Perspectives anarchistes sur la clandestinité, survolant le thème de la lutte armée
Il y a un point sur lequel nous n’aimons que trop débattre et donner nos humble avis, c’est celui de la Clandestinité et comment on la perçoit dans le milieu anarchiste. Précisément parce que, du moins au Mexique, on a eu peu de discussions à ce sujet, et la perceptive qui nous vient de certains compagnons ou cellules d’action [1] en ce qui concerne la clandestinité dans la pratique ou l’organisation, se rapproche presque toujours (ou plus que ça) des guérillas marxistes-léninistes, ou bien d’un discours lutte-armatiste (culte des armes), ce qui lorsqu’on se déclare anarchistes ou libertaires est souvent très ambigu.
Mais bien sûr on oublie aussi que cette confusion provient du fait que la plupart des gens n’aiment pas prendre position. Ils suivent le sens du courant, ils n’aiment pas débattre car ils trouvent cela ennuyeux et inutile, ou parce que nos discussions n’intéressent pas les gens normaux. C’est sans doute plus facile de faire le caméléon, en changeant de couleur selon là où l’on est, que de prendre position. Parce que c’est peut-être aussi plus facile de suivre ce qui est dit et écrit que de prendre des positions nettes et se donner le temps d’analyser, débattre et critiquer. Parce qu’arriver à une conclusion inachevée est généralement dur et “identitaire”, et qu’on préfère toujours éviter le débat et la critique. Est-ce que ça serait parce que ce qui est plus commode et simpliste est toujours mieux accepté et qu’aux yeux de la masse ou d’autres compagnons cela semblerait toujours plus recevable et facile à digérer ? De cette façon nous finissons par reproduire l’image du système capitaliste de vie actuel : l’intégration, la tolérance, le dialogue, l’acceptation, et notre soi-disant théorie révolutionnaire devient une marchandise de plus… Mais la critique est toujours nécessaire ! Et c’est quelque chose dont beaucoup parlent, qui est clamé aux quatre vents, et sur lequel on pleurniche sur les sites de gauche, mais bien évidemment seulement lorsque ce sont eux les critiques, parce que lorsque quelqu’un leur remet les pendules à l’heure ils finissent par nous dire : sociologues de l’anarchisme, psychanalystes, provocateurs ! Donc tous les anarchistes qui dans l’histoire ont développé des luttes et desquels nous avons appris quelque chose, que ce soit de leurs livres, mots ou actes, auraient été des sociologues, psychanalystes ou provocateurs ? Psychanalystes ? Aux yeux de certains c’est possible, mais aux yeux de d’autres ce ne sont que des compagnons qui ont contribué à l’analyse, à la critique et à l’attaque contre les structures du pouvoir, et qui même contribuent et ont contribué précisément à ce qu’une partie de l’anarchisme ne s’arrête pas, prenne son propre chemin et forme son propre caractère.
Pour commencer cette réflexion nous dirons que beaucoup de choses tournent autour de la question de la clandestinité. D’une part on pourrait affirmer que pour les anarchistes elle est parfois involontaire car c’est une conséquence de la lutte, favorisée par des conditions que l’ennemi a réussi à imposer à un moment donné, par exemple de type répressif, ou parce que c’est un besoin inévitable favorisé aussi par certaines conditions imposées par l’État. Mais parfois aussi elle est assumée comme une supposée lutte “réelle” et c’est là que se situe notre désaccord. Voilà donc ce sur quoi nous voulons débattre : lorsque la clandestinité volontaire finit par devenir une pratique qui se rapproche dangereusement de certaines idées de pouvoir, et lorsque d’un autre côté on en arrive à la fétichiser, alimentant la mode de jeunes qu’on nous vend sur le marché de la politique actuelle. “Que parlent les cagoules !” Au lieu des idées ? Nous pensons qu’une cagoule finit par devenir quelque chose d’abstrait et irréel lorsque son seul impact est la médiocrité de l’effet visuel. Une idée bien placée a un impact profond et réel parce qu’elle arrive (et il y a des milliers d’exemples, nous sommes nous-même un exemple) à marquer les esprits des individus et ainsi déranger la réalité immédiate. Mais bien sûr ! Nous oublions que les guérillas marxistes-léninistes utilisent cet effet visuel comme démonstration de force face à un ennemi de classe qui évalue encore plus son pouvoir, et le pire c’est que certains groupes anarchistes ont pour habitude d’imiter ce type de pratiques. En tant qu’anarchistes nous avons toujours (et lorsque nous disons toujours nous faisons aussi allusion à notre histoire) soutenu qu’il y a des choses qui doivent se faire à la lumière du jour et d’autres non. Des choses qui sont publiques et d’autres qui simplement requièrent la plus grande discrétion pour pouvoir les réaliser.
Ainsi en y voyant clair dans ces perspectives nous pensons que l’attaque (armée) n’a pas besoin d’endosser la “clandestinité” et toute sa rhétorique (autant opérative qu’idéologique) en tant que forme de lutte. Parce que notre objectif n’est pas de terminer dans une organisation ou par un acte qui nous conduit vers l’obscurantisme, la spécialisation, l’isolement et l’éloignement des luttes et du champs de la lutte réelle qui est notre vie quotidienne. Et qui à son tour réduit notre individualité comme notre créativité à une attaque armée, des sigles ou un symbole qui évoquent le culte des armes. Ou bien qui réduit toute notre capacité et potentiel individuel d’incision, rupture et destruction de l’existant à une identité qui le plus souvent porte un nom et dont la lutte en vient à se terminer par des actions réalisées uniquement pour défendre le statut créé dans son entourage, ainsi que pour le perpétuer dans le temps. C’est là que commence la mythification, arme des progressistes intelligents au service de l’État/Capital, pour condamner à l’oubli, bien rangées dans l’Histoire, des luttes et des modes d’intervention qui derrière des perspectives claires ont pu devenir une menace réelle pour l’État. Et par menace réelle nous ne faisons pas allusion à un groupe de spécialistes. Ces progressistes ont l’habitude d’écrire des livres ou de faire des documentaires pour qu’ensuite les consommateurs les voient comme “quelque chose” qui s’est passé et qui n’aura plus jamais lieu, se cantonnant encore plus au rôle de spectateurs. Mais malheureusement pour nous ce sont souvent les compagnons eux-mêmes qui y contribuent, et transforment en mythe nos actions et nos façons de nous organiser.
Considérer la logique clandestine comme étant une base, en plus de nous éloigner de la réalité et de la réalité des luttes, nous amène aussi à une position de délégation et nous finissons par tomber une fois de plus dans une sorte de division du travail révolutionnaire ou bien dans la spécialisation. Quelques-uns pour éditer des livres, pour tenir des squats ou des bibliothèques anarchistes, et d’autres pour attaquer l’État spécifiquement avec du feu et des explosifs ! Parce que certains ont des capacités et une force que d’autres n’ont pas ! L’avant-garde commence ! Et en général cela amène à ce que les décisions ne soient pas prises par l’individu à la première personne, mais par l’idéologie ! Ça n’est pas ça l’idée de rupture et de destruction que nous proposons.
Cependant, nous disions quelques lignes plus tôt que lorsqu’on a bien en tête ces deux situations (ce qui dans la pratique est difficile à conjuguer, d’autant plus à cause du niveau de contrôle que l’État a obtenu grâce aux technologies…) nous comprenons que l’utilisation des armes, se cacher le visage, utiliser parfois une manière de faire les choses qui pourrait être définie comme tactique de guérilla, est une arme à double tranchant. Un des tranchants de ce canif réside dans ce qui peut être favorable et utile pour attaquer l’ennemi, bien sûr en gardant en tête que tout cela (les bombes, le feu, les armes, les cagoules, etc) n’est que des instruments utilisés pour mener à bien la lutte, des instruments pour l’attaque, et que nous ne voyons pas de raison de leur vouer un quelconque culte. Parce que nous avons aussi conscience que l’attaque ne se réalise pas uniquement avec les armes à feu, le feu et les explosifs mais aussi avec les armes de la critique, de l’analyse, de la réflexion et plus encore avec notre conflictualité individuelle, notre rupture avec la société et notre intervention réelle. Parce que l’insurrection ne se résume pas par l’attaque armée en elle-même, ça en fait partie. Parce que l’insurrection dont on parle est aussi dans nos vies quotidiennes, l’authentique terrain de la guerre sociale, et ne se terminera qu’une fois la liberté obtenue. L’insurrection est une lutte qui se mène chaque jour et pas seulement lorsque l’on sort la nuit pour réaliser des actions, ou lorsque l’on va à la manif du 2 octobre ou du 1er décembre. On ne peut pas être soumis à une sorte de calendrier révolutionnaire, et on ne peut pas non plus attendre le prochain soulèvement pour contribuer à une insurrection généralisée. Ainsi le second tranchant que nous mentionnions quelques lignes avant, correspond aux moments où l’on ne sait pas bien gérer ces situations (ouvert-fermé) et où cette arme se retourne contre nous et nous finissons par être exactement ce que l’anarchisme rejette. Nous courrons alors le risque de tomber dans des positions d’avant-garde armée, de groupe unique, de militarisation et de spécialisation. Et c’est alors que vient le culte des armes, de la cagoule, de la supériorité des forces, que commence « l’isolement stratégique », les prisonniers politiques. Ce qui en même temps amène à des façons de s’organiser contraires à l’idéal anarchiste et on finit par tomber dans une ambiguïté qui demande ensuite un gros effort pour en sortir.
Malheureusement une chose nous amène à une autre, et dans cette logique clandestine ou de lutte armée que certains compagnons ont développé, rentre en compte le culte de la charogne ou de la personnalité. À diverses occasions déjà, et même depuis les plate formes, cette critique a été faite contre certaines pratiques de groupes qui se revendiquent informels. Revendiquer (précisément revendiquer) des actions au noms de compagnons qui sont morts au combat (et ça sur certains points on peut le comprendre), ou pire, avec des noms de compagnons qui ne sont même pas morts, qui sont en prison ou en cavale. Comme récemment on a pu voir une cellule d’action de la FAI/Fraction Informelle Australie qui porte le nom de la compagnonne Felicity Ryder [2]. En nous basant seulement sur les mots que nous pouvons lire dans les communiqués nous voyons clairement qu’il y a une sorte de nostalgie ou de regret, ce que certains compagnons pourraient expliquer par des liens d’amitié ou des souvenirs des nôtres. Et donc à ce moment-là on se demande quel est l’objectif ? Culte ou solidarité ? Exaltation de la personne ou solidarité ? Pourquoi certains sont considérés comme exceptionnels et d’autres non ? Et c’est comme ça qu’on voit une nouvelle vague de groupes qui tout en se revendiquant anarchistes gardent une logique d’organisation plus proche des groupes de guérilla traditionnels. Ainsi il y a des commandos de tel nom, ou des fronts armés avec tel autre nom. Une logique et un langage de lutte armée qui ressemblent plus aux guérillas latino-américaines et européennes des années 70, malgré la façon anarchiste de s’organiser (toujours sous la critique et le changement, car informel), d’autant plus lorsqu’ils se disent individualistes ou anti-orga.
Voici jusque là quelques points sur le premier thème sur lequel nous pouvons avoir une base pour réfléchir. Nous disons que c’est le premier en pensant développer plus tard, dans un texte et tout au long de cette publication, quelques perspectives sur la lutte armée depuis l’anarchisme, quelque chose que nous avons évoqué superficiellement ici, en traitant le thème de la clandestinité, parce que précisément dans ce texte nous parlons de la clandestinité comme “voie de lutte”. Aussi, pour contribuer au débat il y a la traduction du texte « Sur l’anonymat et l’attaque », qui de la même façon cherche à prendre part à tout ce que nous avons tenté de définir ici.
Avant de finir nous voudrions dire que malgré la critique nous ne méprisons pas les actions que fait la CCF/FAI ou n’importe quel autre noyau d’action de ce genre. Bien au contraire, nous apprécions n’importe quelle action et geste de solidarité parce que pour nous ça fait partie du projet de destruction de l’État/Capital et aussi du projet anarchiste international. Par contre c’est certain qu’il y a encore beaucoup de choses à débattre et tout au long de ce chemin nous allons le faire. Nous voulons aussi préciser que la mention de noms de compas ne part pas d’une intention d’attaque, nous les avons utilisés juste pour donner des exemples.
La rédaction
Mai 2014
Notes:
1- Nous devons préciser que ce que nous percevons c’est ce que nous pouvons lire dans leurs communiqués sur internet, ou dans les entretiens avec certains d’entre eux publiés dans le livre « Que la nuit s’illumine », compilé par le compagnon Gustavo Rodriguez et édité par l’Internationale Noire.
2- Lorsque nous mentionnons le nom de F. Ryder c’est seulement pour illustrer ce que nous voulons dire, à aucun moment ça n’est une intention d’attaque, que ça soit clair !
Une réponse sur “Les limites de l’organisation clandestine”
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