Récupérer la mémoire historique : chapitres de la Guerre Sociale

[Au sujet du massacre de l’école Santa-Maria de Iquique, d’Efraín Plaza Olmedo et Antonio Ramón Ramón, anarchistes du début du XX°siècle au Chili.]

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L’intense diffusion des idées anarchistes dans le mouvement ouvrier fin XIX° et débuts du XX° siècle a permis aux anarco-syndicalistes de conduire la grande grève d’Iquique en 1907. Les demandes des travailleurs étaient l’amélioration des salaires, des roulements définis, la suppression du système de fiches et de bons, accorder des locaux pour de futures écoles ouvrières, des jours de repos, parmi d’autres choses. Ils étaient des milliers à se rassembler dans l’école Santa Maria pour « négocier », mais la réponse de la bourgeoisie ne s’est pas faite attendre et sous la présidence de Pedro Montt, l’armée, sous les ordres du commandant Roberto Silva Renard, a ouvert le feu sur les grévistes. Ceci représente le chapitre le plus noir du mouvement ouvrier de ce territoire. Le nombre de morts varie, bien entendu, car le pouvoir a tenté de dissimuler par tous les moyens le chiffre officiel, mais on évalue qu’ils seraient plus de 3000, femmes, hommes et enfants, et des ouvriers de pays voisins, du Pérou, de Bolivie, qui avaient fermement décidé de rester jusqu’aux dernières conséquences.

Des années après les anarchistes ont commémoré de différentes façons ce triste épisode survenu dans le nord du territoire. Quatre ans plus tard, le 21 décembre 1911, 3 bombes explosent dans le couvent des Pères des Carmélites Aux Pieds Nus, situé dans le quartier d’Independencia, à Santiago, faisant ainsi revivre les exécutions délibérées de la part de l’armée chilienne. La Société de Résistance des Métiers Divers sera liée à cette action.

Dans cette organisation d’ouvriers se trouvaient des anarchistes de Santiago qui participaient à différents groupes d’agitation, de propagande et de diffusion des idées et des pratiques acrates. Il y avait plusieurs organisations liées à la Société de Résistance des Métiers Divers, celles des boulangers, des chauffeurs de tramway, des cordonniers, des charpentiers,  des forgerons, des mécaniciens, des coiffeurs, etc. Au sein de cette organisation se trouvait le compagnon Efraín Plaza Olmedo, charpentier et anarchiste.

La Société de Résistance des Métiers Divers participera au rassemblement illégal du 1° mai 1912, où des milliers de manifestants  parcourront la ville avec des pancartes que l’on peut voir sur des photos de l’époque et qui disent : « Ni dieu ni maître », « À bas le service militaire obligatoire », « L’armée c’est l’école du crime ». C’est à cette occasion qu’Efraín Plaza Olmedo va faire anonymement un discours à la tribune ouverte, dans le quartier de Recoleta.

Deux mois après le rassemblement du 1° mai, plus précisément le 14 juillet 1912, Efraín Plaza Olmedo va tirer sur deux jeunes bourgeois, à l’angle des rues Ahumada et Huérfanos (rues commerçantes et lieu de promenade de la bourgeoisie à cette époque), les tuant sur place. Le compagnon tentera de fuir, mais il sera capturé, et lorsqu’il sera interrogé il déclarera qu’il avait acheté le revolver pour assassiner le président Pedro Montt et quelques chefs militaires responsables de la tuerie de l’école Santa María.

Mais ce ne seront pas les seuls actes de vengeance. Deux ans plus tard, un poignard vengeur se plantera dans le commandant Roberto Silva Renard, plus précisément le 14 décembre 1914, à presque 7 ans de la tuerie de l’école Santa María, aux environs du parc Cousiño (qui s’appelle aujourd’hui le parc O’Higgins, à Santiago). L’anarchiste Antonio Ramón Ramón, d’origine espagnole, était en Argentine lorsqu’il a entendu parler dans la presse des événements sanglants d’Iquique, et il a alors décidé d’entreprendre un voyage dans ces terres, à la recherche de son frère, qui travaillait dans les mines de salpêtre d’Iquique. À son arrivée il apprendra que lui aussi est mort sous les balles.

Ces événements, et la mort de son frère, vont inciter Antonio Ramón Ramón à tenter par ses propres moyens d’assassiner le responsable de ces morts. Ainsi, aux environs du parc Cousiño, le compagnon va se trouver face à face avec le bourreau, et lui administrera 5 coups de poignards, qui malheureusement ne lui donneront pas la mort, mais qui le blesseront gravement, et l’obligeront à se retirer de l’armée et à porter un bandeau sur l’œil jusqu’à sa mort.

Les deux compagnons cités ici iront en prison à la suite de leurs actes de vengeance. Et dans le milieu anarchiste la solidarité ne va pas se faire attendre, en mettant en place différents moyens de soutien, des collectes, des rassemblements, des discussions, des manifestations, des journaux, des campagnes internationales, etc. Mais tout n’était pas rose, il y avait aussi des personnes qui se dissociaient et rejetaient de telles actions, reniant leurs idées et pratiques par peur de la répression.

Le compagnon Efraín Plaza Olmedo réussira à sortir de prison la première semaine de mars 1925 et mourra assassiné d’une balle dans la tête le 27 avril de la même année. On trouvera son corps dans un canal, à côté d’un saule à Conchali (au nord de Santiago).

Le compagnon Antonio Ramón Ramón réussira à sortir de prison en 1922. Son expulsion du territoire étant prononcé, Juan Onofre Chamorro (un anarchiste connu de cette époque) lui donnera 1500 livres pour son voyage vers sa ville natale. Malheureusement il y a des théories qui disent qu’il n’est jamais sorti de prison, comme d’autres qui disent qu’il s’est suicidé, mourant dans l’anonymat.

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Ce petit résumé a pour objectif de récupérer des événements historiques, de comprendre que la lutte révolutionnaire n’a pas surgi il y a seulement quelques décennies, mais qu’elle est dans cette région depuis longtemps, où l’agitation, la propagande et l’action violente ont émergées à la chaleur des idées et des pratiques anarchistes.

Cela nous éclaire aussi sur les agissements du pouvoir, puisqu’il a utilisé toutes ses forces pour arrêter l’avancée d’idées et de pratiques révolutionnaires, par le sang et le feu, depuis cette époque jusqu’à maintenant. Les appareils de sécurité de l’État /Capital ont protégé les intérêts du pouvoir, sans remettre en question les atrocités qu’ils ont commises au nom de ceux-ci. Cela réaffirme notre prise de position au moment de nous impliquer dans la guerre ouvertement déclarée contre l’État/Capital. Nous ne pouvons pas être indifférents face à un passé de lutte où des compagnons ont dignement assumé les coûts de la mort et de la prison au nom de la liberté et de l’anarchie.

Nous souhaitons récupérer ces moments historiques, faire revivre la mémoire combative de l’action vengeresse de nos compagnons, se souvenir de comment certains anarchistes se sont dissociés de ceux tombés en prison, reniant la confrontation directe avec le pouvoir par peur de la répression. Mais face à ces individus méprisables il y a des compagnons qui font vivre la solidarité de façon désintéressée, sans laisser de doute sur leurs liens et soutenant de façons diverses ceux qui souffrent de l’isolement.

Cet exemple nous fait bien sûr comprendre que depuis le XX° siècle jusqu’à nos jours nous pouvons nous retrouver face à des personnes qui nient les liens qu’ils peuvent avoir et finissent par rendre inoffensive la guerre déclarée contre toute autorité. D’autre part, nous rencontrons aussi des personnes qui n’ont aucune projection dans cette tranchée de la guerre sociale, qui ne prennent pas la mesure des diverses formes de lutte et qui ont fini par être des délateurs de ceux qu’ils avaient appelés compagnons.

Pour finir, comme dans ces années-là, la solidarité indéfectible se laisse voir avec fierté dans l’actualité, car il existe de valeureux compagnons qui, comprenant les risques et assumant les éventuelles conséquences d’une vie de lutte, ont des idées et pratiques claires, et malgré les progrès de l’État/Capital, ils continuent de perpétuer la mémoire, l’action et la solidarité révolutionnaire contre toute forme d’autorité.

Collectif Lucha Revolucionaria

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[Voici un pamphlet d’Efraín Plaza Olmedo, qui signe ici sous le pseudonyme de Juan Levadura]

Trouvez-vous un revolver. Le plus tôt sera le mieux. Achetez-le, empruntez-le, ou bien volez-le. L’idée c’est que vous devez être armé. Vous croyez peut-être que la révolution sociale se fera avec des serpentins comme pour le carnaval ? Vous croyez que les capitalistes vont restituer les terres et les usines, comme ils donnent leurs filles aux millionnaires ? Êtes-vous aussi bête pour croire en une harmonie possible entre patrons et ouvriers ? Vous ne voyez donc pas que chaque jour, partout dans le monde, lorsque les ouvriers exigent une amélioration, des soldats armés de fusils et de baïonnettes apparaissent ? Vous n’avez donc pas vu que lors de la grève des compagnons chauffeurs de tramway il y avait toute une armée pour protéger les traîtres ? Bon. Et si cela se passe lorsque l’on proteste ou que l’on demande des améliorations, ce qui n’est rien au final, que se passera-t-il lorsque nous exigerons le droit à la terre, à la vie, à la liberté ? Réfléchissez bien à ce que je vous dis.

Trouvez-vous un revolver, et entraînez-vous suffisamment. Fabriquez-vous une cible pour tirer. Dessinez-y la tête d’Astorquiza, de Zañartu, de Gonzalo Bulnes ou la vôtre si vous voulez … Tirez et tirez encore. Préparez-vous pour la Révolution qui arrive. Conseillez à vos autres camarades d’en faire de même. Ceux qui vous parlent « d’évolution pacifique » et de « solutions harmonieuses » avec la classe capitaliste, vous trompent misérablement. Vous ne voyez donc pas qu’en Russie les travailleurs durent s’armer pour renverser tous les tyrans ? Vous ne voyez donc pas comment aujourd’hui ils vivent à leur aise, profitant de toute sorte de confort ? Cela fait plus de cent ans que vous devez supporter pacifiquement toutes sortes d’humiliations, et qu’avez-vous obtenu en échange de la part de vos maîtres ? Le misérable taudis dans lequel vous vivez et que vous devez payer à prix d’or, les maladies qui vous tuent prématurément ainsi que vos enfants, les guerres qui sèment la faim et la douleur dans les foyers, et la mitraille que vous recevez lorsque vous exigez un peu de nourriture et un peu de justice pour votre famille et enfants … Tout cela c’est le salaire de vos peines et de vos sacrifices … Soyez-en convaincu une bonne fois pour toute.

Trouvez-vous un revolver. Le plus tôt sera le mieux. Achetez-le, empruntez-le, ou bien volez-le. L’idée c’est que vous devez être armé. Lorsque la classe ouvrière, consciente et armée, exigera son droit à la vie et à la liberté, vous verrez alors comment tombent les trônes et les tyrans. Et tant que vous continuerez de crier comme un idiot dans la rue, quémandant pain et justice, vous verrez comment les balles pleuvent sur votre tête.

C’est tout. Trouvez-vous un revolver, et en conseillant aux autres de se préparer à la Révolution vous verrez renaître une nouvelle aube pour le monde.

Trouvez-vous un revolver !

Juan Levadura, journal El Comunista,

Santiago,1921.