La réalité du virtuel

a89e6e22ab00517a1039ea3cec8d26fb

«Plus ce monde devient invivable et plus son principe devient connaissable. Le concept de spectacle est encore plus intelligible qu’il y a vingts ans. Ce n’est donc pas seulement parmi ceux qui se trouvent rejetés à la périphérie de la société mais aussi bien parmi ceux qui se trouvent en son centre que pourra être formulé, plus explicitement qu’en 1968, le programme révolutionnaire : instaurer la communication sociale » (Os Cangaceiros n°3, La domestication informatique).

De nombreuses fois les accusations sur les raisons de notre foutue apathie pointent vers « internet », et sans plus de raisons concrètes on en fait la cause de la distanciation humaine, de l’exacerbation de l’image, etc … Mais nous devons nous rendre compte que les nouveautés technologiques sont développées par nécessité capitaliste et sont en étroite relation avec sa « mentalité », c’est à dire, avec la « mentalité » dominante. Internet développe et intensifie ce qui existe déjà, créant un cercle vicieux de rétro-alimentation. Le capitalisme développe internet et, à son tour, est conditionné par l’usage de cette nouvelle technologie.

Prenons l’exemple de la façon dont le Capital utilise et modèle en même temps l’isolement moderne dont souffrent de nombreuses personnes, comment il en tire profit et comment ça le renforce pour continuer de leur proposer sa marchandise : si toute la technologie de la communication (qui comprend les ordinateurs, téléphones et autres) rompt l’isolement comme on le prétend, et nous permet de communiquer chaque fois plus, ça n’est pas suspect que chaque jour on nous offre de nouvelles marchandises pour communiquer plus et mieux ? À qui pourrait-on vendre tout ça si ce n’est à des individus isolés qui ont besoin de se débarrasser, grâce à l’image de la communication, de leur solitude et l’angoisse qu’elle entraîne ? L’aliénation capitaliste qui remplaçait l’ « être » par l’ « avoir » s’est encore plus dégradée, passant de l’ « avoir » au « paraître », et quelle meilleure forme de « paraître », de feindre, qu’à travers un écran.

Nous savons que le capitalisme est une relation sociale, et dans cette relation sociale les conversations en dehors du mur de Facebook ne sont pas forcément plus intéressantes que les échanges qui ont lieu derrière l’écran. Internet n’est pas ce qui a ruiné les bonnes-vieilles capacités sociales que nous avions. Il n’y a pas d’un côté « Internet » et de l’autre « la vraie vie », malgré les clichés de ses détracteurs : Internet c’est aussi la vraie vie. Il y a un système de production et reproduction matérielle donné, qui n’est pas externe à lui, qui répond de fait à des besoins bien précis. Ceci étant précisé, nous pouvons continuer avec notre sujet …

«Néanmoins, ce n’est pas la technologie en soit qui dicte la nécessité d’une accélération vide; on peut très bien débrancher les machines ou les faire fonctionner plus lentement. En réalité, c’est le vide de l’espace-temps capitaliste séparé de la vie et sans liens culturels qui impose à la technologie une structure donnée et la transforme en mécanisme autonome de la société, impossible à débrancher. »(Robert Kurz, L’expropriation du temps).

Ceci est une publication relativement courte, et cependant, en ces temps de lecture en ligne elle peut être perçue comme très longue et ainsi il peut sembler difficile de se disposer à la lire. Au delà de notre capacité à écrire de façon agréable ou pas et de l’indifférence massive envers la critique radicale, il y a aussi l’impression qu’elle est longue même pour ceux qui pourraient avoir envie de la lire. En référence à la « critique sociale » notre époque se montre plus attirée par les images et les slogans courts qui se diffusent comme une plaie sur Facebook et d’autres espaces du web, des phrases brèves qui peuvent vaguement vouloir dire tout ou son contraire et qui ne permettent pas d’approfondir sur le sujet qu’elles prétendent aborder. La majorité des messages présentés dans les nouveaux supports technologiques donnent la priorité à la rapidité et la superficialité face à la possibilité de pouvoir partager des idées complètes et précises. Dans ce sens, une affiche ou un tag avec un slogan simple pourraient être mis dans le même sac, cependant, un tag anticlérical sur une église a beaucoup plus de force que mis dans l’espace vide du web. De même, une phrase esthétiquement « combative », courte, abstraite et décontextualisée lancée sur le net peut tomber à pic et être « partagée » autant par un amoureux qui sent qu’il doit « lutter pour son amour », que par un arriviste qui sent qu’il doit « lutter pour un poste plus élevé dans l’entreprise » ou par quelqu’un qui se considère comme une personne combative en étant maoïste, écologiste ou peronniste.

En même temps, cette réduction de concepts alterne avec une surcharge de stimulations peu ou mal digérées qui rendent impuissant son spectateur : des images sans censure d’un massacre ou d’animaux disséqués, des soi-disant recherches de réponses dans des dizaines de livre téléchargés qui ne seront jamais lus et des articles de Wikipédia qui font passer d’un lien à l’autre sans réussir à en finir la lecture. L’impact de l’horreur sans réflexion accable et paralyse, même dans l’apparence du « mouvement ». Et bien plus encore, dans l’espoir qu’une prise de conscience plus ou moins généralisée soit suffisante pour transformer la réalité, une adhésion « cérébrale » à telle ou telle chose.

« La saturation de l’audience face à la multitude de « vérités gênantes » qui ne gênent déjà plus personne, pourrait répondre à la « surconscience » qui, à force de stimulation, est devenue impuissante. La surexposition à une quantité énorme d’informations a lieu au moment où la moindre référence sur le fait de trier l’information est immédiatement réfutée et jetée à la poubelle des idées dépassée ; d’où n’importe quel imbécile l’en sortira un jour pour les vendre une fois vidée de contenu (dans sa langue : une fois actualisée). Ainsi de nombreuses personnes qui veulent une transformation des conditions actuelles de vie ont cru que, en utilisant dans d’autres buts les moyens technologiques, la dite révolution d’information pourrait être orientée vers des objectifs plus hauts. Mais le problème de fond est, en réalité, que très peu croient déjà en ces beaux objectifs, parce que c’est précisément le système technologique dans on ensemble, et pas l’utilisation de la technologie ou cet outil séparé, qui a sapé les bases matérielles nécessaires à une vie relativement autonome et une conscience qui tend vers la liberté de pensée» (revue Cul de sac n°2, Gravats).

Le consommateur d’internet, dans l’illusion de la participation, aime se considérer comme « utilisateur » dont la définition dans le dictionnaire est « celui qui utilise quelque chose de façon ordinaire, qui a le droit d’utiliser une chose d’autrui avec une certaine limitation ». Une définition de qui est suffisamment précise pour décrire ceux qui sont consommateurs de certaines technologies même s’ils se considèrent comme « utilisateurs », ce qui leur faire penser à la neutralité des nouvelles et vieilles technologies, dans la possibilité de les utiliser selon sa morale, chose qu’un simple consommateur ne pourrait pas faire … et nous voyons qu’un utilisateur non plus.

 La promesse d’interactivité est l’un des points forts dans la promotion d’internet. Analogue à l’idée de participation dans la promotion de la politiques, ce ne sont pas totalement des mensonges mais des moitiés de vérités. On peut participer, même jusqu’à « créer », mais dans le cadre des règles prédéterminées par la structure sociale qui invite à cette participation. C’est à dire, on peut faire et produire en fonction des objectifs préétablis qui ont été décidés sans nous. Sans aucune gêne on nous invite à collaborer au processus d’oppression même.

 En ces temps, le consommateur moyen d’internet est simplement un consommateur de « réseaux sociaux » et, dans ce cadre, tout comme il peut réussir à avoir des centaines d’amis il peut aussi se joindre à une infinité de causes. Mais en dehors du support virtuel il se rendra compte que c’est impossible de maintenir une relation d’amitié avec des centaines de personnes, tout comme c’est impossible de se joindre à une si grande quantité de causes aussi diverses, vu que les heures d’une journée ne lui suffiront pas et son mental ne le supporterait pas non plus. Autant l’amitié que la participation à certaines causes ont besoin de liens forts et profonds, autant  les plateformes des réseaux sociaux,  au contraire, se construisent autour de liens faibles.

Pour la lutte qui nous semble nécessaire actuellement il faut, nous le disons sans détour, du dévouement, de l’engagement, de la constance, des efforts et renoncer à une certaine normalité.

« C’est le type d’engagement qui peut entraîner le rejet social et les difficultés dans le travail. Beaucoup abandonnent. Créer un groupe facebook en faveur ou contre quelque chose est au contraire très facile. Et c’est toujours plus facile de déplacer le curseur sur le bouton correspondant pour donner notre soutien, depuis le confort et la sécurité de nos maisons ou postes de travail. Ça ne devrait pas paraître bizarre que les groupes d’initiatives politiques sur facebook ont autant de suiveurs ? Comment ils font pour qu’autant de personnes soutiennent leur campagne ? Simplement sans trop leur en demander. C’est la seule façon d’obtenir que quelqu’un que tu ne connais pas fasse quelque chose pour toi. Mais ça n’implique aucun risque économique ni personnel, ça ne ne veut pas dire que tu vas passer un été poursuivi par des hommes armés dans des jeep. Ça ne nécessite pas que tu affrontes des normes et pratiques socialement bien établies. De fait, c’est le genre d’engagement qui ne t’apportera que reconnaissance sociale et éloge. En d’autres termes, l’activisme de facebook mène à la réussite sans motiver les gens à ce qu’ils fassent un réel sacrifice mais en les motivant à faire les choses qu’ils font lorsqu’ils ne sont pas suffisamment motivés pour se sacrifier réellement » (revue Cul de sac n°2).

Ce que nous essayons de mettre en avant c’est que si la « cyber militance » existe, elle ne vient pas corrompre une militance réelle, mais elle apparaît lorsque cette militance est en déclin ou disparue.

Le manque de perspective internationaliste rend cette réalité évidente. Le prolétariat n’est pas plus internationaliste grâce à internet et ses énumérables forums mondiaux, sites web de contre-information, etc. Des décennies auparavant, des manifestations mondiales comme celles en soutien à Sacco et Vanzetti, les événements de Chicago, la Première Internationale, le fait d’assumer comme sien dans diverses régions le développement révolutionnaire en Russie et en Espagne, démontrent que le prolétariat communiquait, voyageait, était solidaire et était en coordination sans les technologies actuelles. Simplement nous ne pouvons pas accuser ces technologies du manque d’internationalisme, ni espérer que de nouveaux moyens de communication rendent possible, facilitent ou même résolvent cette nécessité historique du prolétariat. Même l’excès d’ « information », sa démocratisation sur le net où on dirait que tout devrait nous importer de la même façon, les milliers de commentaires, avis, verbosités ; aident à paralyser, à courir les axes de discussion, et de plus laissent libre court à la confusion, à la tergiversation des faits, aux fausses informations.

Après avoir lu ces critiques on pourrait lire entre les lignes une demande à abandonner l’usage de Facebook, Twitter, etc … ce qui pourrait être salutaire, mais le nombre d’individus « surconscients » ne donne pas les résultats attendus ni sur Facebook ni dans la rue. Pire même, on n’a jamais vu dans l’histoire de changements de conscience générale ayant pour origine la simple répétition de  propagande (virtuelle ou sur papier) lancée indifféremment.
L’engagement se fait rare, l’isolement est égal ou pire qu’avant, les relations humaines sont toujours en décomposition et la réappropriation théorique est pauvre sans parler de sa réalisation.

Malheureusement, nous ne faisons que mettre en évidence ce que nous devons combattre, ces particularités en rapport avec les « réseaux sociaux » ne se modifieront pas tant que la situation qui les contient ne changera pas. Et tant que le conformisme et l’apathie existeront, cet optimisme technologique se déplacera d’une machine à une autre. Dans la compulsion technologique chaque nouveauté est désirée pour sa qualité de nouveauté, et ce qui est vieux est jeté à la poubelle de l’histoire capitaliste, que ça date de l’année dernière ou de quelques décennies avant. À son tour, chaque nouveauté technologique vient généralement accompagnée d’un discours de libération, de bien-être. Et le cas d’internet, pour sa soi-disant plus grande accessibilité et facilité d’utilisation est plus encourageant que ce que n’avaient pu l’être, en leurs temps, les débuts de l’imprimerie ou de la radio. En supposant que « tout le monde » (ce qui est un mensonge) peut s’exprimer, communiquer, créer des sites web, choisir l’information qu’on va consommer, etc… Nous devons nous demander à quel prix tout cela se fait et ne pas oublier qu’il ne s’agit pas d’un élément isolé du reste de la société capitaliste. Nous devons dévoiler ce qui se tait jalousement, et cela remet inévitablement en doute que ce genre de technologies pourraient être maintenues en dehors du système capitaliste : sans division internationale du travail il n’y a pas d’ordinateurs ni d’internet comme nous les connaissons. Faire abstraction de la matérialité des supports physiques d’internet c’est éviter de reconnaître l’obtention des matières nécessaires, leur production, leur distribution et leurs déchets inévitables. Le cyberespace pour beaucoup de technophiles revêt la fonction de paradis religieux, ce qui n’est rien de plus que la projection d’une image de la terre dépurée de ses contradictions. De nouveau, un « lieu » sans espace physique dans lequel peuvent se lancer les fantaisies les plus insensées. On suppose que la jouissance et l’empathie, et même des raisons égoïstes, motivent les gens à partager, à créer une sorte de « communauté » d’utilisateurs, où chaque individu prend du réseau beaucoup plus que ce qu’il pourrait donner. Ce sur quoi on pourrait réfléchir pour en connaître les nuances. Cependant, dans la bêtise totale on en est arrivé à faire référence à cela comme « anarcho-communisme » :

«L’économie du don et le secteur commercial ne peuvent se développer qu’en s’associant au sein du cyberespace. Le libre échange de l’information entre les utilisateurs s’appuie sur la production capitaliste d’ordinateurs, de logiciels et de télécommunications. ( …) Au sein de l’économie mixte numérique, l’anarcho-communisme vit aussi en symbiose avec l’État. (…) Dans l’économie mixte du Net, l’anarcho-communisme est devenu une réalité quotidienne. » (Richard Barbrook, L’économie du don hightech).

Ce à quoi Mandosio répond :

« Une fois que la main invisible est là pour faire que coïncident comme par magie les intérêts égoïstes et la prospérité publique, et comme première résolution de toutes les contradictions de notre monde tristement matériel : le capitalisme et l’économie du don se stimulent mutuellement, l’ « anarcho-communisme » et l’État travaillent de concert … c’est formidable, et c’est d’autant plus remarquable parce qu’il ne s’agit pas, comme dans le christianisme ou les utopies classiques, d’une vision de l’avenir, mais d’un discours qui prétend décrire une réalité déjà existante ; ce pays de cocagne, il suffit de se connecter pour y vivre éternellement d’amour et d’eau fraîche. Les « anarcho-communistes » qui propagent cette idéologie rendent un grand service aux promoteurs étatiques et industriels d’internet, car c’est précisément en présentant internet comme ce nouveau « pays des merveilles » où tout est gratuit, que se crée chez les gens le besoin de s’équiper en matériel informatique nécessaire pour se connecter, comptant sur le fait qu’une fois devenus accros on ne les lâchera plus ».

La rapidité et la simplicité des nouvelles technologies de communication est en réalité un enchevêtrement lent et complet de spécialistes et intermédiaires, d’exploitation et de mort, qui reste obscure à travers le téléphone, l’ordinateur ou la nouvelle babiole sophistiquée. En fin de compte, comme toute marchandise, elle cache son mode de production et la façon dont elle se met en circulation, même si contrairement aux autres marchandises elles supposent une dépendance supérieure de quantité d’intermédiaires, spécialistes et spécialistes plus sophistiqués.

Avec ces graves problèmes sociaux, qui n’intéressent pas vraiment le citoyen lambda prisonnier des ces produits, nous pouvons dire que cette multitude de supports promettent la capacité de réaliser une quantité de tâches différentes, pendant que de nouveau elles cachent que, en général, elles n’ont qu’un seul usage : la reproduction du système qui les a rendu possible. Ce qui n’empêche pas de dormir le citoyen lambda, et peut-être que l’impact « individuel, qui est naturel et immédiatement un problème social, ne l’empêche pas non plus de dormir .

Paradoxalement, ou pas, nous avons trouvé sur le net un article intitulé Google nous rend stupide ?, où son auteur Nicholas Carr, bien qu’il reconnaisse que le travail de recherche qui avant lui demandait des journées entières immergé dans des bibliothèques peut se faire maintenant en quelques minutes en cherchant sur google, confesse : «me plonger dans un livre ou un long article était avant une chose facile, (…) parfois j’étais un plongeur qui s’immergeait dans des océans de mots. Aujourd’hui je survole au raz ses eaux comme un scooter des mers».

C’est que les médias ne sont pas des canaux neutres où s’écoule l’information, mais ils configurent le processus de pensée. Ça n’est pas facile de rester concentré entre les pubs, plus d’un onglet ouvert et un lien qui amène à d’autres sites et ne permet pas de finir le texte (à la différence, par exemple, d’une note de bas de page qui permet de suivre le rythme du texte). Lorsque le regard bouge rapidement du coin en haut à gauche au coin en bas à droite d’un article du web, ce qui s’appelle la lecture diagonale, il est impossible d’envisager de lire tranquillement. Lorsque l’on peut trouver immédiatement l’information à travers des moteurs de recherche comme Google, on a tendance à oublier l’information obtenue. Dans la « vie réelle » les conversations sont interrompues en permanence par les téléphones qui sont supposés nous faire communiquer en obstruant la communication.

Ce que le Capital touche il le transforme en une chose sujette à la valeur, lui imposant ses lois de production. Carr signale que pour Google «l’information est une sorte de matière première, une ressource utilitariste qui peut s’exploiter et se traiter avec une efficacité industrielle, et plus il y a de fragments d’information auxquels nous pouvons accéder et plus vite nous pouvons extraire son essence, plus nous serons productifs comme penseurs». La quantité avant la qualité, la concurrence et le besoin de transformer chaque activité humaine en activité sujette au Capital sont les intérêts de cette compagnie, tout comme ceux des autres. Me si elle se présente comme un modèle de travail heureux et créatif, « le modèle Google » au fond n’est pas plus qu’une « vieille » usine nocive et morne.

La connaissance, l’intelligence, la créativité ou le raisonnement ne devraient pas être le produit d’un processus mécanique, une série de tâches séparées qui peuvent être mesurées et optimisées selon les critères de la valorisation du Capital.

Ces marchands de données, qui est ce à quoi ils ont réduit notre communication, connaissances, etc, ont assumé l’affirmation qui rabâche que « l’activité cérébrale » est isolée de celle du reste du corps. Ce qui d’une certaine manière amène à assimiler le concept « d’activité cérébrale » à une activité mécanique. Ainsi la notion dominante d’intelligence est en rapport avec sa quantification, en plus d’une forme d’individualisation où un coefficient indiqué par un test est une donnée de plus de l’humain avec un numéro d’identification, et où l’on ne considère pas « l’intelligence » en groupe à moins que cela ne serve pour des travaux concrets et où tous ceux qui vont être classifiés suivent le critère du classificateur.

Dans la même logique, notre époque considère que le cerveau humain est similaire à un ordinateur. Et bien sûr comme celui-ci est déjà obsolète nous avons besoin d’appareillages : un disque dur avec une plus grande capacité et un processeur plus rapide, intelligence artificielle indispensable pour suivre ce rythme de vie, qui est peut-être très bien mais pourquoi devrait-on suivre ce « rythme de vie « ? Pourquoi utiliser des outils qui atrophient la partie du corps qu’ils prétendent amplifier ? Pourquoi déléguer notre mémoire à un objet ? La « mémoire » d’un disque dur ne mémorise pas, nous ne faisons que stocker et ranger des données en elle, mais elle n’a pas de volonté même si elle « pense ». À la gare ou à la banque on peut nous dire qu’il y a eu « une faille dans le système » comme si personne n’était responsable, mais toute délégation, même technologique, est de notre propre responsabilité.

« Si quelques décennies ont suffi pour que les ordinateurs et autres robots n’apparaissent plus comme d’inquiétants automates et deviennent les compagnons ordinaires de la vie quotidienne, c’est parce qu’au préalable les relations sociales ont été systématiquement désintégrées. Pourquoi préfère-t-on faire ses courses, acheter des billets de train ou consulter son compte bancaire par internet sans sortir de chez soi ? Parce qu’aller dans un supermarché, une gare ou une banque est une expérience qui n’a rien d’agréable, et parce que la personne que l’on a en face dans un supermarché, une gare ou une banque n’est déjà pas plus qu’un automate humanoïde. On en arrive alors à préférer la froideur de la relation avec une machine à la froideur des relations humaines. Et, par manque d’amis humains dans une société où les individus sont chaque fois plus séparés et où l’autre n’est perçu que comme une entité menaçante, les ordinateurs qui cohabitent plus avec nous que dans le passé deviennent des « amis » de substitution (…) Le cas d’internet est analogue à celui du téléphone portable ou des animaux de compagnie électroniques. Il s’agit seulement de satisfaire un désir élémentaire de relations affectives et de communication en mettant à distance les autres humains (avec qui l’on est en rapport permanent, mais toujours indirecte, via téléphone ou internet) ou en les supprimant» (Jean-Marc Mandosio, Le conditionnement néotechnologique).

Alors quoi ? Après ces critiques on devient tous technophobes ou primitivistes ? Si l’on en vient à réfléchir à une issue individuelle de ce problème, où l’identification idéologique à tel ou tel courant serait suffisante, c’est que l’on n’a pas compris grand chose à ce réseau traversé par les relations capitalistes et qui positionne nécessairement l’État comme le gouvernement mondial de la bourgeoisie. Il ne suffit pas de renoncer au soi disant confort de ce monde, il ne suffit pas de partir de la ville, il ne suffit pas d’utiliser un langage extrémiste et d’adhérer à un camp que l’on considère comme le bon. Nous ne recommanderons jamais des « sorties » individuelles pour des problèmes sociaux. La perception individuelle d’un problème ne fait pas du problème une question individuelle. Et percevoir les conséquences de la technologie (pollution,  dégradation des relations humaines, etc) dissociée de ses bases capitalistes que nous appellerons « mentales » comme matérielles, constituerait une autre grave erreur.

En finissant de lire cet article on pourrait nous dire : «Quelle contradiction d’avoir écrit tout ça sur un ordinateur !», «Quel manque de cohérence d’imprimer ces idées avec une photocopieuse !». Certains imaginent qu’il y a un « en-dehors de la société » qui fait appel à un certain moralisme qui de plus fait souvent une apologie de la nature de laquelle on est tellement séparé qu’on ne sait même plus à quoi on se réfère en la nommant. Qu’une photocopieuse soit à notre portée ne signifie pas que nous utiliserons tous les moyens qui existent uniquement parce qu’ils sont à notre portée. Nous utilisons certaines machines consciemment et cela inclut de connaître leurs aspects « profitables » comme nocifs, leur coût. Et à l’autre extrême des reproches, celui des apologistes  sans-gêne de la technologie, on pourrait croire qu’être prisonniers de cette société et utiliser certaines machines nous obligerait en plus à les défendre.

 Extrait de la revue Cuadernos de Negación, n°8

Pour imprimer le pdf : ici

Nous ne voulons pas être des étudiants, nous sommes des délinquants

salvajesPrologue

Ceci est un pamphlet. Ce n’est pas un livre, ni un petit livre, ni un cahier, ni un petit cahier, c’est un pamphlet. Il ne prétend pas, loin de là, être objectif, ni créer le consensus.

Ses prétentions sont beaucoup plus grandes, ainsi nous ne comprenons pas pourquoi nous devons faire les modestes quand nous pouvons aspirer à ce qu’il y a de mieux. Qu’est-ce que nous voulons dire par ce qu’il y a de mieux ? Nous ne voulons pas avoir de limites. Nous ne savons pas si nous en avons ou pas, mais ceci n’est précisément pas la question, car nous ne DÉSIRONS pas avoir de limites, nous voulons nous déchaîner. Ce qui nous importe c’est nous. Nous nous inquiétons des obstacles et des ennemis dans la mesure où ils nous empêchent de faire ce que nous voulons ou d’obtenir ce dont nous avons besoin. S’ils ne nous gênent pas ils n’existent pas. Et s’ils gênent, ils doivent arrêter d’exister. Nous avons passé suffisamment de temps à méditer, à réfléchir sur l’ennemi, le Système, le Capital, etc.

Nous croyons que c’est enfin le moment de nous occuper de nous-mêmes. Qu’est-ce qui nous plaît ? Ne nous plaît pas ? Que voulons-nous ? Ne voulons pas ? Quels sont nos vrais désirs ?

C’est vers ça que nous allons. C’est notre objectif, et nous sommes prêts à aller vers cette direction, et partout ailleurs.

Nous avons les conditions pour que ce qui existe déjà dans l’idée voie le jour et existe réellement.

Comme le disaient certains étudiants de la préhistoire du mouvement étudiant dans les années 60, les étudiants sont une classe en eux-mêmes. Nous ne sommes pas salariés, bien que pour la majorité d’entre nous nous sommes destinés à l’être ; nous ne sommes pas non plus dirigeants, comme peu d’entre nous sont destinés à l’être. Nous sommes nulle part, nous sommes encore en transition, en construction. Nous ne voulons pas dire que nous sommes à l’abri de la merde du Système, mais nous disons que nous sommes dans les conditions matérielles, concrètes, pour nous révolter, nous retourner contre tout ce qui ne nous plaît pas et pour tout ce qui nous plaît.

* * *

Nous ne possédons rien, rien n’est à nous. Nous n’avons ni notre propre maison, ni voiture, ni famille, ni enfants à charge, ainsi on ne peut pas nous avoir en nous disant qu’on fait partie de la classe privilégiée, parce que nous n’avons rien à garder. Il nous reste encore tout à avoir.

Tout est devant nous. C’est le premier point dont nous devons prendre conscience : nous n’avons rien à perdre. Si nous faisons une grève, on ne va pas nous virer de notre travail, et on ne va pas arrêter de percevoir un salaire, et on ne va pas non plus perdre de stupides « conquêtes sociales » avec lesquelles ils ont réussi à tromper nos parents. Si nous faisons grève, non seulement nous n’allons rien perdre, mais nous allons gagner beaucoup de choses, nous allons nous réapproprier un jour d’ennui, et nous allons en faire un jour de vie réelle, de vie intense dans laquelle nous allons faire à chaque instant ce qui nous plaît et non pas ce qui correspond à notre rôle d’étudiant. Profitant du plaisir de l’instant subversif.

Qu’on ne se foute pas de nous, la seule chose qui peut vraiment se perdre c’est la peur. Ce n’est pas tant la peur de potentielles représailles des diverses autorités – professeurs, parents, …- ni la peur de la punition sociale parce que tu n’agis pas selon les attentes imputées à ton rôle. C’est la peur de soi-même, la peur de ne pas savoir quoi faire lorsque personne ne nous dirige et nous dicte notre conduite. La peur de ne pas savoir jusqu’où aller lorsque personne ne nous montre la voie, la peur de ne pas savoir quoi faire à chaque instant. La peur de vivre sans maîtres. La peur de l’incertitude.

Nous allons vous confier un secret : nous aussi nous avons peur ! Et même, nous croyons qu’une bonne part de notre force se base sur cette peur. Nous ne voulons pas que ça soit évident, nous ne voulons pas avoir le chemin balisé ni une lumière au bout du tunnel vers laquelle nous diriger en somnambules. Nous voulons construire notre vie au jour le jour, et par conséquent, affronter la peur de vivre sans maîtres. Nous avons peur, c’est vrai, et l’incertitude nous ronge, mais cette incertitude fait aussi que ça nous donne envie et nous met en ébullition.

Vous n’êtes pas attirés par l’idée de faire l’expérience d’une vie nouvelle et d’abandonner cette expérience médiocre ? Alors expérimentez, faites ce que vous voulez, faisons ce que nous voulons, nous ne saurons pas ce que c’est jusqu’à ce que nous l’expérimentions, et même ainsi nous ne pourrons pas prétendre le savoir, car à chaque moment nous découvrirons de nouvelles choses. Nous n’avons besoin de rien de plus. Nous voulons avancer. Vers où ? Nous ne le savons pas. LÀ-BAS, par exemple, nous savons en tout cas que nous ne voulons pas être ici. N’importe quoi à part ça, nous sommes fatigués, ce monde nous ennuie, il ne satisfait pas nos besoins et nos désirs, il ne nous plaît pas et nous ne nous amuse pas. Mais nous voulons plus, nous voulons une vie meilleure.

Qu’on ne nous trompe pas non plus au sujet de notre avenir. Nous ne sommes pas le futur et nous n’avons pas non plus un bel avenir devant nous. Nous n’avons pas envie d’accepter le futur, avoir un futur c’est s’écrire une mort, écrire le roman de ta vie avant de la vivre : tu fais juste ce qui est DÉJÀ écrit et tu ne construis pas ta vie au jour le jour. Et aussi nous n’acceptons pas le futur parce que DÉJÀ nous n’acceptons pas le présent misérable qui est là et nous n’acceptons pas non plus le futur de merde qu’on nous prépare. Cette vie est misérable !

Nous sommes conscients malgré tout de notre situation dans le monde. Nous sommes conscients que nous sommes ici pour être de futurs travailleurs, nous savons que nous avons un rôle à jouer dans ce monde, celui d’étudiants, celui de gens qui apprennent à avaler la merde, la merde de la Réalité. Celui de gens qui s’appliquent à apprendre l’idéologie qu’insufflent les intellectuels du Système à travers la culture, de gens qui apprennent à réduire leur corps et leur tête à des espaces et des horaires rigides pour arriver dans le monde du travail avec le corps et la tête déjà réduits. Nous sommes conscients que nous sommes des Étudiants.

Mais nous sommes conscients que nous ne voulons plus l’être. Nous ne voulons pas nous habituer à des horaires et des espaces, nous ne voulons pas avaler de la merde, nous ne voulons pas apprendre leur idéologie, ni aucune idéologie. Plus d’intellectuels, plus de culture, plus d’art. Nous voulons aussi arrêter d’être étudiants. Mais nous ne voulons pas arrêter d’être des étudiants pour devenir des travailleurs ou autre chose. Nous ne voulons pas quitter un rôle pour en embrasser un autre. Nous ne voulons aucun rôle, nous ne voulons pas être rien, nous voulons être ce dont nous avons envie à chaque instant. À chaque instant. Nous, étudiants, devons commencer à arrêter de nous cramponner à des idéologies et pensées créées, des choses DÉJÀ faites auxquelles nous nous accrochons à cause de cette peur de vivre sans maîtres, à construire chacun sa vie à chaque instant.

C’est le moment de se jeter à l’eau, d’abandonner toutes les croyances et illusions qui nous garantissent la sécurité de vivre dans ce monde. La sécurité dans cette société n’est pas plus qu’une barrière qui nous protège de … de quoi ? Vous êtes-vous déjà demandé de quoi nous protège la Sécurité qu’on nous offre ? De quoi devons-nous avoir peur ? Les sécurités nous protègent de nous-mêmes, c’est nous que les barrières ne laissent pas sortir, et non les autres qui peuvent aller et venir. Ils ne nous permettent pas de dépasser ce qui est permis. C’est notre propre police qui nous surveille lors de nos arrestations à domicile.

Tu pourris de l’intérieur, tu t’endors et tu t’ennuies, avec l’assurance que tu vas continuer à vivre, c’est-à-dire, que ton cœur va continuer de battre. Et le reste ? Les rêves ? Les désirs ? Les émotions ? La passion ?

Tout cela est là, de l’autre côté de la barrière. Abandonnez la sécurité, la seule chose qu’elle fait c’est enchaîner, et lancez-vous dans l’expérience palpitante de vivre sans normes, sans maître, sans rôle. Expérimentez. Nous voulons vivre et expérimenter MAINTENANT, pas à court ou à long terme.

L’idée de la révolution comme processus est très bien, mais nous ne pouvons plus attendre. Nous avons besoin d’améliorer notre vie, nous voulons qu’elle ait une forme plus intense, et pour ça nous voulons lui créer des moments où elle s’épanouira. Nous voulons des insurrections, des soulèvements, des révoltes, la tension du conflit ouvert. Ça ne nous suffit pas d’avoir simplement le rêve d’une révolution, nous préférons le rêve et l’utopie d’un moment d’insurrection. Le soulèvement est une réappropriation, une vraie rupture avec la monotonie de la vie quotidienne, avec les normes sociales, et avec les rôles qu’à chaque moment de la vie nous devons adopter. Le moment de soulèvement rompt avec les horaires. Le temps arrête d’être une tyrannie linéaire, pour devenir un désordre de moments vécus intensément. Nous savons qu’une insurrection ne va pas changer le monde, mais nous croyons qu’elle peut transformer notre vie.

Parce qu’il s’agit de changer le monde, mais aussi de transformer la vie. Nous ne sommes intéressés par aucune révolution qui n’élève notre qualité de vie. Nous ne sommes pas intéressés par un monde, aussi libre et juste qu’il soit, si la vie est tout autant ennuyeuse, monotone, rationnelle et médiocre que celle que nous vivons maintenant. Plaidons pour créer la révolution qui ne triomphe jamais. Nous ne voulons pas triompher. Nous ne voulons pas perdre le rêve et l’utopie. Les choses qui ont une fin ne nous intéressent pas, ni les choses dont le destin annoncé est de mourir. Nous ne voulons pas avoir de futur, nous fabriquerons notre vie au fur et à mesure. Nous ne voulons pas nous définir maintenant, nos actes nous définiront en temps voulu. Nous ne voulons pas que tout soit clair, nous nous expliquerons au fil de la pratique.

Les choses ne sont pas claires pour nous. Mais ATTENTION, ça ne veut pas dire que nous allons permettre à des intellos de nous éclairer et de nous dire qui nous sommes et ce que nous voulons et ce que nous ne voulons pas. Nous n’admettrons pas d’avant-garde révolutionnaire qui vienne chapeauter notre révolte avec leurs idéologies. Et nous n’allons pas non plus faire la place aux leaders syndicaux ni aux syndicats eux-mêmes. Nous n’allons pas vous laisser faire, nous vous prévenons, nous n’allons permettre aucune tentative de manipulation, et nous n’allons pas permettre que vous récupériez nos luttes pour le système, nous menant sur la voie inoffensive de la démocratie. À bas la démocratie ! Plus de dialogue ! Il faut faire face. Nous vous prévenons, si vous essayez d’étendre vos griffes parmi nous, nous nous jetterons sur vous avec toute notre rage. Mieux encore, nous nous jetterons sur vous, même si vous n’essayez pas d’y mettre vos sales pattes, juste pour ce que vous êtes et ce que vous faites, pour votre fonction de pompiers des feux de la révolte. Récupérateurs de merde, vous êtes dans notre point de mire.

Tout est dans notre point de mire. Rien de ce monde ne vaut la peine d’être sauvé. Les étudiants, nous nous foutons de tout. Nous avons commencé par revenir de la naïveté de la vie moderne, nous ne croyons pas dans la sécurité du foyer rempli de sentiments électrodomestiques, ni dans les machines qui donnent un bonheur pathétique, comme le sourire de l’âne lorsqu’il meurt.

Les voitures ne sont pas plus que le modèle de l’idéal bourgeois du bonheur. Brûlons-les, brisons les vitrines de l’aliénation et de la fausse vie.

Brûler des voitures, briser des vitrines. Ce n’est pas un slogan que nous vous donnons.

Brûler, casser, ce sont nos sentiments que nous vous lançons. Nous vous lançons notre rage, notre colère. Nos désirs et nos rêves. C’est ce que nous pensons. Voilà ce que nous sommes.

Nous nous répandons dans notre environnement telle la lave du volcan. Nous voulons faire irruption, et pas attendre que les fleurs éclosent. Nous voulons briller deux fois plus sans devoir nous résigner à ne durer que la moitié du temps. Nous sommes des utopistes, des rêveurs. Des rêveurs ! Vous avez arrêté de rêver ! Vous êtes devenus grands, vous êtes autant adultes que ces universitaires envahis par l’ennui à vingt ans et quelques. Nous autres nous n’avons jamais arrêté d’être des enfants. Nous sommes toujours sauvages et nous résistons pour ne pas être domestiqués.

Nous mordons. Nous sommes utopistes et sauvages. C’est sûr que vous pensez qu’on est fous, pas vrai ? Ce pamphlet est un virus. Il s’étend et se propage de par le monde sans limites, en tissant des réseaux de désirs subversifs. Tu peux en faire partie. Et même, tu peux l’incarner.

Répands-le, photocopie-le, offre-le aux gens que tu aimes. Crée du rêve.

Des Sauvages
Madrid, décembre 1998

Traduit en mai 2012.

Entretien avec un compagnon du site Material Anarquista

Que signifie le 11 septembre pour le mouvement anarchiste au Chili ?

Avant toute chose il faut savoir que ce que je dis se base sur la vision d’un individu et peut être contredit. Ce qui est important dans cette date pour certain-e-s anarchistes c’est que ça symbolise une période où l’État, dirigé par Pinochet, va commencer une politique ouverte d’assassinats, de tortures, disparitions sélectives contre les différentes idées et individus qui voulaient l’empêcher de mener à bien son projet politique et économique, que ce soit des allendistes ou leurs ennemis. Mais c’est important d’établir clairement que ça n’est pas une date où nous commémorons le renversement d’un gouvernement social-démocrate ou la rupture institutionnelle de la structure de l’État, mais plutôt que nous nous rappelons à cette occasion de tous les combattant-e-s et guerrier-e-s qui ont lutté dans le contexte d’une dictature et particulièrement  ces individus qui pensaient qu’il fallait aller au delà de la lutte contre Pinochet et ses laquais. On peut aussi argumenter en disant que nous luttons le 11 septembre pour rompre avec la logique quotidienne du capital, et dans ce cas, avec la manifestation pacifique et bien cadrée dans les paramètres de nos ennemi-e-s. Pour nous n’importe quelle date est une excuse pour mettre en tension l’affrontement et aiguiser notre praxis, notre discours, contre toute autorité, parce  que la persécution, l’emprisonnement, la torture, la disparition et l’assassinat sont présents jusqu’à nos jours, ce qui prouve que nous nous trouvons dans une guerre sociale, la preuve avec les différents agissements de l’État dans les derniers gros cas de répression (Caso Bombas, Caso Security, la lutte des mapuches, José Huenante … ).

24293_583762448348642_261882043_n8s

Quelle influence a le mouvement anarchiste à Santiago dans les commémorations de cette année, les manifs et les autres événements ?

Je sais pas si on peut vraiment parler d’influence, ça serait donner une importance à la lutte anti-autoritaire dans la région chilienne qu’elle n’a pas au sein du mouvement social ou de masse, et en plus de ça je pense pas que ça soit une priorité pour nous. On participe de façon active à la lutte de rue au moment des manifs, et de même dans les différentes poblaciones de la périphérie qui ont une tradition de lutte et de combat contre le capital et l’autorité du gouvernement, indépendamment de qui se trouve au pouvoir.

Parce que des anars vivent dans ces quartiers ?

Parce qu’ils y vivent ou bien parce qu’ils y font un travail quotidien en dehors de ces dates.
Mais parler d’influence au moment de ces émeutes … on ne peut pas s’en attribuer la responsabilité et c’est pas ce qu’on cherche.

De façon générale la manif du cimetière est importante ?

Oui elle est importante vu qu’elle passe par des endroits centraux de la capitale, et qu’il y a beaucoup de monde qui y participe, ce qui en fait un lieu où il est facile de générer le conflit et la convergence des idées anti-autoritaires dans la pratique, indépendamment de la façon dont se réalise la tension et l’affrontement des idées.

tumblr_msxk3nZsQE1r9h873o1_1280Mais y a aussi d’autres personnes qui ne sont pas anarchistes qui sont actives dans la lutte de rue …

Bien sûr, penser que ceux qui participent dans les émeutes ne sont que des anarchistes serait une erreur, car il y a diverses tendances, tels des nihilistes, des groupes marxistes de tendances révolutionnaires, des trotskistes, des situationnistes ou simplement des individus qui n’ont pas d’idéologie particulière, mais qui simplement s’opposent à la réalité dans laquelle la société est immergée.

Il y a eu des discussions cette année au sujet des affrontements qui ont amené à ce que les flics rentrent dans l’enceinte du cimetière avec les canons à eau et les tanks lance gaz ?

Non, je trouve pas qu’il y ai des discussions au sujet des affrontements à l’extérieur du cimetière ou à l’intérieur, vu que la répression policière a toujours existé lors des manifs, et on se pose pas non plus en victimes face à l’offensive de l’État ou du capital. C’est leur culture, aux autorités, mais il y a toujours eu des affrontements, de même qu’il y a toujours eu des pourritures comme le Parti Communiste qui assume son rôle de flic rouge en remettant dans les mains des flics des encapuchadxs, et les plateformistes qui restent silencieux face à ça.

tumblr_msu4gcNUlF1r9h873o1_500Mais ils critiquent les émeutes de façon générale non ?

Ils critiquent les encapuchadxs, ils aiment pas la violence, et pour le Parti Communiste et la société en général, tout encapuchadx est un anarchiste, c’est pour ça que les anarchistes ici sont ennemis à mort avec le Parti Communiste, en tout cas c’est ma perception personnelle.

Tu peux nous dire quelles sont les relations entre anarchistes et groupes marxistes comme le MIR ou d’autres ? Si il y a des activités communes, si ils sont amis, si ils se coordonnent pour les manifs, etc …

Ici dans les manifs chacun fait son truc dans son coin, mais on sait que si tu te masque le visage ou tu fais parti d’une tendance et que tu lutte contre les flics, et bien que tu sois marxiste et que je sois anar, on va lutter ensemble, on va pas permettre qu’on nous touche, qu’on nous arrête. Mais actuellement dans les manifs ça fonctionne de manière séparée, chacun avec son groupe d’affinité, pas un gros bloc, mais des petits groupes qui se trouvent au même endroit et s’affrontent aux flics en même temps, mais chacun fonctionnant par groupes séparés et s’en va séparément, sans aucune coordination avant la manif, mais chacun amène ses trucs.

Mais en dehors des manifs il y a des connexions entre anarchistes et ces groupes marxistes ?

En dehors des manifs c’est la même logique qui se répète, mais parler de connexions je le trouve pas pertinent, vu que ça n’est pas la réalité, mais dans les poblaciones c’est différent.

Tu peux être plus précis ?

Dans les manifs on fonctionne seul et dans les poblaciones il y a des coordinations afin que les personnes qui participent aux émeutes ne soient pas arrêtées, parce que c’est beaucoup plus facile de se faire arrêter dans les poblaciones que dans une manif. Cette année dans la nuit du 11 septembre il y a eu 32 arrestations à Villa Francia, 14 accusé-e-s de port de bombe incendiaire et les 28 autres pour désordre public, et le 21 septembre la court d’appel a imposé l’arrestation domiciliaire total pour les 14 le temps de l’enquête.

392986_10200624277383068_1320153833_n

Mais il y a des anarchistes qui ont des liens avec le MIR et les autres groupes ?

Oui, bien sûr qu’au quotidien on a des rapports avec eux, mais on ne fonctionne pas ensemble, ce qui existe ce sont des liens à niveau individuel, des amis, des proches, mais rien de plus que ça …

Comment les anarchistes diffusent l’information avant des événements, comment se fait la propagande de manière générale ?

Les manifs sociales sont appelées par la propagande écrite par les organisations marxistes ou les ONG, comme par exemple le 1°mai est appelé par la CUT (Centrale Unitaire de Travailleurs, fondée à la base par des trotskistes et anarchistes).

Les activités anarchistes sont diffusées sur les sites comme Material Anarquista, Hommodolars, Viva la Anarquía, à une époque Liberación Total.

Tu parle de concerts, marchés, etc … ?

Oui, et des activités pour les prisonniers.

C’est pas pour les manifs …

Ça dépend de quel genre de manifs, celles pour le Caso Security, à un certain moment le Caso Bombas, les meetings solidaires pour les prisonniers ou pour la libération animale oui …

Et comment les gens pensent que l’information peut être diffusée ?

Ben lors que ce sont des activités ça se fait uniquement sur internet, lorsque ce sont des manifs pour les prisonnier-e-s ça se fait aussi sur internet, lorsque ce sont des appels comme pour la foire du livre anarchiste, ou des activités dans un squat ça se fait par des affiches et sur internet.
Les anarchistes aujourd’hui utilisent beaucoup internet, et actuellement facebook est très utilisé, son influence est très forte ici, et c’est pour ça que des sites d’activités anarchistes et des sites de contre-information ont une partie consacrée uniquement aux événements anarchistes. Mais les manifestations comme les manifs étudiantes, de travailleurs, ce ne sont pas les anarchistes qui les appellent, mais seulement on y participe de manière spontanée, que ce soit par le combat de rue ou autre.

Qu’est-ce que tu penses de l’utilisation de facebook ou de twitter pour mobiliser, diffuser des infos en général (Ndt : facebook étant l’unique moyen de s’informer au sujet de manifestations au Chili, car Indymedia ou des sites participatifs dans le genre sont inexistants) ?

Honnêtement je n’aime pas qu’on utilise facebook pour appeler à des manifs, parce qu’au niveau sécurité c’est dangereux. Mais aussi malheureusement la majorité des anarchistes ici utilisent facebook et les gens attendent que l’information leur arrive directement là. Et donc pour appeler à quoi que ce soit tu n’as pas d’autre choix que d’utiliser ce moyen de communication parce que ceux qui se maintiennent informés à travers les sites de contre-information sont peu, peu de gens lisent ces sites régulièrement de la même manière que facebook.

Est-ce que le cas des 5 de Barcelone qui ont été arrêtés grâce à facebook est connu ici ?

Très peu, ou alors je sais pas si on se rend bien compte de l’importance de cette affaire. Ici il y a une confiance dans l’utilisation de facebook, et des moyens de communication à travers internet, et on n’utilise pas d’outils de sécurité comme Tor, Riseup, Jabber, etc, parce que dans le contexte d’aujourd’hui il n’y a que les administrateurs de sites qui sont poursuivis.

Et ce gamin que la PDI (Police D’Investigation) a enlevé en mai lors d’une manif et qu’elle a forcé à rentrer dans son compte facebook ?

Oui … mais les gens ne voient pas le danger que représente facebook, même si certains en ont tout à fait conscience, la majorité ne voient pas le danger de publier des infos anarchistes ou de ce genre sur facebook.

L’utilisation d’affiches, de tracts, d’assemblée, est importante ou non dans le mouvement anarchiste ?

C’est important, mais ça dépend de l’endroit. Dans le centre de Santiago y a une plus grande diffusion, on en voit plus, mais dans les périphéries on utilise plus internet parce que le territoire est trop grand pour coller de l’info dans tous les coins, et les gens pensent que c’est plus dangereux de coller une affiche dans la rue que de poster l’info sur facebook. Parce que y a eu des cas d’arrestation pour le 29 mars et le 11 septembre pour collage d’affiches qui appelaient à se révolter dans les rues.

Il y a des liens entre les anarchistes et la lutte dans les poblaciones ?

Oui, il y a des liens. Il y a des gens qui montent des bibliothèques ou font un travail avec les enfants. Il y a aussi des anarchistes qui y font des jardins potagers ou des ateliers de gynécologie autonome, et des radios, comme Radio Furia, Radio Mauricio Morales, Kontrababylon, etc …

Quel impact a eu le Caso Bombas sur le mouvement anarchiste à Santiago ?

On peut avoir plusieurs lectures à ce sujet. L’une c’est que le Caso Bombas a clairement fragilisé le mouvement anarchiste. Avant cette affaire l’anarchisme était en plein essor, de plus en plus de personnes se joignaient à ce mouvement, mais à la suite de ça de nombreuses personnes se sont retirées de la scène anarchiste de peur d’être arrêtées, alors que d’autres personnes ont gardé leurs positions et leurs réflexions par rapport à l’idée anti-autoritaire mais ont décidé de disparaître du spectre plus social ou plus visible de l’anarchisme qui se trouve dans les squats, et faire profil bas. Et le Caso Bombas a encore plus atomisé le mouvement anarchiste, les gens se sont mis à agir plus au niveau de l’affinité et de la confiance en connaissant les personnes avec qui on est, parce qu’il y a eu des cas comme celui de Grillo, qui ne faisait pas parti du mouvement mais fréquentait les lieux anti-autoritaires, et ce type a balancé des compagnons, devenant une pièce fondamental dans le montage du Caso Bombas, et mis à part ça il avait aussi poignardé une compagnonne et il vendait de la drogue sur des lieux de lutte.

Tu crois qu’il manque une structure anarchiste sur Santiago, tel que des endroits pour se retrouver et partager, des bars, ou des lieux dans la rue où l’on sait qu’on peut toujours y trouver des compas ?

Y a un manque de lieux c’est certain. Il y a eu auparavant des lieux qui ne se déclaraient pas nécessairement anarchistes mais où participaient les anarchistes, par exemple Emporio Raices, qui étaient une cafétéria végane et où se vendait aussi du matériel végan et anarchiste. Mais il manque des lieux ici en dehors des squats dans lesquels tout le monde ne va pas parce qu’il y a des squats très différents les uns des autres, et chaque maison est vue depuis l’extérieur d’une façon parfois déformée, sous les étiquettes soit de plateformistes, insurrectionnalistes ou de centre de soirées et de fêtes.

Donc en gros ce qu’il manque c’est des lieux où des gens différents pourraient se croiser ?

C’est ça, il manque des espaces qui ne soient pas catégorisés, que ce soit plateformistes ou insurrectionnels, il manque des lieux de convergence. Et pour moi le lieu qui se définit anarchiste ou anti-autoritaire c’est celui qui soutien la cause anti-carcérale, qui veut détruire l’autorité de l’État, qui ne soutient pas le patriarcat ou l’une des milliers de formes que peut prendre l’idée autoritaire. Parce qu’avec le Caso Bombas les anarchistes se sont maintenus dans la lutte anti-autoritaire, ils ont travaillé ensemble pour soutenir les inculpés de plusieurs façons, participer aux manifs, etc … Ce qui n’est pas le cas des plateformistes, qui à mes yeux ne sont ni compagnons ni anarchistes, qui ne se sont pas solidarisé avec le Caso Bombas. Le problème dans le mouvement anarchiste de la région chilienne c’est que ça ne fonctionne que par circonstance, par manque de lieu, et qu’on partage entre nous uniquement dans les moments critiques, lorsqu’il y a des arrestations et des trucs du genre.

Donc y a un manque d’espace en dehors des moments de répression c’est ça ?

En dehors des moments de répression et en dehors des événements organisés simplement, il manque juste un lieu où l’on pourrait socialiser, où on pourrait discuter.

Et en général les gens sentent le besoin d’avoir des quartiers ou des rues où se concentrent des lieux et des gens anti-autoritaires, comme on peut le voir dans des villes comme Berlin ou Athènes ? Est-ce qu’on parle de s’approprier la rue ou d’être plus présents dans certains endroits, ou bien c’est trop difficile d’occuper la rue ?

Je suis pas sûr qu’avoir un espace comme ça soit quelque chose de primordial pour nous. Parce qu’ici les anarchistes sont poursuivis, socialement aussi, parce que les médias ont fait le travail de propager l’idée que les anarchistes sont les poseurs de bombe ou ceux qui portent des cagoules.

Ça te semblerait dangereux d’avoir de tels lieux ?

Dans la rue oui, parce que si ces lieux existaient il y aurait de la répression permanente. Mais c’est aussi que les gens ont d’autres genre de projets, comme d’organiser la solidarité avec les prisonnier-e-s, il y a aussi tout ce qui concerne la lutte de libération animale et chacun-e lutte à sa manière, et ça c’est quelque chose d’important. Je crois que plus que d’avoir un lieu ce qui me paraît important c’est qu’il y ait de la solidarité avec les prisonnier-e-s. Et il me semble que de nos jours si ces lieux n’existent pas c’est qu’il y a une raison. Mais c’est certain que c’est nécessaire d’avoir de tels lieux, et c’est dans ce sens que ce sont crées la librairie Flora Sanhueza, ou les bibliothèques Sante Gerónimo Caserio, la Sacco y Vanzetti, la Hiedra …

Quel genre de rapport ont les anarchistes avec le mouvement étudiant (universitaire et lycéen) ?

Ce sont deux cas différents que celui des lycéens et des étudiants de la fac. Le mouvement universitaire existe à l’heure des manifs, et à l’heure de s’affronter avec les flics il y a une participation majeure des anarchistes. Mais actuellement là où l’anarchisme a la plus grande participation c’est dans le mouvement lycéen, où le discours anarchiste a un poids plus important.

Mais j’ai pas l’impression qu’il y ait tellement d’échange entre les lycéens et les autres anarchistes, par exemple dans les activités dans les squats ou d’autres lieux il me semble pas qu’on y voit beaucoup de lycéens.

Bon, il existe une communication entre eux, mais les autres anarchistes plus âgés ne se posent pas en guide là pour les éclairer, mais il y a eu des activités dans les lycées bloqués avec d’autres anarchistes, ça c’est sûr.

Cette question concerne le texte Ni oublie ni cérémonie : contre le culte de la charogne, qu’est-ce que tu penses de la critique que fait ce texte  ?

En ce qui concerne ce texte à la première lecture j’ai clairement été dérangé et je crois que pas mal de personnes partagent cette impression. Je ne crois pas qu’un compagnon mort au combat doit être iconisé, qu’on doit en faire une référence dans l’anarchisme ou bien un nouvel héros. Sincèrement je pense que malheureusement dans certains cas on tombe dans ça, mais aussi lors d’actions qui cherchent à frapper où ça fait le plus mal et créer un conflit dans la quotidienneté de la société. Le fait que des compagnon-ne-s fassent référence dans un communiqué à un compagnon, dans ce cas à Mauri, ne me gène pas outre mesure, parce que j’ai confiance dans le fait que chaque frère/sœur qui se positionne dans l’offensive contre l’autorité et cherche la libération totale, ne le voit pas comme une icône ou un héros, mais comme un frère qui manque à sa meute agitée qui ne se laisse pas domestiquer. Ce n’est pas facile de perdre un frère avec qui on partageait quotidiennement, vu qu’au sein de l’anarchisme, ce genre d’offensive est récente et nous sommes une génération qui reconnaît ce que d’autres compagnon-ne-s ont fait, mais dans son cas c’est différent parce que lui c’est pas quelqu’un qu’on connaît à travers un bouquin, mais quelqu’un avec qui on a vécu.

Ces critiques je les trouve valables, mais je ne sais pas si il y a une réponse à court terme qui devrait être hégémonique, vu que nous parions sur l’individualité et chaque sujet doit voir comment il fait face à la perte d’un frère. Les critiques doivent chercher la réflexion interne de chaque sujet mais d’abord de celui qui les écrit. En tout cas en tant que site de contre-information nous trouvons que c’est nécessaire de se souvenir d’un frère mort au combat autant lors de l’anniversaire de sa mort qu’au quotidien, lors d’un communiqué ou dans nos vies en général, et j’insiste sur le fait qu’on peut critiquer, mais il faut faire attention à avoir une vision individuelle en ce qui concerne la manière dont la meute fait face à la perte d’un frère ou comment elle voudrait faire face à cette perte.

Cette critique me fait penser aux différences et discussions continuelles qui ont lieu dans les différents cercles anarchistes, mais j’espère qu’elles ne se teignent pas de l’autoritarisme du militant anarchiste, comme on a pu le voir par exemple avec les critiques de Federico Buono sur le compagnon Stefano de Culmine, où l’on remet en question un compagnon dans une situation particulière, et je crois sérieusement que par publications sur internet ces critiques ne sont pas appropriées et provoque en nous un profond mécontentement de critiquer de cette façon un compagnon qui se trouve en prison, pas pour rien, mais justement pour être anarchiste et ennemi de la prison. Ce pour quoi je crois qu’il faut prendre en compte les critiques qui se font, mais aussi par qui elles sont faites et dans quel but.

LIENZOAu sein du mouvement anarchiste chilien est-ce qu’on parle de ce qui se passe en Europe ?

Oui, on parle de l’Europe, de ce qui s’est passé en France et surtout en Grèce. De ce qui se passe en Italie, particulièrement des cas de répression. Sur la Grèce on parle de ce qu’il s’y passe, des actions, des différents espaces et la force qu’ils peuvent avoir là-bas, et comment est la lutte là-bas, et de ce qu’on peut tirer de toutes ces expériences. Comme je disais dans la réponse antérieure, on parle aussi de l’Italie et particulièrement de ce qui s’est passé avec les compagnon-ne-s de Culmine. On parle aussi de la vision qu’on peut avoir en Europe sur ce qui se passe au Chili, particulièrement par rapport aux visites et questions et perceptions de la lutte anti-autoritaire dans cette région, parce qu’il y a eu des cas de répression et l’offensive par quelques frères/sœurs est connue, mais je pense réellement que cette vision peut souvent surestimer l’anarchisme d’ici, parce que malheureusement avec les différentes affaires des répression la lutte a été plus lente que ce qu’on voudrait en tant qu’habitants de cette région comme à niveau plus global.

Maintenant je pense que ce qui se dit sur l’Europe c’est que la lutte continue malgré toutes les attaques de l’État et du Capital, et que ce sont clairement les même désirs qu’on voit dans la lutte anti-autoritaire qui génèrent l’envie de continuer de lutter et de frapper, que dans cette région du cône sud.

Mémoire combative

Note préliminaire : ce texte a été diffusé en version papier lors du second Salon du Livre et de la Propagande Anarchiste. Nous le publions ici, légèrement modifié dans un paragraphe.

images

Pour une mémoire combative de la lutte de rue dans les années 90.

Au cours de la décennie des années 90 ont surgis différentes formes d’expressions anticapitalistes dans les campus universitaires, et pas seulement dans ces endroits bien sûr, mais l’intention de ce texte est de récupérer la mémoire et la lutte des minorités actives qui convergeaient dans les espaces universitaires, en pleine époque de la joie qui n’est jamais arrivé et des nouveaux temps des deux premiers gouvernements de la concertation, après la fin négociée de la dictature militaire fasciste, la fameuse transition.

Lors que nous parlons de minorités actives, nous faisons référence en particulier aux groupes qui ont impulsé et tenté de propager la lutte de rue, violente et directe contre les flics. Et bien que sont apparus plusieurs noms et sigles, certains qui ont duré plus longtemps ou qui sont plus connus que d’autres, ici nous allons faire référence à ceux que nous considérons comme les plus intéressants. Commençons par préciser que nous parlons de groupes horizontaux et autonomes de quelconque direction politique externe à eux-mêmes (et aussi nous verrons si ça a toujours été ainsi).

La Punta, La Vanguardia, le Cordón Macul.

La Punta était un groupe très radical de la lutte de rue à Macul con Grecia, par exemple. Ce groupe était lié au discours et l’expérience du Mouvement Jeune Lautaro, qui lui-même était la branche jeune de l’organisation politico-militaire Parti Mapu (ou Mapu-Lautaro). La Punta faisait en permanence de l’agitation pour la liberté des prisonniers politiques et sa colonne d’encapuchadxs s’affrontait à chaque fois aux forces policières.
La Vanguardia était composée de compagnon·ne·s qui se revendiquaient comme anarchistes, et principalement s’organisaient pour sortir dans la rue et attaquer la police, en particulier à partir du Pedagógico et du campus Juan Gómez Milla de l’Université du Chili. Ils avaient un discours féroce contre le Parti Communiste et contres les sectes marxistes en général et plusieurs de ses membres ont fini par faire parti de la RAE.
Le Cordón Macul est un nom qui a été beaucoup entendu dans les barricades des années 90. Différents groupes d‘encapuchadxs qui mettaient le feu à la tranquillité démocratique à l’aide de leurs cocktails molotov, depuis le Pedagógico, l’Université du Chili et la Utem, dans le complexe universitaire appelé Macul con Grecia [NdT : complexe universitaire qui se situe à l’angle des rues Macul et Grecia]. C’était des groupes qui se coordonnaient dans des réunions régulières mais informelles, surtout à l’occasion de dates emblématiques comme le 29 mars (jour du jeune combattant), le massacre de Corpus Cristi et le 11 septembre. À savoir que généralement pour le 11 les trois universités de Macul con Grecia étaient fermées, ainsi les salidas dans la rue (ou “colas), commençaient dans les premiers jours de septembre voir même elles se faisaient après le retour en cours (après les vacances des fêtes patriotiques de l’État assassin !). Continuer la lecture de « Mémoire combative »

Quelques idées sur le mouvement zapatiste

zapatistasEn parlant du mouvement zapatiste on pourrait croire que c’est un mouvement contemporain sans racines dans le passé. Cependant le zapatisme tel que nous le connaissons aujourd’hui est en réalité une récupération du mouvement dirigé par Emiliano Zapata au début du XX° siècle, durant la période de la guerre civile connue comme la Révolution Mexicaine.

Sous la devise de “la terre est à celui qui la travaille“, Zapata avait réuni plus de 27 mille hommes et femmes, la majorité des indigènes et paysans du sud du pays, dans l’Armée Libératrice du Sud afin qu’ils luttent pour la récupération des terres qui avaient été confisquées par des notables et des grands propriétaires terriens, un point que le gouvernement soi disant révolutionnaire de Francisco I Madero n’avait pas voulu inclure dans son plan de gouvernement, ce qui lui valut une rupture avec eux. Cette rupture implique que les zapatistes, à travers le plan Ayala, ne le reconnaissent pas (et les deux présidents suivant ) et construisent un mouvement autonome du pouvoir étatique qui perdure formellement jusqu’à 1919 (année de l’assassinat de Zapata), mais qui informellement continue d’être en vigueur pendant tout le XX° siècle.

Le premier janvier 1994, le jour commence avec en gros titres dans tous les journaux : Trois mille indigènes qui s’appellent eux-même Armée Zapatiste de Libération Nationale, prennent la tête de sept communes au Chiapas. Ils lancent une déclaration de guerre contre le gouvernement et annoncent leur intention d’arriver jusqu’à la capitale du pays. Le soulèvement dura 12 jours, durant lesquels de nombreuses personnalités (religieuses, intellectuelles, culturelles), collectifs, organisations, individus … demandent l’arrêt de l’affrontement.

Ces nouveaux zapatistes commencent un processus de dialogue avec le gouvernement qui mène aux Accords de San Andrés (1996), dans lesquels ils demandent que l’État mexicain reconnaisse, entre autres choses, le droit à l’autonomie, la culture, les droits des peuples indigènes dans la constitution et en même temps de satisfaire les demandes de justice et d’égalité pour les indigènes et les pauvres du Mexique. Comme cela avait eu lieu plusieurs années auparavant, le gouvernement les trahira ( ainsi que les quelques 65 peuples indigènes qui vivent dans le pays) leur donnant des miettes de leurs demandes. L’EZLN décide alors de rompre les relations, commence à travailler indépendamment du gouvernement et mise sur la construction de l’autonomie.

Bien que la lutte des zapatistes a été lancée pour obtenir le droit à l’autodétermination, dans ses demandes il n’y a pas d’intention de construire un État indépendant de la Républiques Mexicaine. L’idée est plutôt que le gouvernement les reconnaissent et n’invisibilise plus les peuples indigènes du pays. C’est ainsi que dans tous leurs actes publics ils entonnent l’hymne national et prêtent serment face au drapeau national, en forme d’affirmation de leur appartenance au pays.

En 2003 on voit s’officialiser la division entre la partie civile de l’organisation, appelée Bases d’Appui Zapatistes (dans la majorité des indigènes tzeltales, tojobales, tzotziles, etc) et la militaire, vu qu’ils considèrent que la partie militaire s’immisce dans le processus démocratique et prend le dessus. Ainsi les Junta de Bon Gouvernement restent à charge de la sécurité, des processus démocratiques et de la construction et du développement de l’autonomie ; et l’EZLN reste immergée dans les montagnes et la selva du Chiapas en ayant des contacts publics qu’au travers de communiqués.
Les BAZ et les JBG misent sur un nouveau plan de travail et ouvrent des liens directs avec la dite « société civile organisée » : ils développent une activité abondante de diffusion et propagande (entre elles la revue Rebeldía), créent des organisations hors du territoire zapatiste comme le Front Zapatiste de Libération Nationale, ouvrent des espaces de soutien comme la Cafetería Comandanta Ramona et permettent l’entrée de milliers de personnes dans les communautés comme observateurs ou coopérateurs.

En 2005 l’EZLN lance la Sixième Déclaration de la Selva Lancandone dans laquelle elle appelle toutes les organisations anticapitalistes de gauche à former un front national, horizontal, sans parti, qui lutte pour la construction d’un autre Mexique sans président et une nouvelle constitution qui contienne une réponse aux demandes de tous les groupes en lutte du pays. Des centaines de collectifs, organisations et individus de gauche de tout le pays répondent à l’appel et se déclarent adhérents, y compris de nombreux collectifs anarchistes. C’est ainsi qu’est organisée une Rencontre Anarcho-galactique par des collectifs qui soutiennent cette initiative et voient dans un mouvement de type plateformiste (sous des accords idéologiques minimums) la possibilité de s’unir avec d’autres personnes pour la construction d’une alternative sans leaders ni État.

L’Autre Campagne (LOC) (nom du mouvement qui apparaît à la suite de la publication de la Sixième DSL) se définit sans parti, cependant certains partis de gauche se sont déclarés adhérents. Le Parti Communiste (sans registre formel au Mexique) s’est chargé d’apporter ses images iconiques de leaders à chaque assemblée ou rencontre en même temps qu’il essaie d’introduire ses idéaux politiques. Cela favorise aussi la participation de personnes appartenant à des partis de gauche dans le travail de base au sein de l’initiative des zapatistes.

Dans les deux cirques électoraux qui ont eu lieu depuis qu’est apparu L’Autre Campagne, de nombreux individus adhérents ont appelé au vote utile pour battre l’ultra-droite (représentée par les partis PRI et PAN) et mettre au pouvoir la « gauche » (PRD), soi disant un parti qui pourrait garantir « l’état de droit ». La même EZLN durant tout le processus de dialogue avec le gouvernement pour obtenir la signature des Accords de San Andrés, a entretenu des relations avec l’espoir d’alors, Cuauhtémoc Cárdenas. Ou sans aller aussi loin, depuis l’année dernière elle a soutenu publiquement un mouvement absolument réformiste appelé « Mouvement pour la Paix avec Justice et Dignité », mené par le poète Javier Sicilia, dont le fils a été assassiné par le narcotrafic. Cette initiative civile a cherché depuis le début le dialogue avec le gouvernement pour obtenir que celui-ci réponde aux demandes de réparation pour les familles qui ont un proche qui a été assassiné.

LOC se définit comme un mouvement horizontal sans leaders. Cependant il est plein de figures ou personnages qui font voir l’organisation comme un mouvement vertical. C’est le cas du Sous-commandant Marcos qui n’est pas seulement le porte-parole des zapatistes mais aussi une figure représentative et iconique pour tout le mouvement de gauche sans parti (même si lui et tous les communiqués des JBG essaient de montrer le contraire). Depuis qu’a commencé LOC chacune des actions appelées par l’EZLN ont été soutenues par les collectifs et individus adhérents, la même chose ne se passe pas avec les initiatives qui sont sortis de collectifs plus petits. Clairement, ce sont les adhérents et sympathisants qui ne mettent pas en œuvre la pratique de l’horizontalité.

Même si les avancées obtenues par le mouvement zapatiste se doivent tout d’abord à l’usage de la force armée durant le soulèvement de 94, depuis 1996 ils ont décidé de miser sur la résistance pacifique, c’est à dire, ne pas attaquer, mais se défendre. Et c’est ce qu’ils ont fait toutes ces années : se défendre. Même si la guerre de basse intensité ne s’est pas arrêtée, mais bien au contraire, elle s’est intensifiée ces dernières années, l’EZLN ne s’est jamais remise à utiliser les armes. Est-ce que ça a du sens une organisation armée qui n’utilise pas d’armes ?

LOC, suivant la proposition des zapatistes, se pose depuis le début comme un mouvement civil et pacifique qui rejette ouvertement l’exercice de la violence antagoniste comme forme d’attaque. Nous pouvons trouver une infinité de postures et condamnations contre cette pratique. LOC n’a jamais fait place à autre chose que la création de réseaux et d’interminables dialogues et discussions autour de comment construire de nouvelles formes de gouvernement, de travail, etc …

Ce que nous écrivons n’est pas une condamnation envers les zapatistes ou envers ceux qui croient de manière utopique que le processus organisatif et de lutte de LOC est une attaque réelle contre l’État. Nous reconnaissons ouvertement que la construction d’autonomie des zapatistes est une des expériences les plus intéressantes qui se sont faites dans cette région, même si bien sûr ça n’est pas la seule car il existe d’autres mouvements indigènes autonomes dans d’autres parties du pays (ERP, ERPI, Alianza Magonista. Zapatista, Radio Ñomndaa…). Au sujet de LOC, nous manifestons de grandes réserves en ce qui concerne les moyens et objectifs avec lesquelles ils travaillent. Un réseau de solidarité et d’appui n’est pas suffisant pour arriver à un changement de fond.

Le zapatisme, au cours de ces années, a réussi à résister aux attaques de l’État, de tout type de forces du (dés)ordre et de groupes paramilitaires. Ils ont récupéré des milliers d’hectares de territoire. Ils ont crée des hôpitaux, des écoles et des coopératives de production. Ils ont formé des centaines de personnes qui à leur tour forment d’autres personnes. Ils ont crée leur propre système de gouvernement (les assemblées de Bon-Gouvernement) qui reprend la tradition des gouvernements d’us et coutumes dans lesquelles se construit dans la pratique la démocratie directe. Les dirigeants sont élus en assemblée et s’ils ne réalisent pas bien leur travail on leur retire la charge. Chaque charge est temporelle et les responsabilités sont rotatives. Ils ont crée une structure politico-géographique à travers les Caracoles, de façon à ce que leur territoire soit unifié. Ils ont crée un système de justice propre.

Les zapatistes les plus vieux disent qu’il y a des années (pas tant que ça en réalité) les indigènes au Chiapas ne pouvaient pas marcher sur le trottoir, ils devaient marcher sur la route là où sont les voitures. Ils racontent aussi qu’aux femmes qui travaillaient sur les terres des grands propriétaires terriens on leur appliquait le droit de cuissage (avant de se marier elles étaient obligées d’être violées par le maître). Ils disent qu’ils étaient traités comme du bétail. Et ils racontent encore beaucoup d’autres choses aussi horribles que celles-ci. C’est pour ça que nous n’allons pas critiquer cette forme qu’ils ont choisi pour construire leur autonomie : chacun doit agir en prenant en compte les circonstances et espaces dans lesquelles il vit.

Ce que nous pouvons critiquer par contre c’est justement l’absence de critique de nombreux collectifs et individus anarchistes du Mexique. Comment participer à un mouvement vertical où certains sont importants et où tu es puni si tu ne respectes pas les règles (et ça nous le disons pour les compagnon-ne-s qui sont plus proches de l’organisation) ? Comment peuvent-ils participer à cette condamnation de la violence antagoniste si le fait même d’être anarchiste signifie de fait une posture violente contre l’ordre établi ? Comment peuvent-ils faire des alliances avec une organisation qui cherche à construire la démocratie si nous nous ne croyons pas en la démocratie, ni dans les drapeaux, ni les patries, ni les hymnes nationaux ? Comment peuvent-ils croire en un mouvement de masses ? Comment peuvent-ils penser que nous allons pouvoir nous mettre d’accord avec des marxistes, trotskistes, léninistes, communistes, pacifistes … ? Quelle affinité idéologique peut-on avoir avec une organisation de style marxiste ?

Nous nous croyons en une affinité qui va au delà de se déclarer anti-capitaliste, ou de se dire activiste, ou d’être contre l’État et le système démocratique actuel. Nous croyons en la création de groupes d’affinité, partant d’une pratique réelle, qui s’oppose et se confronte au pouvoir. Nous croyons en la destruction du système, et pas en sa possible transformation et réhabilitation. Nous croyons en la confrontation directe sans besoin de justifications comme l’autodéfense ou la résistance. Ces différences au sujet des formes d’agir, objectifs et moyens de la lutte, que maintiennent les zapatistes et LOC, nous font nous tenir à distance d’eux.

La letra armada

La letra armada est un collectif anti-autoritaire qui se consacre à l’édition, l’impression et l’élaboration de matériel anarchiste qui diffuse la lutte insurrectionnelle en même temps qu’il soutient les prisonnièr-e-s de la guerre sociale qui ont été séquestré-e-s ou sont poursuivi-e-s par l’État. 

Le rêve de mon adolescence [Novatore]

masturbaciones

Que la sagesse des lâches pourris ne se moque ni ne se scandalise de l’idiote chasteté des demoiselles bien comme il faut.
Je suis une adolescente précoce qui après un long voyage accompli à travers les labyrinthes phosphorescents des profondeurs les plus effrayantes remonte vers le sommet pour chanter au soleil la sacrilège et superbe chanson de ma vie encore jeune et libre. Quelqu’un m’a dit : “Tu seras femme, tu seras épouse, tu seras mère ! …”
Et j’ai répondu par la question suivante : que veut dire femme, épouse, mère ? Je ne dirai pas ici ce que l’on m’a répondu ; je sais juste qu’en y pensant j’en ri, j’en ris encore. L’Amour compris comme une mission ? La femme épouse et mère ?
Non non non ! Je ne serai pas épouse, je ne serai pas mère ! Ma révolte ne peut s’arrêter à mi-chemin ni tomber dans l’erreur. Ma révolte -en plus de le faire contre la famille -lance aussi ses dards contre la nature. Je ne veux pas être épouse, je ne veux pas être mère. Non, non, non !

***

Hier soir je me suis déshabillée devant le miroir et je me suis regardée longuement. J’ai vu mon corps de chair entouré d’une onde de lumière qui avait de petits frémissements. Je ne sais pas bien pourquoi, mais je me suis adorée…
Les tétons durs se dressaient superbement sur les seins, trésors de blancheur laiteuse. Mon ventre lisse et rond me donnait l’impression d’être quelque chose de modelé dans l’ivoire le plus fin de la main miraculeuse d’un artiste divin. J’avais des boucles blondes de cheveux ondulant dans les courbes du dos et les yeux aux paupières humides légèrement entourées de violet et de noir. Le duvet couronnant la basse rondeur de mon ventre ressemblait à une aile d’or sur le dos sacré des anges du ciel. Ma bouche rouge ressemblait à une grenade mûre, ouverte aux caresses blondes du soleil. Je me suis approchée du miroir et j’ai embrassé avec passion le reflet de mes lèvres…
Je ne sais pas si dans ma vie j’ai déjà désiré avec autant d’intensité qu’hier soir quand j’ai désiré être moi-même un homme pour laisser tomber sur le lit ce corps blanc virginal que le mystère me montrait dans le miroir limpide.
Mais l’idée de l’étreinte m’a donné une autre idée.
Chaque cause a son effet…
Je me suis allongée sur le lit. Mes tempes martelaient. Mon sang bouillonnait dans mes veines. J’ai peut-être déliré…
Je sais que j’avais les yeux fermés et je ne voyais que les ténèbres. Mais dans les ténèbres j’ai vu un autre miroir.
Celui de l’imagination qui montrait la réalité. Je m’y suis regardée. J’y ai vu mon joli ventre lisse et émaillé horriblement gonflé, avec une ligne symétrique au centre de couleur vert olive, qui me donna la sensation abjecte d’un petit serpent étendu sur un sac rempli de grosses herbes fanées. Et puis aussi mes seins blancs et superbes, je les vis tombants et flétris…
J’étais mère !
Un sale mioche me suçait le sang avec avidité, consommait ma jeunesse, détruisait cruellement ma beauté divine que j’aurais voulu immortelle. Le désir d’hier soir est passé, mais le cauchemar est resté.
Mère… que veut dire tout cela ? Donner des enfants à l’espèce, d’autres esclaves à la société, d’autres abandonnés à la douleur…
… Mère… Épouse… Ce sont donc les buts de l’Amour ?
Ah, vieille sorcellerie de la morale, vieux mensonges de cette vieille humanité.
Non, je ne serai jamais l’épouse de personne, je ne donnerai aucun enfant à l’espèce. Jamais !
La vie est douleur, l’humanité est mensonge. Qui accepte de perpétuer l’espèce est ennemi de la beauté pure.
L’humanité est une race qui doit DISPARAÎTRE !
L’Individualisme doit tuer la société, le plaisir doit étrangler la douleur. Que les pleurs et la douleur meurent noyés dans une orgie finale de joie. Donnez vous à la folle joie de vivre, vous qui aimez la vie, vous qui aimez la fin…
Que doit nous importer l’avenir ? Que peut vous importer l’espèce ?
En avant, vous qui vous êtes découverts, faisons du monde une fête et de la vie une orgie crépusculaire de l’amour. Pour ceux qui viennent des abîmes du mensonge social auquel s’accrochent les racines de la douleur humaine, la joie doit être la fin, et la fin le but suprême.
Je ne veux pas d’un enfant qui suce ma beauté, qui flétrisse ma jeunesse.
Je ne veux pas d’une famille qui limite ma liberté ; je ne veux pas d’un mari insipide, jaloux et brutal, qui, en échange d’un bout de pain, empêche à mon âme les envolées lyriques au travers des plus divines et immorales folies de la luxure et de la volupté que de multiples amours donnent à la chair.
Je n’aime pas les maris et peut-être pas non plus les amants.
J’aime le plaisir et l’amour. Mais l’amour est une fleur qui fleurit sur la bouche des hommes.
Lorsque je m’approcherai de leur bouche pour cueillir la fleur perverse de l’Amour, je ne le ferai que pour mon amour. Aimer les autres est toujours superflu et parfois stupide. C’est suffisant de s’aimer soi-même. C’est suffisant de se savoir aimé. Et moi je saurai m’aimer tellement, tellement !
Je m’aimerai nue devant le miroir le soir, je m’adorerai nue dans la baignoire le matin, je m’enivrerai nue dans les bras des amants.
L’humanité marche sur les chemins de la douleur pour se perpétuer, moi je me dirige sur les chemins du plaisir parce que je cherche la fin.

***

Je marche vers l’orient, je marche vers l’occident.
Je veux marcher sur les chemins du monde pour cueillir les fleurs de l’amour, de la joie et de la liberté.
J’aime les bas de soie noire et couleur chair. Les culottes de soie blanche et de soie rose. Les chaussures de caoutchouc et tissus raffinés.
Les bains d’eau vinaigrée et de cologne, parfum de Cotty et bouquets de roses.
Je veux marcher sur les chemins du monde pour cueillir les fleurs de l’amour, de la joie et de la liberté. Je couperai les branches des tilleuls, je cueillerai des bouquets hortensia, des grappes de glycines et des fleurs de laurier-rose pour préparer à mon amour des lits parfumés.
Et je serai l’amante des vagabonds et des voleurs. Et je serai l’idéal des poètes.
Parce que je ne veux rien donner à la patrie, à l’espèce et à l’humanité.
Je veux m’enivrer à la source du plaisir, de la luxure et de la volupté. Je veux brûler en entier sur le bûcher de l’amour. Je ne veux pas être mère, je ne veux pas être épouse. Non, non, non !
Lits parfumés, baisers d’amants et musique de violons fous.
Danses et chansons.
Je le sais. Vous me direz folle et perverse. Vous m’appellerez p… .
Mais ce sont de vieux noms impotents qui ne m’affectent plus.
Je suis l’adolescente précoce qui, après avoir erré dans les plus effrayantes abîmes de la profondeur, remonte vers le sommet pour chanter au soleil la chanson sacrilège de ma vie libre.
Vie de beauté et de force, vie d’art et d’amour, source du péché divin, jaillissant dans l’oasis sacrée de la volupté. C’en est assez des frénésies épileptiques de l’esprit.
Rien de plus que mon jeune corps appartient à la beauté païenne.
Ô Amour, fais-moi m’envoler…

Renzo Novatore (Écrit sous le pseudo de Sibilla Vane, paru dans Vertice, Arcοla, La Spezia (Ligurie), 21 avril 1921)

Sur la solidarité dans la répression. Sur l’affinité.

solidaridadUne fois j’ai entendu un vieil anarchiste qui avait vécu la révolution et la guerre et qui avec la sagesse que donne l’expérience et un petit sourire sur le visage disait :” les anarchistes ce qui nous plaît le plus c’est de nous disputer”, et il n’avait pas tort. Il y a mille et une divergences connues au sein du mouvement : cénétistes vs. cégétistes, anarchosyndicalistes vs. insurrectionnalistes, mais même au delà de ça, au sein de l’idéologie, de chaque groupe, de chaque famille émergent des divergences et les débats explosent avec passion, parce qu’en plus d’envie de se disputer une autre chose que nous avons l’habitude d’avoir, nous les anarchistes, c’est une passion pour ce que nous croyons, et cette passion nous envahit à chacun de nos pas, à chaque décision que nous prenons, à chaque risque que nous assumons. Cette “richesse” qui donne la variété d’opinions est la conséquence du refus que personne ne te dise ce que tu dois penser ou ce que tu dois faire, le refus des dirigeants qui tracent une ligne politique à suivre, la raison d’être de l’importance et la responsabilité individuelle face à la soumission devant un leader, un programme, un parti, etc … Évidemment nous ne prendrons pas le palais d’hiver mais ce que nous faisons, les décisions que nous prenons, seront la conséquence d’une analyse personnelle que chacun de nous assumera individuellement.

L’affinité dans nos groupes est quelque chose de fondamental, la libre association fait que cette affinité est agglutinante du groupe, et même, cette affinité en plus de politique devient nécessairement personnelle car l’honnêteté envers les compagnons devient un ciment sur lequel construire n’importe quel projet politique à venir.

Jusqu’ici tout ceci se fait plus ou moins naturellement dans les conditions normales. Mais lorsque la répression se jette sur nous tout cela devient un déchaînement de passions, de peurs, d’adrénaline débridée, de nerfs … La répression est un coup dur auquel nous ne nous habituerons jamais, d’autant plus lorsque ça te touche de près. C’est dans ces moments que toute cette passion que nous portons dans nos discussions se débride et devient un problème. Thessalonique, Milan, Turin, sont des exemples de comment la répression creuse les divergences, éclatent les vieilles rancœurs et les vieilles querelles et finissent par se déchaîner en une spirale d’attaques et vendettas auto-destructives totalement inutiles et décourageantes pour le reste des groupes et individus en affinité qui observent ça de loin. La ligne fine qui sépare la divergence politique ou méthodologique de l’attaque personnelle ne devrait jamais être dépassée, encore moins dans des moments d’attaques répressives de la part du système, ceci devrait être une maxime gravée au feu entre compagnons. Isoler un compagnon blessé et séquestré entre les griffes du capital est largement contraire à l’idéal de solidarité et d’entraide auquel nous pensons croire fermement.

Lorsque le système s’acharne à mort contre un compagnon ça n’est pas le bon moment pour faire émerger de vieilles rancœurs et l’attaquer avec des reproches sur des vieilles questions, c’est plutôt mesquin et cruel. Lorsque la répression s’acharne sur des compagnons engagés qui, divergences, colères, disputes et affrontements verbaux mis à part, ont largement prouvé leur implication, courage, engagement et dévouement, la solidarité doit être indiscutable. Bien entendu la solidarité ne doit pas amener à une attitude acritique, les différences politiques, idéologiques et méthodologiques sont acceptables et nécessaires, mais la solidarité doit passer au dessus des divergences lorsque la gravité de la situation l’exige. C’est aussi facile que : ” je ne partage pas tes méthodes, ton approche de l’affrontement, ta méthodologie, mais tu peux compter sur mon soutien et solidarité maintenant que la machinerie coercitive et destructrice du système s’acharne sur toi”.

La solidarité entre acrates ne devrait pas être juste des mots sur du papier.

Rojoscuro

Lettre d’une lycéenne à ses parents

la_des1-300x225Je sais que je vous dois beaucoup. Vous m’avez donné naissance, vous m’avez nourrie et abreuvée, et vous m’avez élevée. Vous m’avez même aimée. Ou plutôt vous dites que vous m’avez aimée. Car la réalité est un peu différente.

Vous m’avez amenée dans un monde où vous étiez forcés de me laisser quelque part chaque jour, et de partir à vos occupations et votre travail. Vous m’avez mise au monde, puis vous avez toujours cherché un endroit où me jeter. Vous m’avez amenée à l’école et, comme si ce n’était pas suffisant, vous m’avez fait suivre toute une série de cours de soutien, et m’avez inculqué l’anxiété pour mon avenir incertain. Si mon futur est si incertain, si vous avez fait de cette planète un endroit si dangereux où vivre, pourquoi alors m’avoir amenée dans ce monde ? En quoi consiste ma vie ? Deux heures par jour de télé et de jeux vidéo ?

Je veux découvrir le monde, ouvrir mes ailes, m’envoler et tout observer en l’espace d’un instant. Je veux sortir et rencontrer des gens, jouer et m’amuser, me sentir heureuse et ne pas me soucier de si j’ai cours demain et que je n’ai pas fait mes devoirs. Je veux rêver d’un monde où ils ne chercheront pas de lieu où me stocker, où ils n’auront pas à travailler en permanence, où l’on ne craindrait pas de rencontrer de nouvelles personnes, où le futur ne m’effraiera pas, et où il n’y aura ni maîtres ni esclaves.

Je vois votre misère mais je ne m’y suis pas habituée, et je ne veux pas m’y habituer. Vous ne me ferez pas baisser les bras juste parce que vous avez baissé les vôtres. Je ne veux être ni l’esclave ni le chef de personne. Je veux que vous me laissiez tranquille.

Je n’ai pas peur de ces chiens de garde en uniforme dont vous avez peur. Vous voyez de l’ordre et de la sécurité en eux. Cessez de vous moquer de moi, car je sais très bien que cet ordre n’est qu’hypocrisie ; quant à la sécurité publique, eux-mêmes sont le plus grand des dangers.

Ils sont des symboles du Pouvoir, de votre propre autorité, de l’autorité des profs, des politiciens, de tous les adultes qui vivent ainsi. Vous êtes ceux qui ont appris à vivre ainsi, pas moi. S’ils veulent me chercher des noises, ils vont voir. Ils n’ont aucune chance face à moi, qu’ils gardent bien ça en tête. Je suis en colère et dangereuse. Et nous sommes nombreux, nous somme partout, on peut même nous trouver dans les foyers des meurtriers. Partout où ils sont, ils ne peuvent pas se cacher de nous. D’une façon ou d’une autre nous sommes ceux qui resteront debout, pas eux.

Ne soyez pas fâchés contre moi, je fais seulement ce que vous m’avez appris. Vous dîtes que cette révolte n’est que désordre et destruction. Et maintenant que je grandis, désordre et destruction sont tout ce que vous obtiendrez de moi.

Je vous aime. À ma façon toute particulière, mais je vous aime vraiment.

Mais je dois construire mon propre monde afin de vivre une vie libre, et pour cela je dois détruire le votre. C’est la chose la plus importante à mes yeux. Pour le dire avec vos mots : c’est mon travail.

Grèce, décembre 2008

Ce Fut Notre Travail. Mais ça ne l’est plus désormais.

TIOJTrois ans après le premier article sur This Is Our Job*, j’ai décidé de mettre fin à ce projet anarchiste particulier afin de me consacrer à d’autres projets anarchistes. Tout d’abord, je veux avoir plus de temps pour la traduction et la préparation de la diffusion de livres publiés à travers memory_lapse press, qui est ma propre petite initiative d’édition.

Je ne suis toujours pas sûr de quoi les premiers livres parleront, s’ils voient le jour. L’anarchisme insurrectionnaliste a beaucoup signifié pour moi dans les quatre ou cinq dernières années, mais en toute honnêteté il a aussi eu certains effets négatifs sur ma personne pour que j’en ai le besoin de m’en distancier. Donc peut-être que les livres auront à voir avec des sujets qui sont dans la confrontation et constructifs à la fois, contemporains et historiques, mais portant toujours au centre l’anti-autoritarisme et la pertinence éternelle de ceux qui voient véritablement le monde à travers son voile mensonger, encore certains que cela devra, pourra, et sera un bien meilleur endroit.

J’ai quelques choses à dire à propos de l’état actuel de l’anarchisme insurrectionnaliste en tant que courant au sein d’un anti-autoritarisme plus large, tout comme sur le rôle et l’efficacité de ce qui est maintenant connu en tant que contre-information comme un moyen de diffuser les nouvelles et discours venant d’anarchistes insurgés. Je dois admettre que j’avais des réticences sur le fait d’aller de l’avant et partager ouvertement ce que j’ai envie de dire, mais comme c’est mon dernier article, je devrais tout de même faire tout ce qui doit être fait.

Depuis mon premier contact avec l’anarchisme insurrectionnaliste, j’ai graduellement distillé certains aspects de la théorie qui est derrière, comme essentielle, et rejeté le reste. Pour moi, un anarchisme insurgé fécond est diffus, illégal, offensif, stratégique, consistant et éthique. Son but premier devrait être l’attaque des infrastructures physiques de la répression, réduisant et handicapant éventuellement ainsi la capacité de la répression à fonctionner. Ce qui en découle n’est pas la destruction radicale de chaque élément de la société telle que nous la connaissons, mais l’ouverture d’un espace dans lequel des initiatives anarchistes constructives peuvent fleurir. Quand la domination est repoussée, la libération va de l’avant.

Mais en pratique ce n’est pas vraiment ce que j’ai observé pour la plupart des groupes d’action et des individus s’engageant dans l’anarchisme insurrectionnaliste. Malgré mon respect énorme pour leur héroïsme, mettant leurs vies en danger pour attaquer l’irrationalité brutale du pouvoir, nombre d’entre eux ont fait preuve de mauvais choix lorsqu’il s’agit de décider des cibles et de l’exécution technique.

Sans pointer du doigt des exemples précis d’attaques que j’ai trouvés particulièrement inutiles – des attaques qui semblent avoir été menées seulement pour faire un communiqué, avoir un peu de publicité sur internet et permettre aux participants de gonfler un peu leurs muscles, voire juste de se mettre en avant – j’ai ressenti que la stratégie de base n’est pas prise en considération par ceux qui s’engagent dans l’anarchisme insurgé. Cela mène à de longues peines de prison pour nombre de compagnon(ne)s, souvent en échange de dommages structurels négligeables, et c’est une équation non viable pour une tendance déjà si marginale qu’elle ne peut être considérée que comme l’avant-garde de l’avant-garde.

Quand on attaque une cible, la première bonne question à se poser est : combien cette cible spécifique participe à la répression (voire même, à quel degré suis-je personnellement réprimé par celle-ci ?), et à quelle hauteur sa destruction causera des difficultés à la répression ? C’est une question simple, mais un coup d’œil sur ce en quoi constitue ces jours-ci l’attaque de l’anarchisme insurrectionnaliste démontre clairement qu’elle n’est pas posée.
L’État déploie des éléments répressifs spécifiques en premières ligne : la police (commissariats, véhicules et autres équipements), les tribunaux (et les bâtiments qui les logent) et les prisons (qui comprennent les entreprises privées et étatiques qui les dirigent). La ligne suivante comprend les agences de renseignement et leurs infrastructures physiques (bureaux, véhicules, ordinateurs et réseaux de communication, etc.). Et finalement, il y a l’infrastructure militaire et tout ce que cela comprend.

Du côté du capitalisme, la répression découle de l’industrie financière, de l’industrie de la publicité, l’industrie manufacturière et celle de la vente, parmi d’autres. Mais prenons par exemple l’industrie financière. Causer des dégâts mineurs (ou même majeurs) à un DAB ou à une succursale est, pour un conglomérat banquier, largement équivalent à une piqûre de moustique. L’infrastructure opérationnelle véritable du capitalisme réside dans les bureaux et les sièges corporatifs, et bien que ces cibles soient difficiles à atteindre, elles ne devraient pas être complètement négligées.

Cependant on attaque rarement ces objectifs étatiques et capitalistes. Est-ce que c’est parce que la peine possible de prison pour saboter à la colle un DAB est moindre que celle qu’on se prend quand on met le feu à un hélicoptère de la police ? Ou bien est-ce que c’est un manque de vision, d’ambition, de capacité, de ressources ? J’aimerais le savoir. Tout ce que je peux dire avec certitude c’est qu’en attaquant ce que je considère comme des objectifs de peu d’importance – objectifs dont la valeur répressive pour le système est si basse que ça serait comme ne rien faire – l’anarchisme insurrectionnaliste est en train de tomber dans le même piège que le reste des courants anarchistes, comptant sur des routines rebattues qui ne conduisent nulle part en dehors du ghetto alternatif de ceux qui sont déjà impliqués dedans.

Comme un ajout à la critique précédente, je veux dire quelque chose au sujet des bombes. Je crois qu’il est clair que l’usage de bombes par des anarchistes insurrectionnalistes devrait ou bien être complètement abandonné, ou du moins être confié à ceux qui ont vraiment des connaissances expertes dans la fabrication d’explosifs improvisés qui soient sûrs et efficaces. Combien de fois nous avons lu que des bombes n’avaient pas explosé, ou qu’elles avaient explosé au mauvais moment, blessant au hasard des passants, ou bien qu’elles avaient explosé comme prévu mais avaient causé peu de dommages ? Sans parler des compagnon(ne)s qui sont morts ou ont été gravement mutilés par l’explosion prématurée de bombes qu’ils/elles essayaient d’utiliser. Je crois vraiment qu’au lieu de bombes il faudrait faire un effort coordonné pour utiliser des engins incendiaires transportables bien conçus, vu qu’un incendie ravageur fera toujours plus de dégât qu’une explosion de basse intensité.

Maintenant au sujet de la contre-information. Ma frustration principale avec This Is Our Job a été que très peu de gens le lisait. C’est peut-être de ma faute, vu que j’aurais pu faire certaines choses pour en faire la promotion. Mais le dilemme reste : si le but de la contre-information est de diffuser – autant que possible- des nouvelles et des discours issus de l’action de l’insurrection anarchiste, alors la contre-information en elle-même doit aller au delà de ce qu’elle fait à l’heure actuelle. Je ne sais pas vraiment comment faire pour que ça arrive, et ces insuffisances m’ont posé problème la majeure partie du temps durant les trois années où This Is Our Job a été actif. Je ne suis pas au courant de la fréquentation qu’ont eu les autres pages de contre-information, sans tenir compte de la langue, mais je peux dire que mes propres chiffres ont été positivement faibles.

Ainsi, étant donné tout ce qui précède, ça semble pertinent de mettre un terme au projet à ce moment précis. Les archives resteront en ligne, sur l’ancien site comme sur l’actuel. J’essaierai toujours de satisfaire les demandes pour récupérer des textes spécifiques postés à certains moments. Et j’apprécie toujours les propositions de traduction du milieu de langue grecque – et espagnole- envoyées à l’adresse mail habituelle : tioj[at]thisisourjob[dot]org. Peut-être que je pourrai les mettre dans un livre un jour.

Pour finir je voudrais remercier tous les compagnon(ne)s qui ont pris du temps pour lire le site régulièrement et qui m’ont contacté personnellement pour me tenir informé, coordonner le travail, m’envoyer des textes à traduire, ou juste pour me saluer. J’espère seulement qu’un jour, d’une façon ou d’une autre, on pourra se rencontrer face à face pour partager un verre, un repas, une bise, et l’intimité chuchotée de notre passion pour la libération.

Vive les rebelles, toujours.

– Matthew (This Is Our Job).

* Le compagnon anarchiste, Matthew, s’est inspiré d’un communiqué d’une jeune rebelle écrit à ses parents durant les batailles de rue de décembre 2008 en Grèce pour donner un nom au blog This is Our Job (c’est notre travail) : “(…) Vous dites que la révolte c’est le désordre et la destruction. Je vous aime. À ma manière, je vous aime. Mais je dois construire mon propre monde afin de vivre une vie libre, et pour cela je dois détruire le votre. C’est la chose la plus importante à mes yeux. Pour le dire avec vos mots : c’est mon travail [this is my job]”.

Catalogne antinationaliste : ni catalanistes ni espagnolistes

no_nacionalismoLe thème de l’indépendance est plus présent que jamais. L’élite catalane, depuis le gouvernement de Catalogne et les moyens de communication, bombardent la population de messages nationalistes qui embrouillent d’une telle façon que le conflit social, la tension entre riches et pauvres, est pratiquement neutralisé. Les gens aiment « leurs » institutions nationales, leurs leaders politiques, la classe patronale catalane, se donnant et se soumettant avec beaucoup de plaisir, tout émus de voir que ceux qui les rendent esclaves et les exploitent économiquement maintenant, les sauveront de l’oppression espagnole.

Nous espérons que notre apport à la question, d’un point de vue anarchiste, puisse contribuer à développer une force sociale de pensée et d’action qui s’oppose au courant dominant nationaliste. Les partis politiques de toutes les couleurs, bourgeois et pseudo-ouvriers, de droite et de gauche, alimentent un courant de pensée dominant à caractère patriotique et nationaliste dans lequel se noie la société catalane et duquel peu de gens sont capables d’échapper.

Les mouvements nationalistes ont tendance à appliquer le critère suivant : ou tu es avec moi ou tu es contre moi, tu es des miens ou tu es du peuple ennemi (ou encore, tu es catalan ou tu es espagnol, tu es serbe ou tu es croate, tu es ukrainien ou tu es russe). N’importe qui, qui décide de se démarquer des plans et programmes d’un mouvement nationaliste, est accusé de donner sa préférence et d’appartenir au peuple détesté, à l’ennemi. Peu importe le motif, il n’y a pas de raison (rationnelle) qui puisse tenir tête au sentiment (irrationnel) d’appartenir à un peuple déterminé à réaliser son destin glorieux.

Nous, les anarchistes, nous ne suivons pas le courant catalaniste dominant, ni ne paradons avec les forces politiques en faveur de l’indépendance de la Catalogne, ni ne nous identifions avec la patrie catalane. C’est pour ça qu’ils nous accusent d’être espagnolistes.

Par ce texte nous voulons rompre avec la dualité catalan/espagnol, indépendantiste/espagnoliste. Nous voulons apporter une troisième vision, une nouvelle voie de dépassement du conflit national. Nous voulons dépasser le conflit en portant simplement l’attention sur l’individu à l’heure de construire une société juste et sans oppression.

Au sujet de la libération et de l’autodétermination des peuples

Aujourd’hui l’autoritarisme, dans ses diverses formes (capitalisme, patriarcat, religion, État …) s’étend à travers le monde en soumettant par une forme ou une autre la totalité des populations. À cette force paralysante et abrutissante qui suppose l’autorité s’oppose l’action et les idées de ceux/celles qui veulent créer un monde nouveau basé sur la relation fraternelle, libre et solidaire entre les individus et leurs communautés : les anarchistes.

En Catalogne, le fait est qu’une grande partie de la population s’identifie avec une série de traits linguistiques et culturels qui ne correspondent pas dans leur totalité avec les valeurs linguistiques, morales, religieuses, culturelles, traditionnelles, artistiques, esthétiques et éthiques que le Royaume d’Espagne (Reino de España) promeut et impose de la même façon à tous ses sujets. On pourrait dire qu’une grande partie de la population catalane se sent appartenir à un collectif de personnes avec lequel elle partage une façon relativement similaire de parler, de célébrer les fêtes, de manger, de regarder le foot, de marier les filles…

Ceux qui s’identifient avec ce collectif ne voient peut-être pas très clairement quelles sont les caractéristiques qu’ils doivent avoir, les conditions qu’ils doivent remplir pour appartenir à ce club de personnes aussi hétérogène, aussi vaste, aussi abstrait. Les membres de ce club disent « je suis catalan ! » mais ils auraient bien du mal à définir ce que veut dire être catalan, ou définir avec clarté ce qu’est le peuple catalan.

Or, les membres, et surtout le président du club, eux voient très clairement comment tu ne dois pas parler si tu veux faire partie du club, comment tu ne peux pas célébrer Noël et quelle équipe de foot tu ne dois pas supporter. Pour être catalan tu peux parler comme les bourges de Barcelone ou comme les gitans de Lleida, mais tu ne peux pas parler comme le Quichotte, tu ne peux pas manger de la « zarzuela » pour Noël, tu ne peux pas être de Madrid, tu ne peux pas, tu ne peux pas…

Depuis l’apparition de l’État espagnol (1714), ses élites ont mené à terme un plan d’homogénéisation de la population au niveau culturel et linguistique qui consiste à imposer les traits culturels et linguistiques que seulement une partie des sujets partagent : les Castillans. Il s’agit de créer une communauté homogène de sujets qui s’identifient à une seule langue, un seul roi, un seul État, un seul drapeau.

Ce processus d’uniformisation culturelle a comme victime la diversité et l’hétérogénéité. Cette relation de domination a provoqué historiquement la répression et la persécution de tous les traits culturels et linguistiques propres aux territoires catalans.

Par opposition à cette répression culturelle sont apparus au cours de l’histoire des initiatives sociales et politiques qui ont revendiqué l’autodétermination du peuple catalan. De nos jours cette tension persiste, même si c’est de façon moins violente, et les forces indépendantistes et nationalistes catalanes continuent de revendiquer l’autodétermination, mais toujours sous un même principe : la création d’un État catalan. Mais sous quelle forme le peuple catalan peut-il réellement être libre ?

En tant qu’anarchistes nous concevons la liberté comme le développement entier des individus dans toutes leurs formes (intellectuel, émotionnel, culturel, physique…) au sein d’une société libre et solidaire, dénuée de tout type d’autorité. Pour autant, nous rejetons l’idée que n’importe quel État-nation soit la solution à notre esclavage, quand bien même il s’appellerait catalan. Nous sommes pour la destruction de tous les États et pas pour en créer de nouveaux.

L’anarchisme propose de construire la société en centrant l’attention sur les intérêts de chacun de ses individus, puisqu’il considère que ceux-ci ne sont pas nés pour satisfaire les aspirations de tiers, mais pour s’auto-réaliser. D’un autre côté, le nationalisme prétend construire la société et la justice en centrant l’attention sur les intérêts des nations. Celles-ci sont des entités abstraites construites à un niveau supérieur à l’individu. Dans les nations, les individus sont des moyens pour satisfaire l’intérêt national et ainsi, au moment où l’intérêt de l’individu s’oppose à l’intérêt national, la société basée sur la nation oblige l’individu à agir contre son propre intérêt et contre sa propre volonté pour satisfaire ce qu’il y a de plus sacré : la volonté nationale. C’est ainsi que les soldats vont faire la guerre contre la nation ennemie, prêts à donner leur vie pour sauver la patrie.

Le nationalisme catalan, comme n’importe quel autre, tend à créer une perception homogénéisante et simpliste qui implique le fait d’être né dans un endroit déterminé. La pensée propre du nationalisme, le patriotisme, culpabilise, exclut et punit la diversité culturelle (par exemple la coexistence de différentes langues ou de différentes identités sur un même territoire), la concevant comme une menace envers l’identité en elle-même, qu’il faut réprimer et contrôler. L’exaltation patriotique de ce qui est propre à un peuple porte la plupart du temps sur la volonté de soutenir dans le temps des traditions et coutumes qui, pour être anachroniques ou injustes, devraient être dépassées.

La conclusion la plus claire que nous tirons est que n’importe quel type de nationalisme, même de caractère indépendantiste (par exemple le cas basque ou catalan), est centraliste et réprime les différences qui existent en son sein, vu qu’il appartient à la « nation », en oubliant que chaque individu est un être autonome avec des caractéristiques propres qui le rendent unique par rapport à une autre personne.

Souvent, deux peuples, deux nations, peuvent se différencier principalement en pratiquant une religion différente (Serbes-orthodoxes, Bosniaques-musulmans et Croates-catholiques) mais ils partagent la langue (les Serbes, Bosniaques et la majorité des Croates partagent un parler slave appelé štokavica, štokavština ou štokavsko narječe).

Dans le cas des Catalans et des Castillans, la langue est la caractéristique déterminante, ou la plus évidente, à l’heure d’établir une différence vu que les Catalans comme les Castillans, traditionnellement, se sont soumis au pape de Rome.

Au cours de l’histoire il y a eu des exemples de nations ou peuples qui se sont crées et défaits selon les intérêts politiques des élites dominantes du moment.

Pour créer une nouvelle identité nationale qui englobe un nouvel État, il faut juste centrer l’attention et donner la catégorie de valeur nationale, de trait distinctif, à ce qui est commun à tous les territoires de l’État. Dans le cas de la République fédérative socialiste de Yougoslavie de Tito, les différences de religion entre Serbes, Bosniaques et Croates seront oubliées et l’identité nationale sera construite sur la base de la lutte contre le fascisme et de la langue slave commune « serbo-croate ».

Pour diviser une nation en deux ou plus, il faut juste nier ce qui est commun et favoriser au maximum ce qui différencie. Pour séparer les Catalans des Valenciens, on ignore les similitudes du parler valencien avec le parler catalan occidental et on centre l’attention sur les particularités de la langue de la capitale valencienne pour tracer la ligne de séparation. Pour diviser la nation yougoslave en nations serbe, croate et bosniaque, il faudra juste rappeler à la population à quelle église ou mosquée allaient les parents des Serbes, Bosniaques et Croates.

La création des nations et leur évolution est clairement déterminée par les intérêts politiques des élites dominantes qui appliquent des plans d’homogénéisation ou de division de la population en mettant en avant ou en ignorant les différences et les traits culturels. Les nations telles que nous les connaissons et leurs frontières ont vu le jour avec des guerres et des conflits d’intérêts entre élites de pouvoir de différents endroits du territoire.

Les Pays catalans (Catalogne Nord, Pays valencien, la Franja, le Principat, l’Alguer et les Baléares) sont le résultat de l’expansion du pouvoir de Jacques Ier d’Aragon, du nettoyage ethnique sur les territoires conquis aux Sarrasins et de l’établissement de la population catalane sur les territoires annexés à la Couronne. Les nationalistes catalans prétendent maintenir durant des siècles ce statu quo hérité de Jacques Ier d’Aragon, de même que les nationalistes castillans prétendent maintenir le statu quo hérité de Philippe V.

Autant les uns que les autres prétendent appliquer leurs plans sur une population déterminée. Ils prétendent de forme consciente mouler la culture du pays à leur image et la faire évoluer dans le sens de leurs intérêts, en s’opposant et en essayant d’éviter le développement naturel des traits culturels et linguistiques des différentes communautés. Pour cette transformation culturelle planifiée on utilise les moyens de communication nationaux, et on crée des standards linguistiques, on enseigne les traits culturels que l’on désire dans les écoles de tout le territoire ou à l’extrême, on procède au nettoyage ethnique en favorisant le racisme.

En tant qu’anarchistes, nous nous opposons à n’importe quelle tentative de manipulation de la population par des intérêts politiques. Nous défendons la diversité culturelle et linguistique, le métissage, l’échange, le dépassement des traditions injustes. Nous défendons le développement libre et naturel des cultures. Nous pratiquons le respect des particularités de chacun et de chaque communauté.

C’est pour cela que nous nous opposons à l’État espagnol et ses plans d’homogénéisation artificielle et prédéterminée, de la même manière que nous nous opposons au nationalisme catalan qui prétend créer des frontières, catalaniser et construire la justice sociale sur la base des intérêts nationaux.

Ce n’est qu’en combattant de la même façon n’importe quel nationalisme, qu’il soit basque, espagnol, galicien, catalan ou andalou, que l’on peut être un minimum cohérent, parce qu’ils sont tous aussi dangereux. Et ce n’est que par le fédéralisme et l’internationalisme libertaire que l’on peut respecter l’autonomie personnelle, les différentes cultures autochtones et les particularités de chaque zone sans les sacrifier aux intérêts politiques.

Groupe Anarchiste L’Albada Social