au milieu des années 1920, les groupes libertaires vont se diviser en deux pôles presque irréconciliables. D’un côté il y avait ceux de l’IWW qui proposaient de s’organiser par industries (en rassemblant différents métiers) et de l’autre côté il y avait les dits syndicats autonomes, qui préféraient se rassembler entre métiers (indépendants) et de façon plus décentralisée et fédéraliste que les IWW. En 1926 ces derniers, qui étaient majoritaires dans le monde anarchiste, vont refondre la FORCH.

Le milieu libertaire était tellement conflictuel que l’État et les commerçants ont du avoir recours à différentes stratégies pour y mettre un terme, depuis la persécution de la presse jusqu’à l’incarcération des acteurs les plus visibles. La Loi de Résidence de 1918, crée pour expulser les étrangers subversifs, est l’une des nombreuses preuves de cette volonté chaque fois plus répressive. En 1920, sans aller plus loin, des agents de la police de Valparaíso montent de toute pièce une histoire de dynamite pour arrêter l’IWW. Dans le retentissant « Procès des subversifs », où ils sont accusés d’être des « agitateurs payés par le gouvernement péruvien », plus d’une centaine de syndicalistes seront emprisonnés. Le jeune poète José Domingo Gómez Rojas mourra derrière les barreaux le 29 septembre. Le montage sera découvert en 1921.

Les symptômes dramatiques de la pauvreté urbaine, la révolution russe, la crise du salpêtre et le chômage qui en découle, l’augmentation du coût de la vie, le renforcement du syndicalisme révolutionnaire, les grèves innombrables et d’autres facteurs locaux et étrangers ont accentué l’essor de la conflictualité sociale. Le besoin de freiner cette situation, additionné à l’ascension de la bourgeoisie dans les espaces politiques formels, a dérivé vers une lente transformation de l’État et sa relation avec les mouvements sociaux. Depuis certaines initiatives parlementaires isolées, on en est arrivé, non pas sans contretemps, à la promulgation des dites Lois Sociales (1924-1925), ce qui va modifier pour toujours le monde syndical chilien. Le vieux discours anti-étatique des libertaires, qui avait eu de nombreux échos dans les années d’absence de l’État, va perdre son charme avec ce nouveau scénario. De nombreux ouvrièr-e-s vont préférer lutter sous couvert des institutions gouvernementales au lieu de préserver l’autonomie qu’exigeaient les groupes acrates. La transformation de la politique étatique concernant le monde du travail explique en grande partie la crise de l’anarchisme qui va suivre. Une autre raison notable est l’essor des partis de gauche, surtout le parti Communiste et le nouveau Parti Socialiste (1933).

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le mouvement libertaire n’a pas disparu avec la dictature du Général Carlos Ibáñez del Campo (1927-1931), même lorsque la persécution, la prison, l’exil, la torture et les assassinats avaient laminé ses rangs. De fait, d’après nos études, il y a eu un phénomène très particulier que nous avons appelé «  de crise vers l’extérieur et d’essor vers l’intérieur ». L’anarchisme et le syndicalisme libertaire des années 30 a été beaucoup plus diversifié, abondant et actif, même si moins influent pour la société chilienne, que celui qui existait dans la décennie précédente. Le développement et la consolidation nationale de la Confédération Générale de Travailleurs, la CGT (1931-1953) et de ses syndicats conflictuels (typographes, plâtriers, électriciens, peintres, plombiers, maçons, marbriers, ferronniers, tailleurs, cordonniers, cantonniers, charpentiers, briquetiers), l’essor d’initiatives culturelles, la création d’une dizaine de syndicats paysans et d’innombrables groupes de propagande dans tout le pays, témoignent de cela. Des noyaux actifs se développent, particulièrement à Arica, Iquique, Antofagasta, Tocopilla, Copiapó, La Serena, Coquimbo, Valparaíso, Viña del Mar, San Antonio, Santiago, Rancagua, Talca, Curicó, Linares, Chillán, Concepción, Talcahuano, Temuco, Valdivia, Osorno et Puerto Montt.

Au cours de cette décennie, en plus des traditionnelles revendications économiques (réduction des journées de travail, augmentation des salaires, conventions collectives), les groupes libertaires vont se mobiliser pour la fin des législations répressives en cours, pour la liberté de la presse et des organisations, pour l’amélioration des conditions de logement, pour la culture, l’éducation et la santé. Aussi pour la fin du latifundio [2] et l’arrêt des violations contre les mapuches ; pour les campagnes anti-fascistes locales et en solidarité avec leurs compagnons dans la guerre civile espagnole (1936-1939). Enfin, les IWW disposaient d’une clinique autogérée (1923-1954) et les troupes de théâtre libertaire se déployaient un peu partout (il y en avait plus d’une cinquantaine).

Mais l’histoire voguait vers une autre direction. Toutes les raisons exposées avant, unies maintenant à l’incoordination et aux divisions internes de la CGT et des acrates en général (se taxant de « puristes » ou « d’économistes » selon les camps), ainsi que la perte de l’hégémonie dans leurs branches professionnelles historiques, ont accéléré la marginalisation de l’anarchisme des mouvements sociaux chiliens. Les bastions où son empreinte persista plus longtemps étaient l’Union de Résistance des Plâtriers (1917-1973), la Fédération d’Ouvriers d’Imprimerie du Chili (1921-1973) et à un degré important la Fédération Ouvrière Nationale du Cuir et de la Chaussure (1949-1973), toutes avec des filiales dans plusieurs villes du pays.

Les derniers épisodes à échelle nationale, où certains groupes libertaires ont eu une participation active, ont probablement été la création de la Central Unique de Travailleurs (CUT) en 1953 et la grève Générale du 7 juillet 1955. Cependant ils seront rapidement laissés en dehors de la principale organisation ouvrière par les partis politiques de gauche de l’époque.

Évidemment, la participation dans ces initiatives était aussi source de polémiques internes. Le devenir et la cote de la Fédération Anarchiste Internationale (1947-1960), qui rassembla un temps la majorité des libertaires, la révolution cubaine et la politique d’alliances avec des partis marxistes de certains secteurs, provoquaient aussi des disputes acides.

Dans les années 60 la présence anti-autoritaire se réduisait à une poignée d’individus, de groupes et quelques syndicats de plâtriers, métallurgistes, poissonniers, peintres en bâtiment et cordonniers. Un vaste esprit révolutionnaire parcourrait le continent, mais les acrates, sans relève et sans analyses actualisées sur la réalité, enthousiasmaient peu. La gauche marxiste -dans ses différents aspects- leur prenait leurs syndicats et se développait largement, surtout parmi les jeunes.

Derrière eux il restait les quelques apports que les libertaires avaient transmis aux travailleurs du pays. Les commémorations du Premier mai, les sociétés de résistance, les premiers contrats collectifs, la conquête des journée de travail de 8 et 6 heures (1917 et 1931), les roulements des dockers, les polycliniques et les troupes de théâtre autogérées, l’influence sur des écrivains et artistes (Manuel Rojas, José Santos González Vera, Óscar Castro), et autres témoignages de la diversité acrate semblaient être les fantômes d’un passé bien lointain.

L’anarchisme qui est arrivé aux années de l’Unité Populaire (1970-1973) était extrêmement marginal. Sa lutte pour étendre les transformations sociales de façon autonome et au-delà de l’État, en se positionnant à la fois contre la droite et les partis de gauche, n’a pas eu beaucoup de retour. Pour la même raison, lors qu’est arrivé le coup de 1973, la violence étatique ne s’est pas déchaînée directement sur eux, car ils ne représentaient pas une grande menace, en tout cas pas en comparaison avec les partis de gauche. Dans tous les cas, certains libertaires ont été emprisonnés et d’autres ont dû quitter le pays. La vieille compagnonne Flora Sanhueza mourra quant à elle suite aux tortures.

De façon paradoxale le contexte de forte répression de la dictature militaire (1973-1989) verra réapparaître petit à petit le mouvement libertaire dans le pays, au point que la réarticulation à l’intérieur, additionnée à la solidarité internationale que les anarchistes chiliens exilés en Europe tentaient de coordonner, en finirent avec la crise d’initiatives qui emportait le mouvement depuis les années 40. Sous couvert de clubs de sport, de centre naturistes, et à travers des syndicats, organisations pour les droits de l’homme, ateliers de quartier et coopératives, certains tentaient d’agir dans la clandestinité. Il y en a aussi qui se sont concentrés sur le sabotage et la lutte armée.

Suite au retour de la démocratie dans les années 90, cet essor a continué, facilité par le « retour » d’exilés d’Europe, la propagande acharnée d’anciens compagnons, et surtout grâce à une nouvelle vague d’intérêt chez les jeunes envers cette « idéologie disparue », intérêt favorisé aussi par la crise des dits socialismes réels et du discours autoritaire. Quelques noyaux vont éclore dans la capitale, à Concepción et à Temuco. Plus tard, et parallèlement, vont se créer et disparaître des initiatives un peu partout. La musique punk, la culture underground, l’écologisme radical, la lutte anti-carcérale, les groupes armés, l’autodétermination du peuple mapuche, seront certains des aspects dans lesquels puisaient ces nouveaux courants anarchistes. Tout cela accompagné par beaucoup de créativité, activité, misère et querelles internes, bien évidemment.

Les anarchistes d’aujourd’hui

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Pendant des années, le renouveau de ses multiples formes se développait sans grand scandale médiatique dans les poblaciones [3], les universités, les circuits underground et dans les squats. D’innombrables ateliers, débats publics, livres et publications, fanzines et journaux, collectifs et groupes de musique punk, engageaient des luttes contre le service militaire, le vote, le progrès, le système carcéral, le spécisme, le patriarcat. Parmi les sujets de débat interne il y avait l’unité, sortir de ses ghettos, la manière de participer aux mouvements sociaux, et l’usage de la violence contre les institutions autoritaires. Bien entendu tout le monde ne tombait pas d’accord. C’est en fait ce dernier point, aujourd’hui comme tout au long de son histoire particulière, qui les a sorti de l’anonymat.

On pourrait préciser que, plus ou moins depuis 2006, l’anarchisme a de nouveau attiré l’attention des médias et de l’opinion publique de façon systématique. Le cocktail Molotov lancé sur La Moneda [4] en septembre de cette même année a agi comme un signe annonciateur. L’anarchisme a commencé à être directement lié aux émeutes avec les dits violents, capuchas [5] et lumpen, au final tous inclus sous l’appellation d’anarchistes. En parallèle de cela des centaines d’attaques explosives contre des DAB et des bâtiments représentant le pouvoir ont eu lieu dans le pays.

Évidemment il y a des secteurs proches de ces méthodes qui se réclament anti-autoritaires et insurrectionalistes, et d’autres qui appuient ce genre d’acte d’une manière partielle et critique, mais c’est une erreur d’attribuer ce chemin à tous les anarchistes, même lorsque les campagnes de solidarité dépassent très souvent le champs des affinités. Malgré tout, il y a actuellement plusieurs anarchistes et anti-autoritaires en prison ou sous les coups de la justice.

L’association de la violence et même du terrorisme avec l’anarchisme, que fait en permanence la presse au Chili, est une expression claire de poursuite politique. Le Caso Bombas (2009-2012), procès qui a mis en prison 14 personnes sous accusation d’appartenance à un groupe illégal de caractère terroriste, a été l’expression juridique d’une croisade politique qui était depuis longtemps présente dans les médias.

Mais aujourd’hui comme hier, il y a différentes tendances et d’autres espaces de manifestation. Depuis 2012 a eu lieu annuellement le Salon du Livre et de la Propagande Anarchiste à Santiago, duquel ont assisté des milliers de personnes de tout le pays. Et d’autres journées libertaires se sont déroulées au nord et au sud. La prolifération et la vie des squats et centres sociaux, publications, distros, la mise en place de rencontres et d’ateliers, l’exploration de thèmes en rapport avec la santé, la ruralité, la sexualité, le muralisme, la musique, l’auto-éducation, l’économie sociale, ainsi que la participation à différents conflits sociaux et environnementaux locaux sont un exemple de cette large variété dans laquelle s’estompe et se projette l’activité acrate. La majorité de ces efforts se manifestent de façon autonome. À certaines occasions ils sont coordonnés pour des initiatives de plus grande envergure telles que des campagnes anti-carcérales, des actions de solidarité, des échanges d’expérience ou tournées de propagande.

Un autre tendance très visible, qui est en partie héritière des dits néo-plateformistes, et qui souvent ne se revendique pas anarchiste mais utilise le terme plus large de « libertaire », a réalisé depuis une dizaine d’années un travail actif dans le pays, en matière de syndicats, groupes d’étudiants, groupes de muralistes, groupes féministes et autres espaces sociaux et politiques. L’une de ses organisations, le Front d’Étudiants Libertaires, est présente dans plusieurs fédérations universitaires du pays.

Orientations

De nombreux jeunes ont été mis en contact avec l’anarchisme dans le contexte des mobilisations étudiantes de ces dernières années. Qui sait si la représentation, bien qu’altérée, de la presse n’aurait pas servi à diffuser ces idées. Cela, ainsi que la consolidation du milieu acrate (groupes, lieux, publications), a permis l’irruption de nouvelles générations. Le tout traversé de problèmes typiques des espaces et collectifs politiques (leaders, auto-référence, luttes d’égos, intolérance). Aujourd’hui les expressions de l’anarchisme sont multiples, et s’excluent même les unes des autres, et sont certainement différentes de celles qui ont orienté leurs prédécesseurs. Cependant, ces idées qui caractérisent cet idéal ont survécu et en définitive elles ont, d’une façon ou d’une autre, contribué aux mouvement sociaux chiliens. Parce que, même si ce ne sont pas des concepts exclusifs aux anarchistes, ils n’ont pas été à la remorque en ce qui concerne la diffusion et la radicalisation des idées d’action directe, d’autogestion, d’abstentionnisme politisé, de luttes anti-carcérales et autres revendications qui participent au voyage vers l’autodétermination complète.

Produit de certaines attaques explosives, automatiquement attribuées par la presse aux anarchistes, de nouvelles mesures répressives ont été approuvées au cours des dernières années. C’est probable que ça continue dans ce sens et que les différentes tendances libertaires continuent de déployer leurs activités diverses, dans leurs circuits comme vers le reste de la population. Et c’est l’histoire, ainsi qu’elles et eux, qui montreront si finalement ce contexte particulier est une mode ou un printemps.

Víctor Muñoz Cortés
Temuco, Printemps 2014

NdT :

[1] huelga del mono : grève au cours de laquelle les cheminots de Valparaíso s’opposent, par une grève qui deviendra générale en octobre et novembre 1913, à l’instauration d’un décret ministériel qui obligeait les ouvriers de chemin de fer à se faire photographier, dans le vrai but d’identifier et réprimer les dits « agitateurs professionnels ».

[2] Grandes exploitations agricoles

[3] Quartiers pauvres périphériques

[4] En 2006 un cocktail molotov sera lancé sur le Palacio de la Moneda (palais présidentiel) au cours de la manifestation annuelle qui comémore le putsch du 11 septembre. Cela provoquera un énorme scandale chez les sociaux-démocrates, qui se souviennent des bombardement de Pinochet sur le même palais.

[5] Les capuchas ce sont ceux/celles qui portent une cagoule faite avec un teeshirt (appelée capucha)

Récupérer la mémoire historique : chapitres de la Guerre Sociale

[Au sujet du massacre de l’école Santa-Maria de Iquique, d’Efraín Plaza Olmedo et Antonio Ramón Ramón, anarchistes du début du XX°siècle au Chili.]

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L’intense diffusion des idées anarchistes dans le mouvement ouvrier fin XIX° et débuts du XX° siècle a permis aux anarco-syndicalistes de conduire la grande grève d’Iquique en 1907. Les demandes des travailleurs étaient l’amélioration des salaires, des roulements définis, la suppression du système de fiches et de bons, accorder des locaux pour de futures écoles ouvrières, des jours de repos, parmi d’autres choses. Ils étaient des milliers à se rassembler dans l’école Santa Maria pour « négocier », mais la réponse de la bourgeoisie ne s’est pas faite attendre et sous la présidence de Pedro Montt, l’armée, sous les ordres du commandant Roberto Silva Renard, a ouvert le feu sur les grévistes. Ceci représente le chapitre le plus noir du mouvement ouvrier de ce territoire. Le nombre de morts varie, bien entendu, car le pouvoir a tenté de dissimuler par tous les moyens le chiffre officiel, mais on évalue qu’ils seraient plus de 3000, femmes, hommes et enfants, et des ouvriers de pays voisins, du Pérou, de Bolivie, qui avaient fermement décidé de rester jusqu’aux dernières conséquences.

Des années après les anarchistes ont commémoré de différentes façons ce triste épisode survenu dans le nord du territoire. Quatre ans plus tard, le 21 décembre 1911, 3 bombes explosent dans le couvent des Pères des Carmélites Aux Pieds Nus, situé dans le quartier d’Independencia, à Santiago, faisant ainsi revivre les exécutions délibérées de la part de l’armée chilienne. La Société de Résistance des Métiers Divers sera liée à cette action.

Dans cette organisation d’ouvriers se trouvaient des anarchistes de Santiago qui participaient à différents groupes d’agitation, de propagande et de diffusion des idées et des pratiques acrates. Il y avait plusieurs organisations liées à la Société de Résistance des Métiers Divers, celles des boulangers, des chauffeurs de tramway, des cordonniers, des charpentiers,  des forgerons, des mécaniciens, des coiffeurs, etc. Au sein de cette organisation se trouvait le compagnon Efraín Plaza Olmedo, charpentier et anarchiste.

La Société de Résistance des Métiers Divers participera au rassemblement illégal du 1° mai 1912, où des milliers de manifestants  parcourront la ville avec des pancartes que l’on peut voir sur des photos de l’époque et qui disent : « Ni dieu ni maître », « À bas le service militaire obligatoire », « L’armée c’est l’école du crime ». C’est à cette occasion qu’Efraín Plaza Olmedo va faire anonymement un discours à la tribune ouverte, dans le quartier de Recoleta.

Deux mois après le rassemblement du 1° mai, plus précisément le 14 juillet 1912, Efraín Plaza Olmedo va tirer sur deux jeunes bourgeois, à l’angle des rues Ahumada et Huérfanos (rues commerçantes et lieu de promenade de la bourgeoisie à cette époque), les tuant sur place. Le compagnon tentera de fuir, mais il sera capturé, et lorsqu’il sera interrogé il déclarera qu’il avait acheté le revolver pour assassiner le président Pedro Montt et quelques chefs militaires responsables de la tuerie de l’école Santa María.

Mais ce ne seront pas les seuls actes de vengeance. Deux ans plus tard, un poignard vengeur se plantera dans le commandant Roberto Silva Renard, plus précisément le 14 décembre 1914, à presque 7 ans de la tuerie de l’école Santa María, aux environs du parc Cousiño (qui s’appelle aujourd’hui le parc O’Higgins, à Santiago). L’anarchiste Antonio Ramón Ramón, d’origine espagnole, était en Argentine lorsqu’il a entendu parler dans la presse des événements sanglants d’Iquique, et il a alors décidé d’entreprendre un voyage dans ces terres, à la recherche de son frère, qui travaillait dans les mines de salpêtre d’Iquique. À son arrivée il apprendra que lui aussi est mort sous les balles.

Ces événements, et la mort de son frère, vont inciter Antonio Ramón Ramón à tenter par ses propres moyens d’assassiner le responsable de ces morts. Ainsi, aux environs du parc Cousiño, le compagnon va se trouver face à face avec le bourreau, et lui administrera 5 coups de poignards, qui malheureusement ne lui donneront pas la mort, mais qui le blesseront gravement, et l’obligeront à se retirer de l’armée et à porter un bandeau sur l’œil jusqu’à sa mort.

Les deux compagnons cités ici iront en prison à la suite de leurs actes de vengeance. Et dans le milieu anarchiste la solidarité ne va pas se faire attendre, en mettant en place différents moyens de soutien, des collectes, des rassemblements, des discussions, des manifestations, des journaux, des campagnes internationales, etc. Mais tout n’était pas rose, il y avait aussi des personnes qui se dissociaient et rejetaient de telles actions, reniant leurs idées et pratiques par peur de la répression.

Le compagnon Efraín Plaza Olmedo réussira à sortir de prison la première semaine de mars 1925 et mourra assassiné d’une balle dans la tête le 27 avril de la même année. On trouvera son corps dans un canal, à côté d’un saule à Conchali (au nord de Santiago).

Le compagnon Antonio Ramón Ramón réussira à sortir de prison en 1922. Son expulsion du territoire étant prononcé, Juan Onofre Chamorro (un anarchiste connu de cette époque) lui donnera 1500 livres pour son voyage vers sa ville natale. Malheureusement il y a des théories qui disent qu’il n’est jamais sorti de prison, comme d’autres qui disent qu’il s’est suicidé, mourant dans l’anonymat.

***

Ce petit résumé a pour objectif de récupérer des événements historiques, de comprendre que la lutte révolutionnaire n’a pas surgi il y a seulement quelques décennies, mais qu’elle est dans cette région depuis longtemps, où l’agitation, la propagande et l’action violente ont émergées à la chaleur des idées et des pratiques anarchistes.

Cela nous éclaire aussi sur les agissements du pouvoir, puisqu’il a utilisé toutes ses forces pour arrêter l’avancée d’idées et de pratiques révolutionnaires, par le sang et le feu, depuis cette époque jusqu’à maintenant. Les appareils de sécurité de l’État /Capital ont protégé les intérêts du pouvoir, sans remettre en question les atrocités qu’ils ont commises au nom de ceux-ci. Cela réaffirme notre prise de position au moment de nous impliquer dans la guerre ouvertement déclarée contre l’État/Capital. Nous ne pouvons pas être indifférents face à un passé de lutte où des compagnons ont dignement assumé les coûts de la mort et de la prison au nom de la liberté et de l’anarchie.

Nous souhaitons récupérer ces moments historiques, faire revivre la mémoire combative de l’action vengeresse de nos compagnons, se souvenir de comment certains anarchistes se sont dissociés de ceux tombés en prison, reniant la confrontation directe avec le pouvoir par peur de la répression. Mais face à ces individus méprisables il y a des compagnons qui font vivre la solidarité de façon désintéressée, sans laisser de doute sur leurs liens et soutenant de façons diverses ceux qui souffrent de l’isolement.

Cet exemple nous fait bien sûr comprendre que depuis le XX° siècle jusqu’à nos jours nous pouvons nous retrouver face à des personnes qui nient les liens qu’ils peuvent avoir et finissent par rendre inoffensive la guerre déclarée contre toute autorité. D’autre part, nous rencontrons aussi des personnes qui n’ont aucune projection dans cette tranchée de la guerre sociale, qui ne prennent pas la mesure des diverses formes de lutte et qui ont fini par être des délateurs de ceux qu’ils avaient appelés compagnons.

Pour finir, comme dans ces années-là, la solidarité indéfectible se laisse voir avec fierté dans l’actualité, car il existe de valeureux compagnons qui, comprenant les risques et assumant les éventuelles conséquences d’une vie de lutte, ont des idées et pratiques claires, et malgré les progrès de l’État/Capital, ils continuent de perpétuer la mémoire, l’action et la solidarité révolutionnaire contre toute forme d’autorité.

Collectif Lucha Revolucionaria

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[Voici un pamphlet d’Efraín Plaza Olmedo, qui signe ici sous le pseudonyme de Juan Levadura]

Trouvez-vous un revolver. Le plus tôt sera le mieux. Achetez-le, empruntez-le, ou bien volez-le. L’idée c’est que vous devez être armé. Vous croyez peut-être que la révolution sociale se fera avec des serpentins comme pour le carnaval ? Vous croyez que les capitalistes vont restituer les terres et les usines, comme ils donnent leurs filles aux millionnaires ? Êtes-vous aussi bête pour croire en une harmonie possible entre patrons et ouvriers ? Vous ne voyez donc pas que chaque jour, partout dans le monde, lorsque les ouvriers exigent une amélioration, des soldats armés de fusils et de baïonnettes apparaissent ? Vous n’avez donc pas vu que lors de la grève des compagnons chauffeurs de tramway il y avait toute une armée pour protéger les traîtres ? Bon. Et si cela se passe lorsque l’on proteste ou que l’on demande des améliorations, ce qui n’est rien au final, que se passera-t-il lorsque nous exigerons le droit à la terre, à la vie, à la liberté ? Réfléchissez bien à ce que je vous dis.

Trouvez-vous un revolver, et entraînez-vous suffisamment. Fabriquez-vous une cible pour tirer. Dessinez-y la tête d’Astorquiza, de Zañartu, de Gonzalo Bulnes ou la vôtre si vous voulez … Tirez et tirez encore. Préparez-vous pour la Révolution qui arrive. Conseillez à vos autres camarades d’en faire de même. Ceux qui vous parlent « d’évolution pacifique » et de « solutions harmonieuses » avec la classe capitaliste, vous trompent misérablement. Vous ne voyez donc pas qu’en Russie les travailleurs durent s’armer pour renverser tous les tyrans ? Vous ne voyez donc pas comment aujourd’hui ils vivent à leur aise, profitant de toute sorte de confort ? Cela fait plus de cent ans que vous devez supporter pacifiquement toutes sortes d’humiliations, et qu’avez-vous obtenu en échange de la part de vos maîtres ? Le misérable taudis dans lequel vous vivez et que vous devez payer à prix d’or, les maladies qui vous tuent prématurément ainsi que vos enfants, les guerres qui sèment la faim et la douleur dans les foyers, et la mitraille que vous recevez lorsque vous exigez un peu de nourriture et un peu de justice pour votre famille et enfants … Tout cela c’est le salaire de vos peines et de vos sacrifices … Soyez-en convaincu une bonne fois pour toute.

Trouvez-vous un revolver. Le plus tôt sera le mieux. Achetez-le, empruntez-le, ou bien volez-le. L’idée c’est que vous devez être armé. Lorsque la classe ouvrière, consciente et armée, exigera son droit à la vie et à la liberté, vous verrez alors comment tombent les trônes et les tyrans. Et tant que vous continuerez de crier comme un idiot dans la rue, quémandant pain et justice, vous verrez comment les balles pleuvent sur votre tête.

C’est tout. Trouvez-vous un revolver, et en conseillant aux autres de se préparer à la Révolution vous verrez renaître une nouvelle aube pour le monde.

Trouvez-vous un revolver !

Juan Levadura, journal El Comunista,

Santiago,1921.

 

Dernière note de Solidaridad Negra : des projets qui ferment et d’autres qui naissent

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Dernière note de Solidaridad Negra, trois ans après la vague de répression en Bolivie.

Nous croyons qu’il est important de fermer des histoires et des procès qui semblent ne jamais se terminer, selon nos propres rythmes et objectifs, mais aussi selon les contextes et moments.

Solidaridad Negra est né en tant qu’espace de diffusion, et en même temps d’interaction solidaire, avec le compagnon Henry, au cours des moments les plus difficiles de la répression dans ces terres. Nous croyions alors, et le croyons toujours, que c’était une contribution nécessaire et que ça a donné d’excellentes réponses et liens solidaires qui ont renforcé le compagnon de façon opportune. Nous avons beaucoup appris de chaque bise et clins d’œil complices. Nous nous sommes fortifiés, notre activité anarchiste s’est nourrie et a continué d’avancer grâce à tous ces compagnons. Nous pensons aussi avoir atteint notre objectif de soutien envers le compagnon Henry, par une solidarité active et combative.

Cependant les temps ont changé, et même si le procès n’est pas terminé, nous ne pensons pas qu’il soit judicieux de maintenir le rythme de contre-information basé sur des audiences suspendues, qui maintenant ne sont même plus demandées. Dans ce sens, nous pensons que même si la justice maintient l’affaire ouverte afin de garder sous le coude les inculpés, il faut poursuivre vers là où nos intentions nous mènent et inciter nos compagnons à continuer de voler dans le ciel, avançant en cherchant chaque jour à nous sentir plus accomplis, libres et heureux, luttant contre les multiples formes d’oppression qui nous volent la vie et contre l’apathie qui nous domestique.

Ce sera probablement la dernière fois que nous publierons quelque chose jusqu’à ce que le procès soit terminé. L’adresse mail sera toujours fonctionnelle afin qu’on puisse communiquer et conspirer avec nous. C’est précisément ce 29 mai, trois ans après la vague de répression sur le territoire contrôlé par l’État de Bolivie. Et tout en voulant déclarer une fois de plus notre solidarité envers notre compagnon Henry, nous voulons envoyer toute notre force, notre amitié et notre complicité au site Irakunditxs, un projet qui existe depuis un moment et maintient une position politique importante en terme de contre-information locale et internationale. C’est un projet auquel nous apporterons notre soutien d’une façon ou d’une autre, car il est temps d’élargir les horizons de la solidarité et de la contre-information. Bonne chance compagnons !

À Henry, notre solidarité ferme, notre main tendue, notre rage partagée. Beaucoup de force à toi, Guerrier ! Ce sont trois ans d’une détermination ferme, qui ne doute pas et nous inspire, qui ont passé.

Nous en profitons pour envoyer, dans un geste de solidarité constant, une grosse bise aux compagnons suivants :
Gabriel Pombo da Silva, Claudio Lavazza, Marco Camenisch, Marcelo, Freddy, Carlos et Juan, Tripa, Chivo, Fallon, Amelie, Abraham, Mario et Braulio, Juan, Nataly, Guillermo et Enrique, Monica, Francisco et les trois de Barcelone, aux compagnons prisonniers des opérations Pandora et Piñata en Espagne, aux compagnons de Culmine, à Alfredo Cospito et Nicola Gai et les prisonniers de l’opération Ardire en Italie, aux prisonniers du No tav, à Tamara, Tato et Javi.
Aux bêtes indomptables de la Conspiration des Cellules de Feu, leur révolte dans les prisons a été une leçon de force, d’irréductibilité et de fermeté. À Nikos Maziotis et Kostas Gournas, membres de Lutte Révolutionnaire. À Ilya Romanov, aux prisonniers en Turquie, à Eat et Billy, à ceux enfermés pour avoir garder le silence. À ceux en cavale, et aux prisonniers dont ils n’ont jamais pu s’emparer du cœur.

Nous voulons remercier pour le soutien des différents sites de contre-information qui continuent, qui ont fermé et qui émergeront régulièrement, pour faire de la contre-information une arme de combat et de solidarité.

Jusqu’à la libération Totale.
Destruction des prisons !

Solidaridad Negra
29 mai 2015

Bolivie : il y a trois ans

pajaritos

Cet anonymat n’est pas un refuge, c’est le détachement le plus total

Aujourd’hui, alors que j’écris ces mots, je lis dans un journal qu’à Llallagua ils ont incendié les bureaux du juge pour enfant, du procureur, des bureaux de la police et la maison d’un violeur qui a reconnu ses faits. Je souris. Je m’en réjouis, ils ne vont pas attendre que la police s’en charge, ils détruisent les institutions de l’État, ils les attaquent. Mais le sourire passe … C’est bien, c’est différent la révolte collective. Moins de risques (d’après certains), mais possible à chaque instant (le sourire revient).

 Un essai d’irrévérence

Je hais les textes qui, par des détails littéraires et de la grande philosophie, décrivent les buts des anarchistes afin de les rendre plus sympathiques aux lecteurs. Lorsque j’écris ce texte ça n’est pas avec l’intention de faire plaisir à qui que ce soit, ou de donner une bonne image, pas même de donner des explications, au contraire je cherche à insister de façon antipathique (à partir des attaques explosives et incendiaires à La Paz, Sucre et Cochabamba entre 2011 et 2012) sur le fait que l’attaque anarchiste ne peut pas rester un cas isolé. Cela dépend de chacun de donner à la révolte un potentiel de joie et de haine qui découlent chaotiquement de nos vies, et sentir dans chaque pas d’insoumission la joie débordante de la liberté.

C’est gênant de reparler de l’existence des groupes d’action et des attaques contre des symboles physiques de la domination sur le territoire contrôlé par l’État bolivien, parce que le procès judiciaire est toujours en cours et parce que le mouvement n’a pas encore réussi à se remettre du contrecoup du système. Mais c’est précisément pour cela que c’est d’autant plus important de continuer la réflexion, la prise de position honnête et ferme sur ce qui s’est passé, et c’est là que je veux en venir.

Le 29 on a manqué de feu …

Le 29 mai, après les arrestations, ce qui a le plus manqué c’est le feu. Les communiqués informant que les détenus n’avaient rien à voir avec les attaques n’ont pas eu, et c’était évident qu’ils n’allaient pas l’avoir, la force nécessaire. La force ne pouvait venir que du feu, de plus d’attaques, et cela a été une erreur fatale déterminante, pas seulement pour les détenus, mais pour l’offensive anarchiste même, parce qu’à partir de là la répression a réussi à réduire tout un mouvement grandissant en une succession de tranchées épouvantées. Que s’est-il passé ? Il y a simplement eu une grande confusion et l’envie de s’éviter la détention, et donc il y a eu peu d’agitation, peu de stratégie et peu de sécurité au moment de se réunir entre personnes d’affinité afin de réagir comme il aurait fallu le faire : en brûlant et attaquant tout ce qu’on pouvait. Je le dis comme ça en toute clarté, afin que ceux qui font fasse à la répression sachent que le jour même où ça se passe il faut attaquer, et le suivant, et celui d’après, pour qu’il soit clair que les détenus ne sont pas les responsables, car nous savons que la police se trompe sans aucune honte. Et afin que la flamme allumée par certains ne s’éteigne pas avec l’arrestation d’autres.

Si cela semble une réflexion très basique c’est parce qu’il y a eu des erreurs de ce genre, et c’est important que ça se sache, qu’on parle des choses qui ne sont pas toujours positives, sans besoin de s’auto-flageller pour s’être trompé et sans intention de nier les erreurs.

Après le 29 on ne comptait plus les théories de complot …

On a cherché des explications diverses, et des théories locales de conspiration ont été construites au sujet du processus de répression du 29 mai 2012. Pour moi la réponse est simple : c’était une conséquence évidente. Il y a plusieurs raisons, entre autres la présence d’une personne qui collabore avec l’État et la police. Mais en soi, la défense étatique face aux attaques, une fois qu’ils ont fini de spéculer et qu’ils se sont rendu compte que ça venait des anarchistes, est quelque chose qui devait arriver tôt ou tard. Et il faut le répéter, parce qu’on doit créer nous même les conditions pour affronter les vagues de répression.

La recherche de différentes théories de conspiration qui expliquent le pourquoi des arrestations révèle, à son tour, que les attaques n’avaient pas de sens pour les libertaires, que la prison n’était pas envisageable pour eux (et elle devrait l’être pour n’importe qui qui affronte la domination), et que même aujourd’hui ils évitent de s’opposer à la police et à l’État à cause des détentions. C’est à dire que la violence des arrestations, des perquisitions, de la privation de liberté sans aucune raison, la continuité inquiétante d’un procès qui en n’avançant pas maintient en alerte ceux qui sont impliqués dedans, tout ça n’a pas provoqué plus de rage, plus d’anarchie. La violence de l’enfermement des personnes, dans le but de défendre des distributeurs de monnaie, n’inquiète pas outre mesure, n’enflamme pas la haine, et encore moins les distributeurs. La lobotomie sociale a percé tellement loin que cela semble légitime (pas seulement légal) y compris pour la majorité de ceux qui en subissent les conséquences et qui préfèrent continuer de chercher des explications toujours plus complexes.

Les fantasmes les habitent.

« J’ai souvent entendu parler de celui qui commet un délit comme s’il était non pas l’un des nôtres, mais un étranger et un intrus dans notre monde. »

Les vagues de répression qui se succèdent depuis le Caso Bombas, en passant par les détentions en Grèce, l’arrestation des compagnons de Culmine avec l’opération Ardire, les 5 de Barcelone, l’opération Pandora et Piñata, l’arrestation des compagnons aux Mexique, les prisonniers No tav, le Caso Bombas 2, nous mettent en lien avec différents espaces et moments de solidarité et compagnerisme. Le 29 n’était pas un fait isolé. Ça n’est pas une histoire exceptionnelle. Les prisonniers sont nos compagnons, ils sont parmi nous.

L’infatigable position d’Henry et sa remise en question féroce de la collaboration, délation et trahison a été la seule chose qui a maintenu des liens solidaires avec le reste du paysage anarchiste. La prison, au delà du compagnon, a provoqué un retrait féroce de la faune et la flore anarchiste et libertaire. Tout le processus répressif en Bolivie semblait être « incompréhensible » pour ceux pour qui la répression est logique, légitime et légale. Le 29 n’a pas été un fait isolé. Ce qui a isolé ces terres de la carte de la révolte ce sont des fantasmes. La prison, sur le territoire dominé par la Bolivie, est devenue une présence fantasmatique qui a un vrai rôle de contrôle. Un fantasme qui instille la peur, qui habite les corps et se nourrit de la rage, laissant seulement le trou du repentir, qui s’étend et se déguise, de civisme, d’anarcho-pacifisme, de rebellions citoyennes, de négociations avec la « justice ». Des enfants sages qui mangent leur soupe et font leurs devoirs, mal faits, mais qui les font, qui connaissent les règles et les limites de leur rébellion, et profitent des possibilités alternatives que le marché, alternatif lui aussi, leur offre. Comme c’est difficile de combattre les fantasmes !

Nos vies ont volé en éclat.

 » Au delà d’un certain point il n’y a plus de retour possible. C’est ça le point qu’il faut atteindre. »

Après le 29 mai nos vies ont volé en éclat. Enfermés. Isolés. Exposés, sans personne pour t’ouvrir une porte. Sans pouvoir rentrer à la « maison », fuyant même les « amis ». Nos vies se sont terminées comme nous les avions connues. Ce que nous avons pu faire à partir de là c’est ce qui a creusé les différences profondes jusqu’à aujourd’hui, trois années plus tard, avec des chemins irréconciliables pour certains et avec des tensions plus ou moins fortes pour d’autres.

Le 29 mai nos vies ont été complètement réduites en poussière, et trois ans plus tard qu’est-ce que nous en faisons ? Combien de notre mépris envers le système demeure dans notre cœur et dans nos actions ? Combien, et de quelle manière, ont laissé tombé, se citoyennisant chaque fois un peu plus ? Quelle force on a été capables de sortir de nous-mêmes face à la destruction totale de nos vies ? Et combien d’autres encore ils seront capables de balancer ? Ils défendent toujours la prison ?

Cette secousse a provoqué une reconsidération de ce que sont les zones de confort,  la vie collective, la solitude, la force, les relations et les sentiments, et ça a surtout fait réfléchir sur les positions politiques. Dans mon cas, et dans celui de personnes avec qui j’ai des affinités, la répression, loin de diminuer la détermination anti-autoritaire pour s’attirer la sympathie du pouvoir et de la société (contre laquelle luttait la majorité des détenues), a renforcé la décision de les affronter. Et ainsi cette épuration me semble positive. Le 29 mai a marqué la séparation radicale des manières de considérer la liberté, l’anarchie et la rébellion entre ceux que nous considérions anarchistes. Cela a tracé la frontière entre ceux qui acceptent le système de façon alternative et ceux qui ne l’acceptent sous aucune forme et qui luttent chaque jour pour l’expulser de nos pratiques quotidiennes tout en l’attaquant, en cherchant au moins à déranger, rompre avec la normalité de ce conformisme intello, informé et passif, profondément complice de multiples chaînes d’exploitation.

Le 29 signifiait faire un pas en avant ou se retirer du combat. Et ça a été le point de non-retour à la normalité. Un point qu’on ne peut pas réduire à une date qu’on garde en mémoire, mais à l’expansion de la révolte.

Il faut encore plus de feu, de rébellion et de vandalisme.

La révolte a besoin de tout : journaux et livres, armes et explosifs, réflexions et blasphèmes, venins, poignards et incendies.

La seule question intéressante est : comment les mélanger ?

La tension contre la domination ne peut se passer d’une corrélation entre les idées, actions, formes de vie individuelle et collective, une vie la plus autonome possible et une attaque permanente contre l’autorité de l’État-capitaliste-extractiviste*. Se déplacer rapidement, tout changer. Aimer et détester à l’extrême à chaque endroit, avec chaque compagnon. Planifier avec soin, être prêt à tout, tout le temps. Tout détruire, surtout nos façons de comprendre le monde.

Au delà des erreurs, je suis fier d’avoir fait partie de ces événements. Nos vies ont changé, la séparation s’est faite et personne ne s’est arrêté. C’est toujours possible de transformer la révolte et la violence en une arme efficace contre la monopolisation du pouvoir. C’est à chacun de nous d’écrire les derniers chapitre de cette histoire, ceux qui ont affronté de différentes façons cette répression, ceux qui se sont solidarisé, ceux qui ont observé, ceux qui le veulent mais ne se motivent pas … Nous avons vécu cette répression, nous sommes mieux préparés maintenant. On est tombé et on s’est relevé. Nous avons tendu des liens forts et marqué les différences nécessaires. La terre est fertile. Le pouvoir se prépare, monopolisant chaque espace, reprenant les batailles pour lesquelles nous avons risqué nos vies et qui semblaient être paralysées, comme celle du TIPNIS. L’indignation débordera à nouveau tôt ou tard.

Pour la liberté, le chaos et l’anarchie.

Destruction des prisons !

Depuis un trou, quelque part, dans l’anonymat irrenonciable : à Henry pour son irréductible rébellion, à la meute (compagnons aux hurlements sauvages et enragés qui font tout pour faire vivre l’anarchie à travers le monde), à Xosé Tarrío et Mauricio Morales (nos morts sont avec nous et ne reposent pas en paix, il restent sur le pied de guerre, avec la même fermeté).


Ndt :

* L’extractivisme en Amérique Latine désigne les activités d’exploitation des ressources naturelles à échelle industrielle. Au sujet de la Bolivie on se rappellera les conflits autour de la privatisation de l’eau, mais on peut penser aussi à l’exploitation intensive de toute sortes de minerais, qui ces dernières années a provoqué de violents conflits au Pérou, et les gigantesques exploitations agricoles qui prospèrent en Amérique du Sud. Ces activités d’exploitation intensives diverses ne sont pas sans lien avec le projet de construction d’une route à travers la forêt amazonienne bolivienne, le fameux projet Tipnis.

 Instinto salvaje

Quelques mots du compagnon Henry Zegarrundo à trois ans du coup répressif en Bolivie

kunturi-quilla

Après trois ans de jours longs et obscurs, d’autres intenses et réconfortants à différents moments, en prison, en arrestation domiciliaire, ce réconfort est le début de nouvelles expériences qui aident à émerger, à ne pas étouffer dans le vomi du Pouvoir, des expériences qui font que les éclaboussures de la démocratie ne me transforment pas en un être docile de plus.

Dans l’après-midi du 29 mai 2012, en marchant dans la rue je suis intercepté pour « qu’on me pose quelques questions », des fous en civil sortis d’un échiquier duquel ils n’ont jamais cessé d’être les défenseurs du système établi dont ils clament et imposent la servitude, au nom de l’oppression et du devoir. Gardiens de la démocratie bourgeoise avec l’âme et l’esprit prisonniers de l’obéissance, l’immuabilité, la répression, au final ils ne seront rien de plus que des instruments de domination afin de perpétuer l’esclavage dans leurs âmes misérables. Je suis certain qu’il y a pire que ceux-là, certains prétendent confronter le Pouvoir, mais lorsqu’ils se trouvent entre ses mains, ils deviennent des idiots utiles, d’autre tiennent le rôle d’infiltrés, d’autres enfin ont commencé une chasse aux sorcières, essayant de trouver des « responsables » de ce qui s’est passé, ils ont persécuté, surveillé des maisons de proches de certains compagnons. Le coup répressif n’est pas seulement venu de la part du Pouvoir, il est aussi venu de la part de toutes ces pourritures converties en policiers ad honorem. Tous ceux-là se trouvent dorénavant de l’autre côté de la barricade. Après m’avoir intercepté ils essaient de « me faire parler ». Je ne me prête pas au jeu, je sais qu’il n’y a aucun moyen de se proclamer contre le Pouvoir et en même temps d’être l’un de ses laquais.

La lutte continue durant l’enfermement. La 9° marche pour le TIPNIS arrive à la Paz au mois de juillet 2012. Une bataille qui a du faire face aux multiples stratégies de l’État/Capital pour imposer sa mentalité extractiviste. La répression continue, mais on ne recule pas. La vie quotidienne devient une bataille pour la survie des désirs les plus intenses de destruction de cette saloperie qui s’appelle autorité. Chaque acte de désobéissance, chaque moment dans lequel se répondent les forces pour continuer, chaque acte solidaire est le souffle qui me connecte à l’offensive tandis que la guerre sociale continue.

Ils m’ont transféré de la prison sociale à cette autre, plus petite, plus surveillée, qui m’impose plus de choses, et qui est plus autoritaire, mais finalement ces deux prisons existent, si nous laissons cette existence se perpétuer, nous nous mettons nous-mêmes les fers. Qui que nous soyons dans l’une ou l’autre, nous pouvons choisir de nous soumettre ou de nous rebeller.

Dans l’enfermement tu as très peu d’armes pour continuer le chemin, mais les quelques unes que tu as doivent être bien utilisées : mutineries, grèves de la faim, communiqués, lettres, refus de collaborer, n’importe quelle participation sera toujours une preuve d’insoumission, de courage, de désir de ne pas tomber dans la normalité aliénante de la société. Dans des moments aussi compliqués, lorsque nous sommes enfermés comme n’importe quel animal capturé par l’homme civilisé, il ne nous reste plus que le choix entre être une pourriture ou un anarchiste. La conviction est un souffle d’air pur, l’échec est la soumission qui oblige à se résigner à la pollution. Je préfère choisir la première, il n’y a pas d’intermédiaire entre les deux, l’incertitude grisâtre mènera toujours à agir de façon opportuniste et en rien révolutionnaire.

Des moments qui sont interminables, les heures qui s’arrêtent et vont à l’encontre de ce désir de voir passer le temps rapidement. Puis la cage a changé, pour que je sorte en arrestation domiciliaire. Il y a plusieurs nuances dans la punition, ils te font croire que le système judiciaire est juste et complaisant, mais ça n’est que leur jeu, et au final je suis toujours otage. Les prisonniers continuent d’exister, le Capital continue de faire des ravages. Cette justice hystérique protectrice de la classe exploiteuse et aisée continue dans son long parcours sans destinée, mais avec l’objectif clair de punir ceux qui ne se soumettent pas, et des arguments nauséabonds leur servent d’appui, et tout ça se situe en dehors de mon monde.

Tout État est terroriste, parce qu’il utilise la répression afin de maintenir son état de droit, ses lois, ses normes, son éducation, ses religions. Et pour mettre en avant qu’il est omnipotent, ils nous considèrent comme l’ennemi public, parce que ce qui est normal c’est que les citoyens obéissent têtes baissées et fidèles à leurs normes. La terreur inspirée par le Pouvoir est estompée dans la peau des gens. Notre ennemi n’est pas le citoyen lambda, malgré son obéissance et sa servilité, l’ennemi c’est celui qui essaie de nous arracher la liberté d’exister sans sa présence. Sous toutes les ruines causées par la répression, c’est inévitable qu’ils étouffent le feu des nouvelles pousses qui germent en silence, c’est inévitable qu’ils en finissent avec la lutte pour la liberté absolue, c’est inévitable qu’ils nous acquittent de notre identité acrate.

Pour la destruction des cages humaines et animales.

Henry Z.A.

PS : salutations insoumises à tous ceux qui restent en guerre contre l’autorité et le Pouvoir à l’extérieur et à l’intérieur de la prison, et depuis la digne clandestinité. Une grosse bise à toi, compagnonne en cavale, où que tu sois j’espère que ces mots t’arriveront.

source

Chili : Quelques mots de Diego Rios suite à la fin de son procès

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J’écris ces mots tout d’abord dans l’intention de remercier pour tous les actes, gestes solidaires que j’ai reçu, les plus anonymes, qui ont traversé le monde, pas seulement ces derniers temps, mais depuis presque 6 ans, au moment où a débuté ma situation de fugitif du Pouvoir/État/Justice, ainsi que l’agitation et la solidarité qui se sont déclenchées lorsque la police m’a arrêté en février de cette année.

Deuxièmement, je veux informer au sujet de ma sortie de la Section de Sécurité Maximale de la Prison de Haute Sécurité, après être resté là-bas près de 7 semaines, en prison préventive qui s’est terminée à la suite d’un procès abrégé, dans lequel on me condamne à 541 jours de liberté conditionnelle, c’est à dire, une signature mensuelle, pour le délit de détention de matériel explosif et d’éléments pour la fabrication de matériel explosif.

Le choix d’un procès abrégé, ainsi que le fait de ne pas m’être exprimé ni d’avoir fait de la propagande lors de mon emprisonnement et de mon procès, répond à une décision personnelle dans laquelle j’assume toutes les remises en question que cela implique, car dans la réalisation de celui-ci je devais faire une déclaration inculpatoire, c’est à dire que je devais assumer la responsabilité/perpétration du délit dont on m’accuse.

Aujourd’hui avec toutes les remises en question personnelles je continue d’affirmer mes choix de vie, chacune de mes décisions et les raisons qui m’y ont mené. Le choix d’un procès abrégé est une option encore moins discutable, et je l’ai  choisi car cela n’implique pas de repentir, et n’entraîne aucune forme de délation, ce que je considère comme des critères/valeurs minimes quand on fait face à la prison.

Je remercie encore pour le soutien, la solidarité et la complicité, mais nous savons que rien n’est terminé, et il reste encore beaucoup à faire. Un salut et une bise à tous ceux qui continuent sur leur propre chemin contre le Pouvoir.

Diego Rios.

source

Écrit pour le jour du jeune combattant

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Des chaînes qui tels des oiseaux volent sur les câbles électriques, l’obscurité règne,  et les loups, sauvages comme ils sont, dansent autour du feu qu’ils embrassent.

Des bouteilles allumées qui comme des lucioles illuminent avec la lune la redoutable réponse qui arrive face à une telle agression. Elles explosent … Comme des volcans énervés qui se déchaînent sur les blindés verts. La brume qui tombe et se répand dans les rues au fil des heures, le brouillard épais nous aveugle, un zorrillo* traître nous asphyxie et nous pleurons. Nous pleurons de rage, nous pleurons pour les morts, nous pleurons de bonheur, nous pleurons en nous rebellant, nous pleurons à cause des gaz.

Et la lune ne calme pas cette soirée orageuse. Elle l’observe avec dédain, mais elle observe quand même, car la lune verra toujours ce que le soleil n’a pas pu voir. Comme des chats perchés sur des toits, nous vivons l’agitation. Nous nous déplaçons éreintés jusqu’à chaque carrefour. Les lucioles s’en vont maintenant, les volcans continuent leur incessante et lumineuse furie, les guêpes vont à la rencontre de leur attaque mortelle, et après chaque tir cherchent à s’incruster dans ces crânes misérables.

Les pistolets hurlent, les guêpes partent à l’attaque et les traversent, tandis que la nuit continue dans son apogée. Les blindés verts éclatent en sanglot, pour ensuite fuir pour rester en vie.

La lune est partie, les loups en meute hurlent de joie, les volcans, oiseaux, chats, lucioles et guêpes dansent ensemble victorieux tandis que le chaos se déchaîne à chaque carrefour.

Un flic est mort, et les balles continuent de répondre.

* littéralement c’est la mouffette, mais ça désigne les petits véhicules blindés qui dispersent des gaz lacrymogènes

Contrainformate

Attaque d’un commissariat à Iquique

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Déclaration de l’attaque d’un commissariat à Iquique, le 30 mars 2015

La violence se présente à nous comme une réponse à la soumission que demandent les autorités. Leur répression constante, leur aliénation avec les puissants nous oblige à agir avec les armes qui sont à notre portée. L’institution des Carabineros du Chili représente une protection pour l’ordre autoritaire (appelé aujourd’hui démocratie) revendiqué par l’État dirigé par Michelle Bachelet et ses acolytes (parmi eux le patronat et la droite parlementaire). L’établissement de cet ordre n’engendre pas le bien-être de chacun des individus ni le développement de leurs capacités, car il est mis en place au bénéfice des classes privilégiées et leur morale hiérarchique. La lutte contre l’autorité, et avec elle la soumission, l’injustice, la pauvreté, l’ignorance et la ségrégation, dépasse les méthodes légales de résolution de conflit, et ça n’est pas par le chemin de la légalité que nous avons l’intention de nous libérer de l’esclavage, car c’est ce même chemin qui mène à tout cela. Il n’est pas difficile de voir au quotidien comment les couches de la population les plus dépossédées sont enfermées dans les prisons, tandis que les riches dorment dans leurs lits confortables et se délectent de leurs festins, dilapidant l’argent obtenu grâce au vol du travail des autres.

La réalité nous met dans une situation de confrontation avec l’État, la loi, la police, le capitalisme, le patriarcat et tout ce qui protège consciemment les intérêts des dominants. Nous avons conscience de l’aliénation de ceux qui sont policiers, qui en général appartiennent aux classes opprimés, issus de milieux très pauvres et qui ne le sont pas beaucoup moins dans le présent, mais nous devons voir qu’ils travaillent au service de l’exploitation. Ce sont des années d’histoire répressive, ils le portent dans leur ADN [sic], les victimes sont innombrables, et ils ont toujours été chargés de freiner les processus révolutionnaires, en assassinant au nom des banques, de la dictature, des grands patrons, au nom des Luksic,  Angelini,  Peñailillo [1], de la démocratie et de la classe politique internationale.

Pour tout cela cet acte de violence cherche à symboliser le feu ardent contre l’ennemi. C’est un appel à l’agitation permanente, qui considère que chaque acte violent cherchant à briser les chaînes de l’oppression est un acte de solidarité avec les combattants morts et ceux qui sont dans les centres d’extermination étatique.

Solidarité active avec Nataly Casanova, Juan flores Riquelme, Marcelo Villarroel, Freddy Fuentevilla, Juan Aliste, Mónica Caballero, Tamara Sol Farias, Francisco Solar.

Nous serons comme des cafards, une plaie qui se répand à la chaleur du feu et que pas même la bombe atomique ne pourra exterminer …

Parce que nous ne nous reposons pas entre les griffes du capital, nous l’attaquons par toutes les différentes formes de lutte, jusqu’à détruire la dernière de ses propriétés.

[1] Grandes fortunes chiliennes

Ediciones Aukan

 

Des suites de l’affaire du 18 septembre

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Prison préventive pour un autre compagnon

Enrique est resté près d’une semaine dans un flou juridique, grâce aux magouilles du parquet qui a décidé d’utiliser le délai que permet la loi antiterroriste, obtenant ainsi de le laisser une semaine en taule sans que personne ne sache sous quelles accusations ni dans quelle situation il se trouvait.

Grâce à la loi antiterroriste le parquet du tribunal Sud a accusé le compagnon de placement d’engin explosif, plus particulièrement contre le 1° commissariat et aussi contre le 39° commissariat à El Bosque. L’imagination fabuleuse du parquet accuse de nouveau une personne pour deux actes qui ont eu lieu de façon coordonnée, tout comme il y a quelques mois le parquet avait accusé Juan Flores pour les même faits.

La preuve supposé du parquet serait des mégots.

La seule chose claire et évidente c’est que le parquet souhaite prendre sa revanche et cherche à frapper l’entourage de Juan, Nataly et Guillermo, en condamnant et illégalisant les visites qu’Enrique rendait à Juan et Nataly.

En attendant, la prison préventive pour Juan et Nataly est maintenue.

Avec dignité, sans nier les liens entre personnes et en ne laissant pas l’État se mêler de nos complicités.

Beaucoup de tendresse pour les compagnons en prison !

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Le 06 avril à 13:57, le compagnon Enrique Alfonso Guzman Amadeo, âgé de 25 ans, est arrêté par la police dans la maison de sa famille, à Puente Alto.

Cette arrestation est en lien avec l’affaire de Juan, Nataly et Guillermo, qui ont du faire face à la répression le 18 septembre. Ces enflures de la DIPOLCAR (service de renseignement de la police) et le parquet du tribunal Sud l’accusent d’avoir attaqué avec Juan Flores le 1° commissariat dans le centre de Santiago.

Enrique aurait été surveillé de près par la police ces 25 jours passés, afin de prendre des infos et trouver une raison pour l’arrêter. Il apparaît qu’Enrique a rendu visite à Juan et Nataly en prison. Ce qui une nouvelle fois met en avant le besoin de la part du Pouvoir d’illégaliser des relations et des liens entre compagnons et la tendresse non repentie.

Face à la presse Enrique s’est montré digne et fier, en insultant ces saloperies de journalistes qui le harcelaient.
Le 07 avril il est passé devant le tribunal pour son arrestation. Le parquet du tribunal Sud a obtenu que son arrestation soit prolongée, grâce à des magouilles juridiques, jusqu’au 13 avril, et l’on ne sait pas clairement de quoi il est accusé ni sous quelle législation. Le tribunal a ordonné qu’on lui fasse un prélèvement ADN, car la police aurait soit disant trouvé un mégot dans la maison de Nataly Casanova le 18 septembre, au moment de son arrestation, et ce mégot serait, selon la police, celui d’Enrique, et le même ADN serait présent dans les relevés pris sur le lieu de l’attaque explosive sur le 1° commissariat.

On ne sait pas où se trouve Enrique actuellement. Probablement à Santiago 1, ou dans la Section de Haute Sécurité du CAS.

Solidarité avec Juan, Nataly et Enrique qui sont en prison !

Publicación Refractario