L’anarchisme au Chili : une synthèse historique de 1890 à aujourd’hui

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Au Chili, de façon périodique, les anarchistes sont mis sur le devant de la toujours très éphémère scène de l’opinion publique, que ce soit pour des actes de violence ou pour des raisons politiques. Dans la majorité des cas, la vieille caricature qui les associe à la terreur et à la rébellion adolescente se répète inlassablement, empêchant qu’on en apprenne plus à leur sujet, ou du moins qu’on s’en fasse une idée un peu plus complexe. Dans l’intention d’esquisser une image représentative pour discuter avec ceux et celles dont la curiosité les pousse à explorer ces contrées, tant sur ce point que sur d’autres, nous proposons de tracer une brève synthèse de l’évolution des initiatives anarchistes dans la région chilienne. Énormément de détails, de variantes et de contradictions seront exclus, et d’horribles généralisations apparaîtront, en honneur à la brièveté, car un mouvement aussi divers et insaisissable est impossible à enfermer dans un seul récit harmonieux. Pour cette raison il ne me reste qu’à vous inviter à commencer vos propres recherches de votre côté.

Avant de commencer il nous faut donner un avertissement méthodologique et politique. L’anarchisme, aujourd’hui comme hier, est un ensemble d’initiatives orientées vers la construction de relations étrangères à toute sorte d’autorité. Cependant, les « chemins » pour arriver à de telles perspectives peuvent être variés et même contradictoires. Pour la même raison, sa dispersion, sa diversité et l’incompatibilité des stratégies entre ses différents pôles ne doivent pas sembler étranges. Des sujets innombrables ont provoqué d’âpres polémiques internes. Nombreux sont ceux qui pensent que tels autres ne sont pas anarchistes, utilisant des propositions divergentes, et se revendiquant comme anarchistes ou libertaires. Le constat de tout ce qui vient d’être dit, que ce soit dans le présent comme dans le passé, est essentiel pour comprendre le développement de cet univers idéologique.

Même si actuellement cela semblerait être un phénomène jeune et même un peu exotique par rapport à la tradition de la gauche chilienne, dominée pendant des décennies par le marxisme, l’anarchisme, dans sa diversité, a une longue et riche histoire dans les mouvements sociaux locaux. Une histoire qui remonte aux dernières décennies du XIX° siècle, lorsque des migrants du Vieux Monde ont partagé avec une poignée d’agité-e-s ces idées subversives. Des concepts et des propositions, qui se sont confrontés, ont influencé et pénétré la réalité locale particulière.

C’est à Valparaíso et à Santiago que sont mentionnés les premiers signes des anarchistes, à travers le journal El Oprimido en 1893, doyen d’une cinquantaine de publications anarchistes imprimées dans le pays. Mais c’est à partir du changement de siècle (1898-1907) que ces idées vont commencer à vraiment s’introduire, à travers l’éclosion explosive de groupes, syndicats, journaux, athénées et troupes de théâtre. Tout en encourageant et accompagnant d’innombrables grèves déchaînées au beau milieu de la dite Question Sociale, leurs diverses branches vont apporter toute une série de nouveautés.

Sur le terrain syndical ils ont introduit les Sociétés de Résistance (ancêtre du syndicat moderne) et l’idée que les personnes doivent lutter à travers l’action directe, c’est à dire, indépendamment de l’État et des partis politiques, afin de conquérir leurs revendications.

Dans l’espace politique et culturel ils ont diffusé avec succès une série de « nouvelles causes », telles que la solidarité internationale des travailleurs, l’émancipation des femmes, le naturisme, l’amour libre, l’autogestion, la commémoration du 1° mai, le refus du service militaire, l’espéranto, les colonies communistes et les écoles rationalistes, l’éducation sexuelle, l’anti-cléricalisme. Enfin, dans un pays où l’analphabétisme touchait la majorité de la population, et l’instruction était réservée aux élites, les riches circuits culturels anarchistes -athénées, troupes de théâtre, journaux, bibliothèques, conférences – ont stimulé par une volonté inhabituelle la libre exploration des savoirs. Bien sûr tout n’était pas rose, car dans leurs pratiques publiques et privées s’y sont mélangées des manifestations d’autoritarisme, qu’aujourd’hui on pourrait qualifier de patriarcales, messianiques, euro-centriques ou scientistes. Ils ont essayé d’agir d’une façon différente, mais pour autant ils n’étaient pas exempts des valeurs de la société dans laquelle ils vivaient.

L’une des particularités du devenir anarchiste dans la région chilienne dans ses premières décennies, est que, bien qu’ils disposaient d’un grand réseau de contacts et d’échanges à niveau mondial, et de la présence active de certains groupes d’immigrés dans leurs rangs, presque la totalité des acteurs les plus notoires étaient des jeunes, hommes ou femmes, locaux.

Avant d’avancer dans le temps nous rappelons que l’horizon libertaire a été très présent dans les manifestations ouvrières de cette époque : Valparaíso (1903), Santiago (1905), Antofagasta (1906), Iquique (1907). Plusieurs sociétés de résistance se sont formées à leur initiative, avec des boulangers, cheminots, employés d’imprimerie, cordonniers et couturières, charpentiers et dockers, principalement. En 1906 ils ont fondé la Fédération des Travailleurs du Chili, l’une des premières centrales ouvrières.
Évidemment ils n’étaient pas seuls. D’autres courants réformistes et révolutionnaires, comme le Parti Démocratique (1887) ou le Parti Ouvrier Socialiste (1912), transformé en Parti Communiste en 1922, ont aussi encouragé les conflits sociaux et œuvré au développement culturel des secteurs populaires.
La seconde décennie du XX°siècle a connu des événements qui mettront régulièrement les anarchistes à la une des journaux. Le double homicide politique d’Efraín Plaza Olmedo, en juillet 1912, a divisé les anarchistes quant à l’usage de la violence, alors qu’en même temps l’élite justifiait de nouvelles mesures répressives. Pendant ce temps, et avec l’excuse de déjouer des « projets explosifs », la police s’en prenait régulièrement aux groupes et journaux libertaires par la prison, la torture et les procès.

Cependant, l’activité acrate, décentralisée et souvent éphémère, montait en puissance. Il y avait, par exemple, des initiatives intéressantes qui fonctionnaient à Antofagasta, Punta Arenas et dans d’autres villes. À Valparaíso, les anarchistes ont participé à la grève générale victorieuse de 1913 contre le « portrait-forcé » (la grève du Singe) [1]. C’est là qu’ils ont fondé la Fédération Ouvrière Régionale Chilienne, la FORCH (1913-1917), une organisation syndicaliste libertaire qui était en contact avec ses semblables en Argentine, Uruguay et Pérou. Ils ont aussi collaboré aux grandes manifestations de locataires et contre la hausse des prix des transports collectifs. Et les grèves et les campagnes en solidarité avec les prisonniers et les persécutés politiques au Chili et dans le monde n’ont pas manqué.

À notre avis, c’est entre 1917 et 1925 que la société chilienne a connu la période durant laquelle les anarchistes et les syndicats principaux (cordonniers, typographes, boulangers, dockers et ouvriers du bâtiment) ont eu la plus grand influence. Pendant quelques années la centrale ouvrière IWW ( Industrial Workers of The World) fondée en 1919, a rassemblé différents groupes libertaires dans tout le pays, particulièrement à Iquique, Valparaíso, Santiago, Rancagua, Talca, Concepción et Talcahuano, et dans les ports depuis Arica jusqu’à Punta Arenas [Ndt : du nord au sud]. L’influence culturelle et politique des anarchistes se faisait aussi beaucoup sentir dans la Fédération d’Étudiants du Chili, dans l’Association Générale de Professeurs et dans la Fédération Ouvrière de Magallanes.

Malgré tout cela il y avait aussi des conflits internes. Au milieu des années 1920, les groupes libertaires vont se diviser en deux pôles presque irréconciliables. D’un côté il y avait ceux de l’IWW qui proposaient de s’organiser par industries (en rassemblant différents métiers) et de l’autre côté il y avait les dits syndicats autonomes, qui préféraient se rassembler entre métiers (indépendants) et de façon plus décentralisée et fédéraliste que les IWW. En 1926 ces derniers, qui étaient majoritaires dans le monde anarchiste, vont refondre la FORCH.

Le milieu libertaire était tellement conflictuel que l’État et les commerçants ont du avoir recours à différentes stratégies pour y mettre un terme, depuis la persécution de la presse jusqu’à l’incarcération des acteurs les plus visibles. La Loi de Résidence de 1918, crée pour expulser les étrangers subversifs, est l’une des nombreuses preuves de cette volonté chaque fois plus répressive. En 1920, sans aller plus loin, des agents de la police de Valparaíso montent de toute pièce une histoire de dynamite pour arrêter l’IWW. Dans le retentissant « Procès des subversifs », où ils sont accusés d’être des « agitateurs payés par le gouvernement péruvien », plus d’une centaine de syndicalistes seront emprisonnés. Le jeune poète José Domingo Gómez Rojas mourra derrière les barreaux le 29 septembre. Le montage sera découvert en 1921.

Les symptômes dramatiques de la pauvreté urbaine, la révolution russe, la crise du salpêtre et le chômage qui en découle, l’augmentation du coût de la vie, le renforcement du syndicalisme révolutionnaire, les grèves innombrables et d’autres facteurs locaux et étrangers ont accentué l’essor de la conflictualité sociale. Le besoin de freiner cette situation, additionné à l’ascension de la bourgeoisie dans les espaces politiques formels, a dérivé vers une lente transformation de l’État et sa relation avec les mouvements sociaux. Depuis certaines initiatives parlementaires isolées, on en est arrivé, non pas sans contretemps, à la promulgation des dites Lois Sociales (1924-1925), ce qui va modifier pour toujours le monde syndical chilien. Le vieux discours anti-étatique des libertaires, qui avait eu de nombreux échos dans les années d’absence de l’État, va perdre son charme avec ce nouveau scénario. De nombreux ouvrièr-e-s vont préférer lutter sous couvert des institutions gouvernementales au lieu de préserver l’autonomie qu’exigeaient les groupes acrates. La transformation de la politique étatique concernant le monde du travail explique en grande partie la crise de l’anarchisme qui va suivre. Une autre raison notable est l’essor des partis de gauche, surtout le parti Communiste et le nouveau Parti Socialiste (1933).

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le mouvement libertaire n’a pas disparu avec la dictature du Général Carlos Ibáñez del Campo (1927-1931), même lorsque la persécution, la prison, l’exil, la torture et les assassinats avaient laminé ses rangs. De fait, d’après nos études, il y a eu un phénomène très particulier que nous avons appelé «  de crise vers l’extérieur et d’essor vers l’intérieur ». L’anarchisme et le syndicalisme libertaire des années 30 a été beaucoup plus diversifié, abondant et actif, même si moins influent pour la société chilienne, que celui qui existait dans la décennie précédente. Le développement et la consolidation nationale de la Confédération Générale de Travailleurs, la CGT (1931-1953) et de ses syndicats conflictuels (typographes, plâtriers, électriciens, peintres, plombiers, maçons, marbriers, ferronniers, tailleurs, cordonniers, cantonniers, charpentiers, briquetiers), l’essor d’initiatives culturelles, la création d’une dizaine de syndicats paysans et d’innombrables groupes de propagande dans tout le pays, témoignent de cela. Des noyaux actifs se développent, particulièrement à Arica, Iquique, Antofagasta, Tocopilla, Copiapó, La Serena, Coquimbo, Valparaíso, Viña del Mar, San Antonio, Santiago, Rancagua, Talca, Curicó, Linares, Chillán, Concepción, Talcahuano, Temuco, Valdivia, Osorno et Puerto Montt.

Au cours de cette décennie, en plus des traditionnelles revendications économiques (réduction des journées de travail, augmentation des salaires, conventions collectives), les groupes libertaires vont se mobiliser pour la fin des législations répressives en cours, pour la liberté de la presse et des organisations, pour l’amélioration des conditions de logement, pour la culture, l’éducation et la santé. Aussi pour la fin du latifundio [2] et l’arrêt des violations contre les mapuches ; pour les campagnes anti-fascistes locales et en solidarité avec leurs compagnons dans la guerre civile espagnole (1936-1939). Enfin, les IWW disposaient d’une clinique autogérée (1923-1954) et les troupes de théâtre libertaire se déployaient un peu partout (il y en avait plus d’une cinquantaine).

Mais l’histoire voguait vers une autre direction. Toutes les raisons exposées avant, unies maintenant à l’incoordination et aux divisions internes de la CGT et des acrates en général (se taxant de « puristes » ou « d’économistes » selon les camps), ainsi que la perte de l’hégémonie dans leurs branches professionnelles historiques, ont accéléré la marginalisation de l’anarchisme des mouvements sociaux chiliens. Les bastions où son empreinte persista plus longtemps étaient l’Union de Résistance des Plâtriers (1917-1973), la Fédération d’Ouvriers d’Imprimerie du Chili (1921-1973) et à un degré important la Fédération Ouvrière Nationale du Cuir et de la Chaussure (1949-1973), toutes avec des filiales dans plusieurs villes du pays.

Les derniers épisodes à échelle nationale, où certains groupes libertaires ont eu une participation active, ont probablement été la création de la Central Unique de Travailleurs (CUT) en 1953 et la grève Générale du 7 juillet 1955. Cependant ils seront rapidement laissés en dehors de la principale organisation ouvrière par les partis politiques de gauche de l’époque.

Évidemment, la participation dans ces initiatives était aussi source de polémiques internes. Le devenir et la cote de la Fédération Anarchiste Internationale (1947-1960), qui rassembla un temps la majorité des libertaires, la révolution cubaine et la politique d’alliances avec des partis marxistes de certains secteurs, provoquaient aussi des disputes acides.

Dans les années 60 la présence anti-autoritaire se réduisait à une poignée d’individus, de groupes et quelques syndicats de plâtriers, métallurgistes, poissonniers, peintres en bâtiment et cordonniers. Un vaste esprit révolutionnaire parcourrait le continent, mais les acrates, sans relève et sans analyses actualisées sur la réalité, enthousiasmaient peu. La gauche marxiste -dans ses différents aspects- leur prenait leurs syndicats et se développait largement, surtout parmi les jeunes.

Derrière eux il restait les quelques apports que les libertaires avaient transmis aux travailleurs du pays. Les commémorations du Premier mai, les sociétés de résistance, les premiers contrats collectifs, la conquête des journée de travail de 8 et 6 heures (1917 et 1931), les roulements des dockers, les polycliniques et les troupes de théâtre autogérées, l’influence sur des écrivains et artistes (Manuel Rojas, José Santos González Vera, Óscar Castro), et autres témoignages de la diversité acrate semblaient être les fantômes d’un passé bien lointain.

L’anarchisme qui est arrivé aux années de l’Unité Populaire (1970-1973) était extrêmement marginal. Sa lutte pour étendre les transformations sociales de façon autonome et au-delà de l’État, en se positionnant à la fois contre la droite et les partis de gauche, n’a pas eu beaucoup de retour. Pour la même raison, lors qu’est arrivé le coup de 1973, la violence étatique ne s’est pas déchaînée directement sur eux, car ils ne représentaient pas une grande menace, en tout cas pas en comparaison avec les partis de gauche. Dans tous les cas, certains libertaires ont été emprisonnés et d’autres ont dû quitter le pays. La vieille compagnonne Flora Sanhueza mourra quant à elle suite aux tortures.

De façon paradoxale le contexte de forte répression de la dictature militaire (1973-1989) verra réapparaître petit à petit le mouvement libertaire dans le pays, au point que la réarticulation à l’intérieur, additionnée à la solidarité internationale que les anarchistes chiliens exilés en Europe tentaient de coordonner, en finirent avec la crise d’initiatives qui emportait le mouvement depuis les années 40. Sous couvert de clubs de sport, de centre naturistes, et à travers des syndicats, organisations pour les droits de l’homme, ateliers de quartier et coopératives, certains tentaient d’agir dans la clandestinité. Il y en a aussi qui se sont concentrés sur le sabotage et la lutte armée.

Suite au retour de la démocratie dans les années 90, cet essor a continué, facilité par le « retour » d’exilés d’Europe, la propagande acharnée d’anciens compagnons, et surtout grâce à une nouvelle vague d’intérêt chez les jeunes envers cette « idéologie disparue », intérêt favorisé aussi par la crise des dits socialismes réels et du discours autoritaire. Quelques noyaux vont éclore dans la capitale, à Concepción et à Temuco. Plus tard, et parallèlement, vont se créer et disparaître des initiatives un peu partout. La musique punk, la culture underground, l’écologisme radical, la lutte anti-carcérale, les groupes armés, l’autodétermination du peuple mapuche, seront certains des aspects dans lesquels puisaient ces nouveaux courants anarchistes. Tout cela accompagné par beaucoup de créativité, activité, misère et querelles internes, bien évidemment.

Les anarchistes d’aujourd’hui

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Pendant des années, le renouveau de ses multiples formes se développait sans grand scandale médiatique dans les poblaciones [3], les universités, les circuits underground et dans les squats. D’innombrables ateliers, débats publics, livres et publications, fanzines et journaux, collectifs et groupes de musique punk, engageaient des luttes contre le service militaire, le vote, le progrès, le système carcéral, le spécisme, le patriarcat. Parmi les sujets de débat interne il y avait l’unité, sortir de ses ghettos, la manière de participer aux mouvements sociaux, et l’usage de la violence contre les institutions autoritaires. Bien entendu tout le monde ne tombait pas d’accord. C’est en fait ce dernier point, aujourd’hui comme tout au long de son histoire particulière, qui les a sorti de l’anonymat.

On pourrait préciser que, plus ou moins depuis 2006, l’anarchisme a de nouveau attiré l’attention des médias et de l’opinion publique de façon systématique. Le cocktail Molotov lancé sur La Moneda [4] en septembre de cette même année a agi comme un signe annonciateur. L’anarchisme a commencé à être directement lié aux émeutes avec les dits violents, capuchas [5] et lumpen, au final tous inclus sous l’appellation d’anarchistes. En parallèle de cela des centaines d’attaques explosives contre des DAB et des bâtiments représentant le pouvoir ont eu lieu dans le pays.

Évidemment il y a des secteurs proches de ces méthodes qui se réclament anti-autoritaires et insurrectionalistes, et d’autres qui appuient ce genre d’acte d’une manière partielle et critique, mais c’est une erreur d’attribuer ce chemin à tous les anarchistes, même lorsque les campagnes de solidarité dépassent très souvent le champs des affinités. Malgré tout, il y a actuellement plusieurs anarchistes et anti-autoritaires en prison ou sous les coups de la justice.

L’association de la violence et même du terrorisme avec l’anarchisme, que fait en permanence la presse au Chili, est une expression claire de poursuite politique. Le Caso Bombas (2009-2012), procès qui a mis en prison 14 personnes sous accusation d’appartenance à un groupe illégal de caractère terroriste, a été l’expression juridique d’une croisade politique qui était depuis longtemps présente dans les médias.

Mais aujourd’hui comme hier, il y a différentes tendances et d’autres espaces de manifestation. Depuis 2012 a eu lieu annuellement le Salon du Livre et de la Propagande Anarchiste à Santiago, duquel ont assisté des milliers de personnes de tout le pays. Et d’autres journées libertaires se sont déroulées au nord et au sud. La prolifération et la vie des squats et centres sociaux, publications, distros, la mise en place de rencontres et d’ateliers, l’exploration de thèmes en rapport avec la santé, la ruralité, la sexualité, le muralisme, la musique, l’auto-éducation, l’économie sociale, ainsi que la participation à différents conflits sociaux et environnementaux locaux sont un exemple de cette large variété dans laquelle s’estompe et se projette l’activité acrate. La majorité de ces efforts se manifestent de façon autonome. À certaines occasions ils sont coordonnés pour des initiatives de plus grande envergure telles que des campagnes anti-carcérales, des actions de solidarité, des échanges d’expérience ou tournées de propagande.

Un autre tendance très visible, qui est en partie héritière des dits néo-plateformistes, et qui souvent ne se revendique pas anarchiste mais utilise le terme plus large de « libertaire », a réalisé depuis une dizaine d’années un travail actif dans le pays, en matière de syndicats, groupes d’étudiants, groupes de muralistes, groupes féministes et autres espaces sociaux et politiques. L’une de ses organisations, le Front d’Étudiants Libertaires, est présente dans plusieurs fédérations universitaires du pays.

Orientations

De nombreux jeunes ont été mis en contact avec l’anarchisme dans le contexte des mobilisations étudiantes de ces dernières années. Qui sait si la représentation, bien qu’altérée, de la presse n’aurait pas servi à diffuser ces idées. Cela, ainsi que la consolidation du milieu acrate (groupes, lieux, publications), a permis l’irruption de nouvelles générations. Le tout traversé de problèmes typiques des espaces et collectifs politiques (leaders, auto-référence, luttes d’égos, intolérance). Aujourd’hui les expressions de l’anarchisme sont multiples, et s’excluent même les unes des autres, et sont certainement différentes de celles qui ont orienté leurs prédécesseurs. Cependant, ces idées qui caractérisent cet idéal ont survécu et en définitive elles ont, d’une façon ou d’une autre, contribué aux mouvement sociaux chiliens. Parce que, même si ce ne sont pas des concepts exclusifs aux anarchistes, ils n’ont pas été à la remorque en ce qui concerne la diffusion et la radicalisation des idées d’action directe, d’autogestion, d’abstentionnisme politisé, de luttes anti-carcérales et autres revendications qui participent au voyage vers l’autodétermination complète.

Produit de certaines attaques explosives, automatiquement attribuées par la presse aux anarchistes, de nouvelles mesures répressives ont été approuvées au cours des dernières années. C’est probable que ça continue dans ce sens et que les différentes tendances libertaires continuent de déployer leurs activités diverses, dans leurs circuits comme vers le reste de la population. Et c’est l’histoire, ainsi qu’elles et eux, qui montreront si finalement ce contexte particulier est une mode ou un printemps.

Víctor Muñoz Cortés
Temuco, Printemps 2014

NdT :

[1] huelga del mono : grève au cours de laquelle les cheminots de Valparaíso s’opposent, par une grève qui deviendra générale en octobre et novembre 1913, à l’instauration d’un décret ministériel qui obligeait les ouvriers de chemin de fer à se faire photographier, dans le vrai but d’identifier et réprimer les dits « agitateurs professionnels ».

[2] Grandes exploitations agricoles

[3] Quartiers pauvres périphériques

[4] En 2006 un cocktail molotov sera lancé sur le Palacio de la Moneda (palais présidentiel) au cours de la manifestation annuelle qui comémore le putsch du 11 septembre. Cela provoquera un énorme scandale chez les sociaux-démocrates, qui se souviennent des bombardement de Pinochet sur le même palais.

[5] Les capuchas ce sont ceux/celles qui portent une cagoule faite avec un teeshirt (appelée capucha)

Récupérer la mémoire historique : chapitres de la Guerre Sociale

[Au sujet du massacre de l’école Santa-Maria de Iquique, d’Efraín Plaza Olmedo et Antonio Ramón Ramón, anarchistes du début du XX°siècle au Chili.]

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L’intense diffusion des idées anarchistes dans le mouvement ouvrier fin XIX° et débuts du XX° siècle a permis aux anarco-syndicalistes de conduire la grande grève d’Iquique en 1907. Les demandes des travailleurs étaient l’amélioration des salaires, des roulements définis, la suppression du système de fiches et de bons, accorder des locaux pour de futures écoles ouvrières, des jours de repos, parmi d’autres choses. Ils étaient des milliers à se rassembler dans l’école Santa Maria pour « négocier », mais la réponse de la bourgeoisie ne s’est pas faite attendre et sous la présidence de Pedro Montt, l’armée, sous les ordres du commandant Roberto Silva Renard, a ouvert le feu sur les grévistes. Ceci représente le chapitre le plus noir du mouvement ouvrier de ce territoire. Le nombre de morts varie, bien entendu, car le pouvoir a tenté de dissimuler par tous les moyens le chiffre officiel, mais on évalue qu’ils seraient plus de 3000, femmes, hommes et enfants, et des ouvriers de pays voisins, du Pérou, de Bolivie, qui avaient fermement décidé de rester jusqu’aux dernières conséquences.

Des années après les anarchistes ont commémoré de différentes façons ce triste épisode survenu dans le nord du territoire. Quatre ans plus tard, le 21 décembre 1911, 3 bombes explosent dans le couvent des Pères des Carmélites Aux Pieds Nus, situé dans le quartier d’Independencia, à Santiago, faisant ainsi revivre les exécutions délibérées de la part de l’armée chilienne. La Société de Résistance des Métiers Divers sera liée à cette action.

Dans cette organisation d’ouvriers se trouvaient des anarchistes de Santiago qui participaient à différents groupes d’agitation, de propagande et de diffusion des idées et des pratiques acrates. Il y avait plusieurs organisations liées à la Société de Résistance des Métiers Divers, celles des boulangers, des chauffeurs de tramway, des cordonniers, des charpentiers,  des forgerons, des mécaniciens, des coiffeurs, etc. Au sein de cette organisation se trouvait le compagnon Efraín Plaza Olmedo, charpentier et anarchiste.

La Société de Résistance des Métiers Divers participera au rassemblement illégal du 1° mai 1912, où des milliers de manifestants  parcourront la ville avec des pancartes que l’on peut voir sur des photos de l’époque et qui disent : « Ni dieu ni maître », « À bas le service militaire obligatoire », « L’armée c’est l’école du crime ». C’est à cette occasion qu’Efraín Plaza Olmedo va faire anonymement un discours à la tribune ouverte, dans le quartier de Recoleta.

Deux mois après le rassemblement du 1° mai, plus précisément le 14 juillet 1912, Efraín Plaza Olmedo va tirer sur deux jeunes bourgeois, à l’angle des rues Ahumada et Huérfanos (rues commerçantes et lieu de promenade de la bourgeoisie à cette époque), les tuant sur place. Le compagnon tentera de fuir, mais il sera capturé, et lorsqu’il sera interrogé il déclarera qu’il avait acheté le revolver pour assassiner le président Pedro Montt et quelques chefs militaires responsables de la tuerie de l’école Santa María.

Mais ce ne seront pas les seuls actes de vengeance. Deux ans plus tard, un poignard vengeur se plantera dans le commandant Roberto Silva Renard, plus précisément le 14 décembre 1914, à presque 7 ans de la tuerie de l’école Santa María, aux environs du parc Cousiño (qui s’appelle aujourd’hui le parc O’Higgins, à Santiago). L’anarchiste Antonio Ramón Ramón, d’origine espagnole, était en Argentine lorsqu’il a entendu parler dans la presse des événements sanglants d’Iquique, et il a alors décidé d’entreprendre un voyage dans ces terres, à la recherche de son frère, qui travaillait dans les mines de salpêtre d’Iquique. À son arrivée il apprendra que lui aussi est mort sous les balles.

Ces événements, et la mort de son frère, vont inciter Antonio Ramón Ramón à tenter par ses propres moyens d’assassiner le responsable de ces morts. Ainsi, aux environs du parc Cousiño, le compagnon va se trouver face à face avec le bourreau, et lui administrera 5 coups de poignards, qui malheureusement ne lui donneront pas la mort, mais qui le blesseront gravement, et l’obligeront à se retirer de l’armée et à porter un bandeau sur l’œil jusqu’à sa mort.

Les deux compagnons cités ici iront en prison à la suite de leurs actes de vengeance. Et dans le milieu anarchiste la solidarité ne va pas se faire attendre, en mettant en place différents moyens de soutien, des collectes, des rassemblements, des discussions, des manifestations, des journaux, des campagnes internationales, etc. Mais tout n’était pas rose, il y avait aussi des personnes qui se dissociaient et rejetaient de telles actions, reniant leurs idées et pratiques par peur de la répression.

Le compagnon Efraín Plaza Olmedo réussira à sortir de prison la première semaine de mars 1925 et mourra assassiné d’une balle dans la tête le 27 avril de la même année. On trouvera son corps dans un canal, à côté d’un saule à Conchali (au nord de Santiago).

Le compagnon Antonio Ramón Ramón réussira à sortir de prison en 1922. Son expulsion du territoire étant prononcé, Juan Onofre Chamorro (un anarchiste connu de cette époque) lui donnera 1500 livres pour son voyage vers sa ville natale. Malheureusement il y a des théories qui disent qu’il n’est jamais sorti de prison, comme d’autres qui disent qu’il s’est suicidé, mourant dans l’anonymat.

***

Ce petit résumé a pour objectif de récupérer des événements historiques, de comprendre que la lutte révolutionnaire n’a pas surgi il y a seulement quelques décennies, mais qu’elle est dans cette région depuis longtemps, où l’agitation, la propagande et l’action violente ont émergées à la chaleur des idées et des pratiques anarchistes.

Cela nous éclaire aussi sur les agissements du pouvoir, puisqu’il a utilisé toutes ses forces pour arrêter l’avancée d’idées et de pratiques révolutionnaires, par le sang et le feu, depuis cette époque jusqu’à maintenant. Les appareils de sécurité de l’État /Capital ont protégé les intérêts du pouvoir, sans remettre en question les atrocités qu’ils ont commises au nom de ceux-ci. Cela réaffirme notre prise de position au moment de nous impliquer dans la guerre ouvertement déclarée contre l’État/Capital. Nous ne pouvons pas être indifférents face à un passé de lutte où des compagnons ont dignement assumé les coûts de la mort et de la prison au nom de la liberté et de l’anarchie.

Nous souhaitons récupérer ces moments historiques, faire revivre la mémoire combative de l’action vengeresse de nos compagnons, se souvenir de comment certains anarchistes se sont dissociés de ceux tombés en prison, reniant la confrontation directe avec le pouvoir par peur de la répression. Mais face à ces individus méprisables il y a des compagnons qui font vivre la solidarité de façon désintéressée, sans laisser de doute sur leurs liens et soutenant de façons diverses ceux qui souffrent de l’isolement.

Cet exemple nous fait bien sûr comprendre que depuis le XX° siècle jusqu’à nos jours nous pouvons nous retrouver face à des personnes qui nient les liens qu’ils peuvent avoir et finissent par rendre inoffensive la guerre déclarée contre toute autorité. D’autre part, nous rencontrons aussi des personnes qui n’ont aucune projection dans cette tranchée de la guerre sociale, qui ne prennent pas la mesure des diverses formes de lutte et qui ont fini par être des délateurs de ceux qu’ils avaient appelés compagnons.

Pour finir, comme dans ces années-là, la solidarité indéfectible se laisse voir avec fierté dans l’actualité, car il existe de valeureux compagnons qui, comprenant les risques et assumant les éventuelles conséquences d’une vie de lutte, ont des idées et pratiques claires, et malgré les progrès de l’État/Capital, ils continuent de perpétuer la mémoire, l’action et la solidarité révolutionnaire contre toute forme d’autorité.

Collectif Lucha Revolucionaria

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[Voici un pamphlet d’Efraín Plaza Olmedo, qui signe ici sous le pseudonyme de Juan Levadura]

Trouvez-vous un revolver. Le plus tôt sera le mieux. Achetez-le, empruntez-le, ou bien volez-le. L’idée c’est que vous devez être armé. Vous croyez peut-être que la révolution sociale se fera avec des serpentins comme pour le carnaval ? Vous croyez que les capitalistes vont restituer les terres et les usines, comme ils donnent leurs filles aux millionnaires ? Êtes-vous aussi bête pour croire en une harmonie possible entre patrons et ouvriers ? Vous ne voyez donc pas que chaque jour, partout dans le monde, lorsque les ouvriers exigent une amélioration, des soldats armés de fusils et de baïonnettes apparaissent ? Vous n’avez donc pas vu que lors de la grève des compagnons chauffeurs de tramway il y avait toute une armée pour protéger les traîtres ? Bon. Et si cela se passe lorsque l’on proteste ou que l’on demande des améliorations, ce qui n’est rien au final, que se passera-t-il lorsque nous exigerons le droit à la terre, à la vie, à la liberté ? Réfléchissez bien à ce que je vous dis.

Trouvez-vous un revolver, et entraînez-vous suffisamment. Fabriquez-vous une cible pour tirer. Dessinez-y la tête d’Astorquiza, de Zañartu, de Gonzalo Bulnes ou la vôtre si vous voulez … Tirez et tirez encore. Préparez-vous pour la Révolution qui arrive. Conseillez à vos autres camarades d’en faire de même. Ceux qui vous parlent « d’évolution pacifique » et de « solutions harmonieuses » avec la classe capitaliste, vous trompent misérablement. Vous ne voyez donc pas qu’en Russie les travailleurs durent s’armer pour renverser tous les tyrans ? Vous ne voyez donc pas comment aujourd’hui ils vivent à leur aise, profitant de toute sorte de confort ? Cela fait plus de cent ans que vous devez supporter pacifiquement toutes sortes d’humiliations, et qu’avez-vous obtenu en échange de la part de vos maîtres ? Le misérable taudis dans lequel vous vivez et que vous devez payer à prix d’or, les maladies qui vous tuent prématurément ainsi que vos enfants, les guerres qui sèment la faim et la douleur dans les foyers, et la mitraille que vous recevez lorsque vous exigez un peu de nourriture et un peu de justice pour votre famille et enfants … Tout cela c’est le salaire de vos peines et de vos sacrifices … Soyez-en convaincu une bonne fois pour toute.

Trouvez-vous un revolver. Le plus tôt sera le mieux. Achetez-le, empruntez-le, ou bien volez-le. L’idée c’est que vous devez être armé. Lorsque la classe ouvrière, consciente et armée, exigera son droit à la vie et à la liberté, vous verrez alors comment tombent les trônes et les tyrans. Et tant que vous continuerez de crier comme un idiot dans la rue, quémandant pain et justice, vous verrez comment les balles pleuvent sur votre tête.

C’est tout. Trouvez-vous un revolver, et en conseillant aux autres de se préparer à la Révolution vous verrez renaître une nouvelle aube pour le monde.

Trouvez-vous un revolver !

Juan Levadura, journal El Comunista,

Santiago,1921.

 

Bolivie : il y a trois ans

pajaritos

Cet anonymat n’est pas un refuge, c’est le détachement le plus total

Aujourd’hui, alors que j’écris ces mots, je lis dans un journal qu’à Llallagua ils ont incendié les bureaux du juge pour enfant, du procureur, des bureaux de la police et la maison d’un violeur qui a reconnu ses faits. Je souris. Je m’en réjouis, ils ne vont pas attendre que la police s’en charge, ils détruisent les institutions de l’État, ils les attaquent. Mais le sourire passe … C’est bien, c’est différent la révolte collective. Moins de risques (d’après certains), mais possible à chaque instant (le sourire revient).

 Un essai d’irrévérence

Je hais les textes qui, par des détails littéraires et de la grande philosophie, décrivent les buts des anarchistes afin de les rendre plus sympathiques aux lecteurs. Lorsque j’écris ce texte ça n’est pas avec l’intention de faire plaisir à qui que ce soit, ou de donner une bonne image, pas même de donner des explications, au contraire je cherche à insister de façon antipathique (à partir des attaques explosives et incendiaires à La Paz, Sucre et Cochabamba entre 2011 et 2012) sur le fait que l’attaque anarchiste ne peut pas rester un cas isolé. Cela dépend de chacun de donner à la révolte un potentiel de joie et de haine qui découlent chaotiquement de nos vies, et sentir dans chaque pas d’insoumission la joie débordante de la liberté.

C’est gênant de reparler de l’existence des groupes d’action et des attaques contre des symboles physiques de la domination sur le territoire contrôlé par l’État bolivien, parce que le procès judiciaire est toujours en cours et parce que le mouvement n’a pas encore réussi à se remettre du contrecoup du système. Mais c’est précisément pour cela que c’est d’autant plus important de continuer la réflexion, la prise de position honnête et ferme sur ce qui s’est passé, et c’est là que je veux en venir.

Le 29 on a manqué de feu …

Le 29 mai, après les arrestations, ce qui a le plus manqué c’est le feu. Les communiqués informant que les détenus n’avaient rien à voir avec les attaques n’ont pas eu, et c’était évident qu’ils n’allaient pas l’avoir, la force nécessaire. La force ne pouvait venir que du feu, de plus d’attaques, et cela a été une erreur fatale déterminante, pas seulement pour les détenus, mais pour l’offensive anarchiste même, parce qu’à partir de là la répression a réussi à réduire tout un mouvement grandissant en une succession de tranchées épouvantées. Que s’est-il passé ? Il y a simplement eu une grande confusion et l’envie de s’éviter la détention, et donc il y a eu peu d’agitation, peu de stratégie et peu de sécurité au moment de se réunir entre personnes d’affinité afin de réagir comme il aurait fallu le faire : en brûlant et attaquant tout ce qu’on pouvait. Je le dis comme ça en toute clarté, afin que ceux qui font fasse à la répression sachent que le jour même où ça se passe il faut attaquer, et le suivant, et celui d’après, pour qu’il soit clair que les détenus ne sont pas les responsables, car nous savons que la police se trompe sans aucune honte. Et afin que la flamme allumée par certains ne s’éteigne pas avec l’arrestation d’autres.

Si cela semble une réflexion très basique c’est parce qu’il y a eu des erreurs de ce genre, et c’est important que ça se sache, qu’on parle des choses qui ne sont pas toujours positives, sans besoin de s’auto-flageller pour s’être trompé et sans intention de nier les erreurs.

Après le 29 on ne comptait plus les théories de complot …

On a cherché des explications diverses, et des théories locales de conspiration ont été construites au sujet du processus de répression du 29 mai 2012. Pour moi la réponse est simple : c’était une conséquence évidente. Il y a plusieurs raisons, entre autres la présence d’une personne qui collabore avec l’État et la police. Mais en soi, la défense étatique face aux attaques, une fois qu’ils ont fini de spéculer et qu’ils se sont rendu compte que ça venait des anarchistes, est quelque chose qui devait arriver tôt ou tard. Et il faut le répéter, parce qu’on doit créer nous même les conditions pour affronter les vagues de répression.

La recherche de différentes théories de conspiration qui expliquent le pourquoi des arrestations révèle, à son tour, que les attaques n’avaient pas de sens pour les libertaires, que la prison n’était pas envisageable pour eux (et elle devrait l’être pour n’importe qui qui affronte la domination), et que même aujourd’hui ils évitent de s’opposer à la police et à l’État à cause des détentions. C’est à dire que la violence des arrestations, des perquisitions, de la privation de liberté sans aucune raison, la continuité inquiétante d’un procès qui en n’avançant pas maintient en alerte ceux qui sont impliqués dedans, tout ça n’a pas provoqué plus de rage, plus d’anarchie. La violence de l’enfermement des personnes, dans le but de défendre des distributeurs de monnaie, n’inquiète pas outre mesure, n’enflamme pas la haine, et encore moins les distributeurs. La lobotomie sociale a percé tellement loin que cela semble légitime (pas seulement légal) y compris pour la majorité de ceux qui en subissent les conséquences et qui préfèrent continuer de chercher des explications toujours plus complexes.

Les fantasmes les habitent.

« J’ai souvent entendu parler de celui qui commet un délit comme s’il était non pas l’un des nôtres, mais un étranger et un intrus dans notre monde. »

Les vagues de répression qui se succèdent depuis le Caso Bombas, en passant par les détentions en Grèce, l’arrestation des compagnons de Culmine avec l’opération Ardire, les 5 de Barcelone, l’opération Pandora et Piñata, l’arrestation des compagnons aux Mexique, les prisonniers No tav, le Caso Bombas 2, nous mettent en lien avec différents espaces et moments de solidarité et compagnerisme. Le 29 n’était pas un fait isolé. Ça n’est pas une histoire exceptionnelle. Les prisonniers sont nos compagnons, ils sont parmi nous.

L’infatigable position d’Henry et sa remise en question féroce de la collaboration, délation et trahison a été la seule chose qui a maintenu des liens solidaires avec le reste du paysage anarchiste. La prison, au delà du compagnon, a provoqué un retrait féroce de la faune et la flore anarchiste et libertaire. Tout le processus répressif en Bolivie semblait être « incompréhensible » pour ceux pour qui la répression est logique, légitime et légale. Le 29 n’a pas été un fait isolé. Ce qui a isolé ces terres de la carte de la révolte ce sont des fantasmes. La prison, sur le territoire dominé par la Bolivie, est devenue une présence fantasmatique qui a un vrai rôle de contrôle. Un fantasme qui instille la peur, qui habite les corps et se nourrit de la rage, laissant seulement le trou du repentir, qui s’étend et se déguise, de civisme, d’anarcho-pacifisme, de rebellions citoyennes, de négociations avec la « justice ». Des enfants sages qui mangent leur soupe et font leurs devoirs, mal faits, mais qui les font, qui connaissent les règles et les limites de leur rébellion, et profitent des possibilités alternatives que le marché, alternatif lui aussi, leur offre. Comme c’est difficile de combattre les fantasmes !

Nos vies ont volé en éclat.

 » Au delà d’un certain point il n’y a plus de retour possible. C’est ça le point qu’il faut atteindre. »

Après le 29 mai nos vies ont volé en éclat. Enfermés. Isolés. Exposés, sans personne pour t’ouvrir une porte. Sans pouvoir rentrer à la « maison », fuyant même les « amis ». Nos vies se sont terminées comme nous les avions connues. Ce que nous avons pu faire à partir de là c’est ce qui a creusé les différences profondes jusqu’à aujourd’hui, trois années plus tard, avec des chemins irréconciliables pour certains et avec des tensions plus ou moins fortes pour d’autres.

Le 29 mai nos vies ont été complètement réduites en poussière, et trois ans plus tard qu’est-ce que nous en faisons ? Combien de notre mépris envers le système demeure dans notre cœur et dans nos actions ? Combien, et de quelle manière, ont laissé tombé, se citoyennisant chaque fois un peu plus ? Quelle force on a été capables de sortir de nous-mêmes face à la destruction totale de nos vies ? Et combien d’autres encore ils seront capables de balancer ? Ils défendent toujours la prison ?

Cette secousse a provoqué une reconsidération de ce que sont les zones de confort,  la vie collective, la solitude, la force, les relations et les sentiments, et ça a surtout fait réfléchir sur les positions politiques. Dans mon cas, et dans celui de personnes avec qui j’ai des affinités, la répression, loin de diminuer la détermination anti-autoritaire pour s’attirer la sympathie du pouvoir et de la société (contre laquelle luttait la majorité des détenues), a renforcé la décision de les affronter. Et ainsi cette épuration me semble positive. Le 29 mai a marqué la séparation radicale des manières de considérer la liberté, l’anarchie et la rébellion entre ceux que nous considérions anarchistes. Cela a tracé la frontière entre ceux qui acceptent le système de façon alternative et ceux qui ne l’acceptent sous aucune forme et qui luttent chaque jour pour l’expulser de nos pratiques quotidiennes tout en l’attaquant, en cherchant au moins à déranger, rompre avec la normalité de ce conformisme intello, informé et passif, profondément complice de multiples chaînes d’exploitation.

Le 29 signifiait faire un pas en avant ou se retirer du combat. Et ça a été le point de non-retour à la normalité. Un point qu’on ne peut pas réduire à une date qu’on garde en mémoire, mais à l’expansion de la révolte.

Il faut encore plus de feu, de rébellion et de vandalisme.

La révolte a besoin de tout : journaux et livres, armes et explosifs, réflexions et blasphèmes, venins, poignards et incendies.

La seule question intéressante est : comment les mélanger ?

La tension contre la domination ne peut se passer d’une corrélation entre les idées, actions, formes de vie individuelle et collective, une vie la plus autonome possible et une attaque permanente contre l’autorité de l’État-capitaliste-extractiviste*. Se déplacer rapidement, tout changer. Aimer et détester à l’extrême à chaque endroit, avec chaque compagnon. Planifier avec soin, être prêt à tout, tout le temps. Tout détruire, surtout nos façons de comprendre le monde.

Au delà des erreurs, je suis fier d’avoir fait partie de ces événements. Nos vies ont changé, la séparation s’est faite et personne ne s’est arrêté. C’est toujours possible de transformer la révolte et la violence en une arme efficace contre la monopolisation du pouvoir. C’est à chacun de nous d’écrire les derniers chapitre de cette histoire, ceux qui ont affronté de différentes façons cette répression, ceux qui se sont solidarisé, ceux qui ont observé, ceux qui le veulent mais ne se motivent pas … Nous avons vécu cette répression, nous sommes mieux préparés maintenant. On est tombé et on s’est relevé. Nous avons tendu des liens forts et marqué les différences nécessaires. La terre est fertile. Le pouvoir se prépare, monopolisant chaque espace, reprenant les batailles pour lesquelles nous avons risqué nos vies et qui semblaient être paralysées, comme celle du TIPNIS. L’indignation débordera à nouveau tôt ou tard.

Pour la liberté, le chaos et l’anarchie.

Destruction des prisons !

Depuis un trou, quelque part, dans l’anonymat irrenonciable : à Henry pour son irréductible rébellion, à la meute (compagnons aux hurlements sauvages et enragés qui font tout pour faire vivre l’anarchie à travers le monde), à Xosé Tarrío et Mauricio Morales (nos morts sont avec nous et ne reposent pas en paix, il restent sur le pied de guerre, avec la même fermeté).


Ndt :

* L’extractivisme en Amérique Latine désigne les activités d’exploitation des ressources naturelles à échelle industrielle. Au sujet de la Bolivie on se rappellera les conflits autour de la privatisation de l’eau, mais on peut penser aussi à l’exploitation intensive de toute sortes de minerais, qui ces dernières années a provoqué de violents conflits au Pérou, et les gigantesques exploitations agricoles qui prospèrent en Amérique du Sud. Ces activités d’exploitation intensives diverses ne sont pas sans lien avec le projet de construction d’une route à travers la forêt amazonienne bolivienne, le fameux projet Tipnis.

 Instinto salvaje

Sur le danger de transformer l’anarchisme en un ensemble de pratiques « alternatives » sans contenu offensif contre le pouvoir

The Wizard of Oz 1939Sans aucun doute l’un des grands dangers qui guette l’anarchisme à toutes les époques c’est qu’il puisse devenir un ensemble de pratiques vides de tout contenu offensif contre le pouvoir.
Cette situation est favorisée, d’une part, par l’ennemi même, à travers ses valeurs démocratiques fédératrices comme la « diversité », la « tolérance, le « pluralisme » et aussi l’intégration économique par la marchandisation de la rébellion et la consommation « alternative ».
D’autre part il y a aussi tout un panel d’individus et de groupes « contestataires », y compris certains « anarchistes », qui de façon inconsciente ou délibérée se démarquent de l’antagonisme et du conflit permanent envers le pouvoir, que ce soit en passant sous silence la nécessité de la destruction et de l’attaque directe contre l’autorité ou, dans le pire des cas, en réalisant de grossières campagnes afin de laver l’image de l’anarchisme, se présentant comme de pathétiques défenseurs d’une idéologie étrangère à la confrontation contre le pouvoir.

Pour nous la réappropriation de nos vies est un processus qui implique la construction de notre autonomie par rapport au mode de vie aliéné, soumis et mercantile, que nous offre la société du capital et l’autorité. Mais nous n’abordons jamais ce point de vue depuis une logique de coexistence pacifique avec le pouvoir, mais à partir d’une attitude de confrontation permanente qui inclut aussi la perspective nécessaire de l’attaque directe et de la destruction du pouvoir comme éléments indispensables de tout processus de libération totale.
Et c’est donc précisément cette approche de confrontation, de guerre et d’attaque qui dépasse la légalité,  qui fait en sorte que toute pratique qui vise à « autogérer la vie » sort du cadre de n’importe quelle initiative spécifique, devenant une prise de position offensive impossible à assimiler par le pouvoir.

Sans aucun doute l’alimentation saine et sans exploitation animale, les jardins autogérés, la confection de nos propres habits, la médecine naturelle et la libération des relations entres individus sont des pratiques valables dans la lutte tant qu’on leur donne un sens en tant que pratiques qui propagent le conflit avec l’ordre social dominant. Il est aussi important d’apprécier ces pratiques à leurs justes valeurs, ce qui n’est pas exactement celles d’être des attaques directes contre le pouvoir. C’est pour cela qu’en développant de telles initiatives sous une approche de confrontation anti-autoritaire multiforme, elles finissent par dépasser leurs propres limites, en montrant qu’elles sont un apport de plus dans la lutte plutôt que « la » forme de lutte.

De même, les actions violentes qui ne font pas partie d’une offensive impliquant la récupération intégrale de la vie ont aussi une portée limitée dans leurs perspectives.
Et le fait de valoriser chaque outil dans son apport ponctuel, dans le but de dépasser la lutte dans la pratique même de l’insurrection permanente est aussi important que de ne pas hiérarchiser les moyens utilisés dans la lutte contre le pouvoir.
C’est pour cela que notre offensive fixe un horizon qui va au-delà des moyens utilisés, dotant d’un contenu et d’un sens de rébellion chacune des pratiques que nous développons en vue de l’élimination de tout pouvoir et autorité. Cette guerre contre le pouvoir implique pour nous la tension constante et l’autocritique desquelles émane le besoin de toujours se dépasser, de ne jamais se résigner, de conquérir la rue et le terrain à la police, d’attaquer la répression et l’ordre social avec toujours comme objectif la destruction de toute forme de pouvoir.

Propager l’anarchie n’inclut pas la défaite des valeurs antagoniques à l’ordre dominant, ni de transformer les formes d’autogestion de la vie en un ensemble de pratiques qui fuient la confrontation à l’ordre social. L’anarchie ne peut pas être une alternative à la culture de consommation, un ensemble de pratiques culturelles qui coexistent pacifiquement avec l’ennemi. L’anarchie est une façon d’être en guerre continuellement, et va bien au-delà des pratiques spécifiques qui écrasent toute idéologie parcellisante ou totalisante (animalisme, féminisme, naturisme, etc.).

Combien de notre temps et énergie nous consacrons à nourrir des discours et pratiques dépourvus de contenu offensif ? Combien nous consacrons à des projets ou des initiatives destinés à propager des valeurs, idées et pratiques basées sur la confrontation et l’attaque contre la domination ?

Ainsi, compagnon-ne-s, pas de pratiques d’autonomie sans perspective d’attaque, et pas de pratique d’attaque sans perspective de libération et d’autonomie dans les relations et la vie dans son ensemble. Parce que, comme l’a dit un compagnon, l’anarchie n’est pas, ni ne peut être, un remède ou un analgésique face aux maux de la société; l’anarchie est, et doit être, un poignard trempé dans du poison dirigé contre l’ordre social et contre tout autorité.

Contra toda autoridad

(Septembre 2014 #1)

Les limites de l’organisation clandestine

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Perspectives anarchistes sur la clandestinité, survolant le thème de la lutte armée

Il y a un point sur lequel nous n’aimons que trop débattre et donner nos humble avis, c’est celui de la Clandestinité et comment on la perçoit dans le milieu anarchiste. Précisément parce que, du moins au Mexique, on a eu peu de discussions à ce sujet, et la perceptive qui nous vient de certains compagnons ou cellules d’action [1] en ce qui concerne la clandestinité dans la pratique ou l’organisation, se rapproche presque toujours (ou plus que ça) des guérillas marxistes-léninistes, ou bien d’un discours lutte-armatiste (culte des armes), ce qui lorsqu’on se déclare anarchistes ou libertaires est souvent très ambigu.

Mais bien sûr on oublie aussi que cette confusion provient du fait que la plupart des gens n’aiment pas prendre position. Ils suivent le sens du courant, ils n’aiment pas débattre car ils trouvent cela ennuyeux et inutile, ou parce que nos discussions n’intéressent pas les gens normaux. C’est sans doute plus facile de faire le caméléon, en changeant de couleur selon là où l’on est, que de prendre position. Parce que c’est peut-être aussi plus facile de suivre ce qui est dit et écrit que de prendre des positions nettes et se donner le temps d’analyser, débattre et critiquer. Parce qu’arriver à une conclusion inachevée est généralement dur et “identitaire”, et qu’on préfère toujours éviter le débat et la critique. Est-ce que ça serait parce que ce qui est plus commode et simpliste est toujours mieux accepté et qu’aux yeux de la masse ou d’autres compagnons cela semblerait toujours plus recevable et facile à digérer ? De cette façon nous finissons par reproduire l’image du système capitaliste de vie actuel : l’intégration, la tolérance, le dialogue, l’acceptation, et notre soi-disant théorie révolutionnaire devient une marchandise de plus… Mais la critique est toujours nécessaire ! Et c’est quelque chose dont beaucoup parlent, qui est clamé aux quatre vents, et sur lequel on pleurniche sur les sites de gauche, mais bien évidemment seulement lorsque ce sont eux les critiques, parce que lorsque quelqu’un leur remet les pendules à l’heure ils finissent par nous dire : sociologues de l’anarchisme, psychanalystes, provocateurs ! Donc tous les anarchistes qui dans l’histoire ont développé des luttes et desquels nous avons appris quelque chose, que ce soit de leurs livres, mots ou actes, auraient été des sociologues, psychanalystes ou provocateurs ? Psychanalystes ? Aux yeux de certains c’est possible, mais aux yeux de d’autres ce ne sont que des compagnons qui ont contribué à l’analyse, à la critique et à l’attaque contre les structures du pouvoir, et qui même contribuent et ont contribué précisément à ce qu’une partie de l’anarchisme ne s’arrête pas, prenne son propre chemin et forme son propre caractère.

Pour commencer cette réflexion nous dirons que beaucoup de choses tournent autour de la question de la clandestinité. D’une part on pourrait affirmer que pour les anarchistes elle est parfois involontaire car c’est une conséquence de la lutte, favorisée par des conditions que l’ennemi a réussi à imposer à un moment donné, par exemple de type répressif, ou parce que c’est un besoin inévitable favorisé aussi par certaines conditions imposées par l’État. Mais parfois aussi elle est assumée comme une supposée lutte “réelle” et c’est là que se situe notre désaccord. Voilà donc ce sur quoi nous voulons débattre : lorsque la clandestinité volontaire finit par devenir une pratique qui se rapproche dangereusement de certaines idées de pouvoir, et lorsque d’un autre côté on en arrive à la fétichiser, alimentant la mode de jeunes qu’on nous vend sur le marché de la politique actuelle. “Que parlent les cagoules !” Au lieu des idées ? Nous pensons qu’une cagoule finit par devenir quelque chose d’abstrait et irréel lorsque son seul impact est la médiocrité de l’effet visuel. Une idée bien placée a un impact profond et réel parce qu’elle arrive (et il y a des milliers d’exemples, nous sommes nous-même un exemple) à marquer les esprits des individus et ainsi déranger la réalité immédiate. Mais bien sûr ! Nous oublions que les guérillas marxistes-léninistes utilisent cet effet visuel comme démonstration de force face à un ennemi de classe qui évalue encore plus son pouvoir, et le pire c’est que certains groupes anarchistes ont pour habitude d’imiter ce type de pratiques. En tant qu’anarchistes nous avons toujours (et lorsque nous disons toujours nous faisons aussi allusion à notre histoire) soutenu qu’il y a des choses qui doivent se faire à la lumière du jour et d’autres non. Des choses qui sont publiques et d’autres qui simplement requièrent la plus grande discrétion pour pouvoir les réaliser.

Ainsi en y voyant clair dans ces perspectives nous pensons que l’attaque (armée) n’a pas besoin d’endosser la “clandestinité” et toute sa rhétorique (autant opérative qu’idéologique) en tant que forme de lutte. Parce que notre objectif n’est pas de terminer dans une organisation ou par un acte qui nous conduit vers l’obscurantisme, la spécialisation, l’isolement et l’éloignement des luttes et du champs de la lutte réelle qui est notre vie quotidienne. Et qui à son tour réduit notre individualité comme notre créativité à une attaque armée, des sigles ou un symbole qui évoquent le culte des armes. Ou bien qui réduit toute notre capacité et potentiel individuel d’incision, rupture et destruction de l’existant à une identité qui le plus souvent porte un nom et dont la lutte en vient à se terminer par des actions réalisées uniquement pour défendre le statut créé dans son entourage, ainsi que pour le perpétuer dans le temps. C’est là que commence la mythification, arme des progressistes intelligents au service de l’État/Capital, pour condamner à l’oubli, bien rangées dans l’Histoire, des luttes et des modes d’intervention qui derrière des perspectives claires ont pu devenir une menace réelle pour l’État. Et par menace réelle nous ne faisons pas allusion à un groupe de spécialistes. Ces progressistes ont l’habitude d’écrire des livres ou de faire des documentaires pour qu’ensuite les consommateurs les voient comme “quelque chose” qui s’est passé et qui n’aura plus jamais lieu, se cantonnant encore plus au rôle de spectateurs. Mais malheureusement pour nous ce sont souvent les compagnons eux-mêmes qui y contribuent, et transforment en mythe nos actions et nos façons de nous organiser.

Considérer la logique clandestine comme étant une base, en plus de nous éloigner de la réalité et de la réalité des luttes, nous amène aussi à une position de délégation et nous finissons par tomber une fois de plus dans une sorte de division du travail révolutionnaire ou bien dans la spécialisation. Quelques-uns pour éditer des livres, pour tenir des squats ou des bibliothèques anarchistes, et d’autres pour attaquer l’État spécifiquement avec du feu et des explosifs ! Parce que certains ont des capacités et une force que d’autres n’ont pas ! L’avant-garde commence ! Et en général cela amène à ce que les décisions ne soient pas prises par l’individu à la première personne, mais par l’idéologie ! Ça n’est pas ça l’idée de rupture et de destruction que nous proposons.

Cependant, nous disions quelques lignes plus tôt que lorsqu’on a bien en tête ces deux situations (ce qui dans la pratique est difficile à conjuguer, d’autant plus à cause du niveau de contrôle que l’État a obtenu grâce aux technologies…) nous comprenons que l’utilisation des armes, se cacher le visage, utiliser parfois une manière de faire les choses qui pourrait être définie comme tactique de guérilla, est une arme à double tranchant. Un des tranchants de ce canif réside dans ce qui peut être favorable et utile pour attaquer l’ennemi, bien sûr en gardant en tête que tout cela (les bombes, le feu, les armes, les cagoules, etc) n’est que des instruments utilisés pour mener à bien la lutte, des instruments pour l’attaque, et que nous ne voyons pas de raison de leur vouer un quelconque culte. Parce que nous avons aussi conscience que l’attaque ne se réalise pas uniquement avec les armes à feu, le feu et les explosifs mais aussi avec les armes de la critique, de l’analyse, de la réflexion et plus encore avec notre conflictualité individuelle, notre rupture avec la société et notre intervention réelle. Parce que l’insurrection ne se résume pas par l’attaque armée en elle-même, ça en fait partie. Parce que l’insurrection dont on parle est aussi dans nos vies quotidiennes, l’authentique terrain de la guerre sociale, et ne se terminera qu’une fois la liberté obtenue. L’insurrection est une lutte qui se mène chaque jour et pas seulement lorsque l’on sort la nuit pour réaliser des actions, ou lorsque l’on va à la manif du 2 octobre ou du 1er décembre. On ne peut pas être soumis à une sorte de calendrier révolutionnaire, et on ne peut pas non plus attendre le prochain soulèvement pour contribuer à une insurrection généralisée. Ainsi le second tranchant que nous mentionnions quelques lignes avant, correspond aux moments où l’on ne sait pas bien gérer ces situations (ouvert-fermé) et où cette arme se retourne contre nous et nous finissons par être exactement ce que l’anarchisme rejette. Nous courrons alors le risque de tomber dans des positions d’avant-garde armée, de groupe unique, de militarisation et de spécialisation. Et c’est alors que vient le culte des armes, de la cagoule, de la supériorité des forces, que commence « l’isolement stratégique », les prisonniers politiques. Ce qui en même temps amène à des façons de s’organiser contraires à l’idéal anarchiste et on finit par tomber dans une ambiguïté qui demande ensuite un gros effort pour en sortir.

 Malheureusement une chose nous amène à une autre, et dans cette logique clandestine ou de lutte armée que certains compagnons ont développé, rentre en compte le culte de la charogne ou de la personnalité. À diverses occasions déjà, et même depuis les plate formes, cette critique a été faite contre certaines pratiques de groupes qui se revendiquent informels. Revendiquer (précisément revendiquer) des actions au noms de compagnons qui sont morts au combat (et ça sur certains points on peut le comprendre), ou pire, avec des noms de compagnons qui ne sont même pas morts, qui sont en prison ou en cavale. Comme récemment on a pu voir une cellule d’action de la FAI/Fraction Informelle Australie qui porte le nom de la compagnonne Felicity Ryder [2]. En nous basant seulement sur les mots que nous pouvons lire dans les communiqués nous voyons clairement qu’il y a une sorte de nostalgie ou de regret, ce que certains compagnons pourraient expliquer par des liens d’amitié ou des souvenirs des nôtres. Et donc à ce moment-là on se demande quel est l’objectif ? Culte ou solidarité ? Exaltation de la personne ou solidarité ? Pourquoi certains sont considérés comme exceptionnels et d’autres non ? Et c’est comme ça qu’on voit une nouvelle vague de groupes qui tout en se revendiquant anarchistes gardent une logique d’organisation plus proche des groupes de guérilla traditionnels. Ainsi il y a des commandos de tel nom, ou des fronts armés avec tel autre nom. Une logique et un langage de lutte armée qui ressemblent plus aux guérillas latino-américaines et européennes des années 70, malgré la façon anarchiste de s’organiser (toujours sous la critique et le changement, car informel), d’autant plus lorsqu’ils se disent individualistes ou anti-orga.

Voici jusque là quelques points sur le premier thème sur lequel nous pouvons avoir une base pour réfléchir. Nous disons que c’est le premier en pensant développer plus tard, dans un texte et tout au long de cette publication, quelques perspectives sur la lutte armée depuis l’anarchisme, quelque chose que nous avons évoqué superficiellement ici, en traitant le thème de la clandestinité, parce que précisément dans ce texte nous parlons de la clandestinité comme “voie de lutte”. Aussi, pour contribuer au débat il y a la traduction du texte « Sur l’anonymat et l’attaque », qui de la même façon cherche à prendre part à tout ce que nous avons tenté de définir ici.

Avant de finir nous voudrions dire que malgré la critique nous ne méprisons pas les actions que fait la CCF/FAI ou n’importe quel autre noyau d’action de ce genre. Bien au contraire, nous apprécions n’importe quelle action et geste de solidarité parce que pour nous ça fait partie du projet de destruction de l’État/Capital et aussi du projet anarchiste international. Par contre c’est certain qu’il y a encore beaucoup de choses à débattre et tout au long de ce chemin nous allons le faire. Nous voulons aussi préciser que la mention de noms de compas ne part pas d’une intention d’attaque, nous les avons utilisés juste pour donner des exemples.

La rédaction

Mai 2014


Notes:
1- Nous devons préciser que ce que nous percevons c’est ce que nous pouvons lire dans leurs communiqués sur internet, ou dans les entretiens avec certains d’entre eux publiés dans le livre « Que la nuit s’illumine », compilé par le compagnon Gustavo Rodriguez et édité par l’Internationale Noire.

2- Lorsque nous mentionnons le nom de F. Ryder c’est seulement pour illustrer ce que nous voulons dire, à aucun moment ça n’est une intention d’attaque, que ça soit clair !

Revista Negación

Mode ou rébellion ? Rébellion ou mode ?

brujita

L’arme la plus importante du révolutionnaire, c’est sa détermination, sa conscience, sa décision de passer à l’acte, son individualité. Les armes concrètes sont des instruments, et, en tant que tels, ils doivent constamment être soumis à une évaluation critique. Il faut développer une critique des armes.  […] La lutte armée n’est pas une pratique définie uniquement par l’usage des armes. Elles ne peuvent représenter, par elles mêmes, la dimension révolutionnaire.

Alfredo Bonanno, La joie armée

Les défenseurs de l’ordre existant et de la paix sociale s’obstinent à rejeter les expressions de révolte anarchiste de nos chapelles malgré les temps qui courent, où la conflictualité sociale est sur le point de déborder du fleuve. Les discours faciles, bourreaux de l’insurrection émergent de partout. Ceux qui manquent de perspective et qui n’ont aucune critique propre n’ont d’autre choix que de réduire ce qu’ils ne peuvent contrôler en une simple mode. Il est vrai qu’à certains moments, certaines expressions de révolte peuvent se reproduire entre elles sans aucune perspective, seulement par simple imitation ou encouragées par le raz-le-bol de survivre à ce spectacle mercantile qu’ils appellent vie. Mais même ainsi, certains aspects restent positifs, et ça n’est pas la révolution qu’ils se représentent dans leurs schémas rigides, mais des moments de rupture qui peuvent dévier vers une insurrection consciente d’elle-même, et qui prennent forme dans le processus d’insurrection même.

Les mots manquent aux pacificateurs pour expliquer les raisons de leurs refus, alors qu’à l’inverse quand ils s’agit de verbiage ils ne sont pas en reste. Ce qui ne vient pas de leurs rangs ils ne l’appellent plus provocation, mais mode. Ce qui dépasse leurs discours conformistes, pacificateurs et commodes c’est simplement une mode. Ce qui ne sent pas la Fédération, plate-forme ou alliance c’est simplement une mode. Ce qui critique y compris l’organisation armée traditionnelle et propose à la place de sortir dans la rue pour exprimer de mille et une façons la rage irrépressible, c’est simplement une mode, ou bien ça n’a aucune perspective ou encore “ça ne va pas marcher”, puisqu’on dirait que tout devrait être soumis à la compétitivité militaire. Ceux qui ne se contentent pas “d’attaquer durant la nuit sous le clair de lune” mais au lieu de ça cherchent à avoir une incidence, en partant de leur individualité et en plein jour, sur le marais de la conflictualité sociale émergente, sont simplement à la mode. Ceux qui ne voient pas l’anarchie comme un militantisme rigide ni comme une idéologie politique, mais au contraire y voient la joie de vivre, sont simplement à la mode, parce que leur anarchie a l’air puérile aux yeux de la professionnalisation intellectuelle de certains.

Les pacificateurs du conflit social et individuel, fidèles amis de l’ordre étatique n’ont plus aucune créativité pour débattre sur le but de la lutte anarchiste, des méthodes ou des moyens dont les révolutionnaires se servent pour rendre possibles leurs désirs. Au lieu de cela ils réduisent tous bourgeons de rébellion, quand bien même il seraient discutables, à une mode. Si les jeunes et les vieux conscients d’eux-même sentent que c’est le moment aujourd’hui et qu’ils se lancent tous dans la bataille, pour eux, les faux critiques de l’existant, la raison est que la révolte collective ou individuelle est devenue une mode. Ceux qui se cachent le visage pour protéger leur identité d’une façon minimale face à une possible répression de l’État, mais aussi pour éviter de “personnifier” la révolte, sont donc aussi à la mode. Pour eux même être prisonnier “politique” est à la mode, au lieu d’être une conséquence presque inévitable de la lutte contre le pouvoir. Le besoin d’attaque, d’étendre le conflit social sur un plan plus vaste, de contribuer à une sortie insurrectionnelle est pour eux simplement une mode. Soit, que ce soit une mode, si leur rigidité le désire ainsi, mais une mode qui dans la pratique et dans la théorie a dépassé les limites de la “théorie traditionnelle anarchiste”.

Alors que veulent-ils ? Quelle est cette révolution sociale qu’ils clament tant ?
L’insurrection n’est pas parfaite, c’est un processus douloureux et violent. L’insurrection n’est pas un chemin de roses et n’est pas non plus une expression militaire, mais elle est sociale. Les moments insurrectionnels (petits ou grands, individuels ou collectifs, et qui ont toujours précédé les grandes révolutions) peuvent survenir suite à une série de modestes et constantes interventions et un travail permanent des révolutionnaires sur le terrain, qui en dialogue avec différents “moments clés”, peut dépasser la rage, et qui est ce qu’on appelle la méthode insurrectionnelle. Ou alors l’insurrection peut nous prendre par surprise, mais dans n’importe quel cas elle ne sera jamais “préparée a priori“, mais simplement présente et ne nous garantit rien de certain. Ainsi, il vaut mieux agir que de se contenter de parler.

Ça n’est que pour ceux chez qui on trouve dans les théories une rigidité et une “perfection” de la méthode révolutionnaire, que les bourgeons insurrectionnels et les expressions de révolte individuelle ou collective qui sortent de leurs critères peuvent être réduits à une mode de jeunes, en plus d’être, selon eux, dépourvue de sens et de perspective.

Par les temps qui courent, le conflit social est brûlant et ne peut être soumis aux limitations et contradictions qui en soi sont une partie inséparable de toute organisation armée et guerrière, y compris “noire”. Par conséquent il ne peut pas non plus être soumis à celles d’une organisation de synthèse anarchiste qui cherche simplement à gagner des adeptes et étouffer tout bourgeon d’insurrection. Il y a une longue mèche qui emmène à une poudrière et personne ne peut la contenir. L’insurrection n’a pas de sigles ni de représentations spectaculaires qui arrivent à faire partie du marché des organisations armées, du contre-pouvoir, que ce soit ERPI, EPR ou TDR-EP [1] et plein d’autres encore. Pour les anarchistes, l’insurrection collective est anonyme parce que des individus y participent et pas des masses, tout comme n’y participent pas les organisations représentatives d’aucune sorte qui cherchent à représenter la rage des exploités, exclus et auto-exclus et l’attirer vers ses versants pour ainsi marquer l’histoire. Tomber dans cela c’est simplement dégénérer dans la politique de la représentation et de la réussite, qui sont le produit de la compétitivité du système.

La guerre sociale est en cours et c’est en elle que nous trouvons les gens avec qui nous avons des affinités, les créatures désenchantées du supposé bien-être social. Qui plus que de simples indignés, sont des êtres enragés qui en ont marre de voir la vie passer devant leurs yeux sans une minime intervention de leur part.

Ainsi, pour les pacificateurs de l’insurrection il est important d’injecter à temps l’antidote à la rage, avant que ce virus ne se propage et se transforme en épidémie et en pandémie.

Comme les nouveaux Tigres de Sutullena [2] qu’ils sont, mais hors contexte, ils cherchent à assassiner littéralement et métaphoriquement un certain insurrectionnalisme qu’ils pensent connaître à la perfection. Sans aucun argument basé sur notre propre réalité et expérience ils évoquent les vieux tigres espagnols pour expliquer à leurs “sujets fédérés” les maux de la lutte anarchiste locale qui ne se soumet pas à leurs limitations. La supercherie est leur meilleure arme et une mode anti-mode est simplement ce qui est en train de devenir à la mode.

La guerre sociale est présente, elle émerge des entrailles de la déception et du mécontentement social. Elle émerge aussi de la rage déchaînée d’individus désireux de liberté. Les fameuses conditions sont sur la table. Alors qu’est-ce qu’on attend ? Allons dans la bataille, mais avec les yeux bien ouverts. Déchaînons nos désirs, notre destruction créatrice. Faisons en sorte, depuis notre individualité, que ce conflit se propage, que les limites des pacificateurs soient dépassées, que leur mode anti-mode soit dépassée ainsi que tout discours modéré issu de ceux qui dans le fond n’ont d’autre intérêt que de maintenir l’ordre. Mais dépassons aussi toute revendication. La révolution est ici et maintenant.

Et même si la rébellion n’est qu’une mode pour eux, pour nous elle peut être le début d’une expérience absolue de liberté et on ne se contentera pas de moins que ça.

Quelques compagnonnes et compagnons anarchistes de la région mexicaine.
Novembre 2014

source

 


 

[1] ERPI (Armée Révolutionnaire du Peuple Insurgé), EPR (Armée Populaire Révolutionnaire) ou TDR-EP (Tendance Démocratique Révolutionnaire- Armée du Peuple)

[2] voir ici

Répression et luttes continues au cours des dernières années

tempete__007859300_1011_03022009Fragments d’un parcours répressif

La construction de l’ennemi interne par l’État chilien après son réajustement démocratique a subi plusieurs changements, nuances et réinventions de la part des puissants et des services d’intelligence destinés à freiner ceux qui ont déclaré la guerre à l’État et toute autorité.

La DINA (Direction d’Intelligence Nationale) et la CNI (Centre National d’Intelligence) des années 70 et 80 ont fait la place à La Oficina dans les années 90 qui à son tour a crée l’ANI (Agence Nationale d’Intelligence) au cours des années 2000, tandis qu’en parallèle, et dans une continuité répressive, les organismes DIPOLCAR (service d’intelligence de la police) et BIPE (Intelligence de la Police Scientifique) continuent jusqu’à nos jours d’être imparables dans leurs agissements contre-insurrectionnels .

Depuis les années 2000 jusqu’à maintenant une série d’attaques explosives, incendiaires et des pratiques de violence exercées par des groupes et individus anarchistes commencent à donner forme à la notion « d’ennemi intérieur », en parallèle avec le cas des paysans mapuches qui ont décidé de récupérer leurs terres et leurs vies dans un affrontement ouvert avec l’État chilien.

Déjà en 2006 le pouvoir commençait à percevoir comme une menace la continuité, insistance, intensification et expansion d’attaques explosives qui au fil des années se sont répandues sur le territoire chilien. Ce pour quoi l’administration répressive a commencé en 2008 à désigner des juges spécifiques pour regrouper et traiter les cas de placement d’engins explosifs. En même temps, des actions de lutte dans la rue se déroulent régulièrement et à travers la presse apparaît la figure de l’ « encapuchadx », cible à attaquer et poursuivre. En parallèle se développent et se renforcent une diversité de collectifs, squats et centres sociaux qui diffusent des idées et pratiques anti-autoritaires, et qui au cours des années commenceront à être sous surveillance et harcelés par le pouvoir.

Dans ce contexte (2006-2008) les campagnes médiatiques du pouvoir essaient d’identifier des suspects pour les attaques explosives et leurs connections, jusqu’à ce que survienne la dramatique mort du compagnon Mauricio Morales le 22 mai 2009 alors qu’il transportait une bombe près de l’école de gendarmerie, déchaînant ainsi l’hystérie des flics et juges qui dans leur festoiement donnent un nouveau souffle à l’enquête en connectant les attaques avec les squats et les centres sociaux anti-autoritaires.

En juin 2009 l’enquête dispose d’un mandat d’arrêt contre le compagnon Diego Ríos, pour possession d’explosifs (mais l’arrestation n’aura jamais lieu), et d’un renvoi de condamnation contre Cristian Cancino pour possession de poudre noire au cours de la perquisition postérieure à la mort du compagnon Mauricio Morales, à la suite de quoi il y a un changement de juge dans une tentative désespérée de trouver des responsables.

Fixant un calendrier et déchaînant une nouvelle chasse, cette fois dirigée par le Parquet Sud, en août 2010 il y a des perquisitions et des arrestations massives pour le dit « Caso Bombas ». La manœuvre de la police et des juges commence par la détention de 14 personnes et une compagnonne part en cavale, desquel-le-s 10 restent en prison, et finalement seulement 5 d’entre eux/elles passent en procès, étant acquitté-e-s en 2011. Mais même si le procès n’a pas abouti à des condamnations judiciaires, il a réussi à générer une vague de menaces et un climat de peur dans les milieux anarchistes.

La répression a continué d’engloutir des compagnon-ne-s en prison en 2011. Le compagnon Luciano Pitronello est gravement blessé suite à l’explosion accidentelle d’un engin explosif qu’il installait sur une banque Santander en juin de cette année là. Quelques mois plus tard, en novembre, Hans Niemeyer est arrêté à quelques mètres d’une explosion sur une banque BCI. Puis en avril 2012 les compagnon-ne-s Carla Verdugo et Ivan Silva sont arrêté-e-s lors d’un contrôle policier routinier durant la nuit alors qu’ils transportaient un engin explosif. Chacun d’entre eux/elles, après avoir affronté la prison, ont différentes condamnations en rapport avec la loi de contrôle des armes. Postérieurement, en février 2013, le jour où une attaque contre le commissariat de la Vizcachas a lieu, Victor Montoya est arrêté, et doit faire face à un procès suite à l’annulation de son acquittement. La preuve principale contre Victor ce sont des « témoins sous x » qui soit disant l’ont vu se promener en voiture près du commissariat.

À des kilomètres de distance de là, les compagnon-ne-s Mónica Caballero et Francisco Solar, acquitté-e-s dans le Caso Bombas, sont arrêté-e-s en Espagne en novembre 2013, accusé-e-s d’une série d’attaques explosives contre des églises. Les photos et une bonne partie des infos sur leurs antécédents qui sont dans leur dossier sont fournis par le chef de l’ANI, Gonzalo Yussef, qui a voyagé spécialement jusqu’en Espagne afin de collaborer avec la police dans l’arrestation des compagnon-ne-s.

Dans aucun de ces cas les personnes arrêtées ont accepté les propositions du parquet pour faire des procédures abrégées, et elles n’ont pas non plus été condamnées sous la loi antiterroriste.

En plus de tout ça, en décembre 2013 au cours d’une tentative d’expropriation d’une banque Estado, le compagnon anarchiste Sebastián Oversluij meurt sous les balles d’un misérable gardien de banque. Dans les environs deux de ses compagnons sont arrêtés, qui après 6 mois de prison préventive peuvent sortir en acceptant une procédure abrégée. Et en janvier 2014 la compagnonne Tamara Sol Vergara est arrêtée pour l’attaque armée contre un gardien d’une autre succursale de la Banque Estado.

Il est important de signaler que dans tous ces cas mentionnés les arrestations de compagnon-ne-s portant des engins explosifs au Chili ont été marquées par la chance des policiers et/ou par des accidents au cours de la manipulation de ces engins, et dans aucun cas par les enquêtes ou le travail d’intelligence. Dans une tentative de frapper des milieux de lutte plus larges et divers que la seule pratique des attaques explosives/incendiaires, les organismes répressifs et les persécuteurs du Parquet Sud sont encore blessés dans leur fierté suite à l’acquittement des accusé-e-s du Caso Bombas et l’impossibilité d’obtenir une condamnation sous la loi anti-terroriste, restant sur leur faim de revanche et d’un besoin d’étaler une fausse victoire dans les opérations répressives à venir. Cela ils le savent très bien et dans leur frustration impuissante face à l’apparition de nouvelles attaques ils se replacent, créent de nouvelles brigades spécialisées, recréent le climat propice pour préparer les prochains coups répressifs.

L’ennemi se réorganise …

Cependant, sous-estimer tout ce qui a été dit avant reviendrait à sous-estimer l’ennemi et à ne pas réaliser jusqu’où il peut pointer ses dards actuellement. Si les réussites que les services d’intelligence ont obtenu proviennent de situations fortuites dans lesquelles des compagnon-ne-s ont été emprisonné-e-s, blessé-e-s ou morts en action, l’appareil du pouvoir a tiré des leçons de tout ça, tout comme de ses propres erreurs, et sera cette fois prêt à les appliquer afin de ne pas échouer dans son objectif : punir tous ceux qui font face au pouvoir.

Suite aux dernières attaques (engins incendiaires dans différents endroits de la ville, certains dans le métro) il y a eu des réunions des services d’intelligence avec un calendrier, afin d’obtenir des résultats, réorganiser leurs forces, et mettre en œuvre des politiques répressives qui permettent d’identifier et enfermer les supposés responsables.

Derrière le discours sur la sécurité nationale et la lutte contre la délinquance, le pouvoir essaie de convaincre la population du besoin d’une surveillance renforcée et injecte des moyens pour embaucher de nouveaux agents et de nouvelles technologies. Derrière ce même discours de dangerosité latente et d’insécurité quotidienne le pouvoir cherche à modifier son propre cadre légal en renforçant et en ajoutant de nouveaux éléments à la loi anti-terroriste, qui permettent cette fois de juger les responsables présumés, s’évertuant à classer les actions incendiaires et explosives comme attaques terroristes, afin d’obtenir des peines de prison effectives et exemplaires.

Le pouvoir se tire une balle dans le pied en ce qui concerne son discours sur le respect de la démocratie et des droits de l’homme, en cherchant à utiliser des agents sous couverture pour infiltrer et « désarticuler » les soi-disant groupes anti-système suite aux attaques, comme à l’ancienne mode de la dictature. Nous ne défendons pas la démocratie, nous ne voulons rien d’elle, nous savons que le pouvoir est pervers dans sa façon d’agir contre ceux qui se rebellent, et encore plus envers ceux qui l’affrontent directement, et donc attendre un comportement étique de la part du pouvoir ne sera jamais un choix pour nous.

Aujourd’hui les services de renseignement s’alimentent de nouvelles données, grossissant les dossiers avec lesquels ils articulent leurs hypothèses contre-insurrectionnelles : réseaux, liens, personnes et discours sont signalés. La presse étant de nouveau l’instrument de propagande qui laisse entrevoir des pistes de ce qui se trame en ce moment.

Tout comme en août 2010, ce qu’ils cherchent à frapper et exterminer va au-delà de quelques attaques incendiaires ou explosives. Ils ciblent chaque groupe de lutte qui se positionne en confrontation avec l’ordre existant.

C’est pour ça qu’une autre tactique des services policiers c’est de chercher à isoler les différents milieux de lutte en provoquant par la peur une cassure générationnelle qui porte atteinte à la continuité des expériences de lutte.

On sait que les policiers visibles réalisent des contrôles, interrogatoires sur des compagnon-ne-s plus jeunes, dans le but qu’ils arrêtent d’assister à des activités, ou de créer des liens avec d’autres compagnon-ne-s, preuve du style et des conseils des organismes de renseignement italiens (l’affaire Marini, l’affaire Cervantes). Ils savent qu’en effrayant les compagnons qui se rapprochent des idées anarchistes ou anti-autoritaires ils empêchent la continuité d’idées, pratiques et histoires de lutte pour la liberté, isolant les communautés de lutte actives.

Tout cela doit être considéré comme des manœuvres propres au pouvoir. En tant que guerriers nous devons avoir conscience de comment l’ennemi peut opérer, sans surdimensionner ni normaliser ses agissements. Nous ne devons pas baisser le niveau de notre discours en utilisant des expressions comme « arbitraire, abus de pouvoir », nous devons savoir lire le contexte.

Lorsque la marée monte, tous les bateaux ne s’élèvent pas …

… lorsque la répression guette ou frappe, certain-e-s cèdent et se noient, sont déchiquetés ou perdent le cap, complètement désorientés. C’est pour ça que ça nous semble important de ne pas seulement informer sur ce qui indubitablement a lieu en termes répressifs, mais aussi de nous affirmer pour continuer le chemin de la confrontation, parce que ça a toujours été le principe de la lutte, de ne jamais abandonner.

Les temps du pouvoir ne nous définissent pas, ni ses coups ou condamnations. Nous nous définissons nous-même dans l’univers des décisions de guerre que nous prenons. Nous sommes le poids indéniable de la cohérence entre l’acte et le verbe. Ainsi lorsque le pouvoir accélère le galop répressif, nos mots et convictions anti-autoritaires ne disparaissent pas camouflées. Au contraire, ils s’élèvent en nous guidant sur notre chemin.
Il s’agit donc de ne pas reculer, cédant le terrain à l’ennemi, aux puissants de n’importe quel uniforme ou métier. Il s’agit de ne pas invisibiliser ou normaliser les coups bas qui viennent de la répression, ni de tomber dans l’hystérie qui favorise la désertion et alimente la peur.

Nous assistons actuellement à rien de plus qu’à des pratiques continuelles du Pouvoir, qui sont perpétuées dans la mesure où il trouve des fissures par où s’attaquer aux compromis de guerre, d’abord ceux que l’ont fait envers soi-même et ensuite ceux que l’ont fait envers tous les compagnon-ne-s.

C’est pour ça que ça devient important de renforcer chaque espace/groupe arrachés aux logiques de la domination. Renforcer chaque pratique d’offensive, consolider les liens entre compagnon-ne-s et étendre les réseaux de complicité.

C’est important de s’attendre à l’attaque répressive et de prendre les mesures nécessaires, mais de ne jamais se laisser vaincre en laissant place à la dissociation ou en se taisant. C’est comme ça qu’on reste unis en tant que milieu diffus, en respectant l’autonomie de chacun mais en partageant la force commune contre le pouvoir. Il s’agit de nous renforcer, de devenir plus unis, convaincus et clairs que dans la lutte contre le pouvoir il n’y a pas de temps mort. Ainsi les coups répressifs, menaces ou pièges de toute sorte non seulement n’atteignent pas leur objectif, mais au contraire alimentent nos certitudes contre l’autorité.
Continuer d’exister en étant fermes, convaincus et en contribuant à la révolte par l’acte concret, c’est en soi une victoire qui désactive le mécanisme crée pour nous arrêter.

La tension de la guerre sociale monte, et avec elle nos contributions montent et s’enrichissent aussi. Nous ne demandons ni espérons des « garanties démocratiques » de la part de ceux qui veulent anéantir la présence de ceux qui défient l’ordre imposé. Nous voyons le combat comme faisant partie d’une histoire continue de lutte, où un pas d’offensive ou un recul configurent des scènes futures, et il faut être conscient du rôle que chacun joue.

Ainsi lorsque le face à face arrive avec l’ennemi, nos convictions nous font garder la tête haute, jamais soumis, jamais vaincus.

Sans peur des menaces, perpétuant la pratique de la lutte pour la libération totale.

Courage compagnon-ne-s, ils ne pourront pas nous arrêter …

Contra toda autoridad

 

L’action et la solidarité sont urgentes, le reste n’est que prétexte

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Réflexions sur l’avancée de la répression au Chili. Diffusant la solidarité avec Juan, Nataly et Guillermo.

1. Nous y revoilà. Parce que la guerre continue.

Suite à un cycle d’actions de rue, de manifs et d’expansion des conflits sociaux au Chili, le pouvoir a cherché à créer des mécanismes qui favorisent la continuité et le renforcement du modèle de domination démocratique.

Afin d’éviter que les fissures ne s’étendent dans l’ordre social remis en question, ou deviennent plus profondes, le gouvernement en place a déployé diverses tactiques qui lui permettent d’étouffer progressivement le mécontentement. Ainsi aux mobilisations massives qui ont remis en question le modèle économique et social crée sous la dictature, il a répondu par des propositions de réformes sociales qui récupèrent les slogans des mouvements de protestation pour les inclure dans des solutions modelées par l’État. Face à la critique contre « l’élite politique » il a répondu en « ouvrant »  des sièges parlementaires à des dirigeants sociaux et étudiants. Face à la critique qui dit « la vieille politique à portes fermées » il a organisé des tables de négociation avec des organisations citoyennes pour discuter des demandes et renforcer l’image démocratique et participative de l’État. Ce qui parmi d’autres mesures cherche à augmenter le consensus social, affaiblir la remise en question de l’ordre dominant et assurer un nouveau cycle de gouvernance pour le pays.

Mais en prévenant de futures crises du modèle de domination capitalisto-démocratique, cet « agenda social » de l’État s’est développé en parallèle d’une politique répressive destinée à isoler et punir les secteurs radicalisés qui propagent la non-négociation, l’intransigeance et l’affrontement avec l’ordre existant. D’autres compagnon-ne-s ont déjà esquissé tout ça  depuis quelque temps.

Nous nous voulons approfondir sur un aspect en rapport avec ce dernier point, qui a à voir avec la configuration d’une nouvelle politique contre-insurrectionnelle destinée à l’annihilation de toute remise en question radicale du pouvoir, et qui a aujourd’hui comme priorité politique et expérimentale l’offensive contre le milieu anarchiste le plus combatif, c’est à dire celui qui mise sur l’insurrection et l’offensive multiforme contre toute forme d’autorité. Ce milieu dont nous venons en tant qu’individus qui luttent pour la liberté et en tant que noyau anti-autoritaire d’agitation et de propagande.

Dans ce texte on prend le temps de réfléchir. On ne veut pas répéter des choses déjà dites, mais réaffirmer nos positions de guerre en exprimant notre situation en plein dans un nouveau contexte de répression qui va crescendo. Nous croyons que c’est un moment clé dans la continuité de la lutte contre l’ordre social capitalisto-autoritaire sur notre territoire. C’est pour ça que c’est important de se donner le temps et d’analyser la réalité dans laquelle on vit pour favoriser l’expansion de l’attaque multiforme contre le système de domination et affiner nos positions parmi ceux qui le combattent.

C’est pour ça qu’avant tout, ces idées que nous exprimons ici surgissent à la chaleur de la pratique de l’anarchie et cherchent surtout à réfléchir sur « comment continuer », pour ne pas tomber dans l’immobilisme que cherche à obtenir l’ennemi, ni dans les lectures simplistes qui se laissent dépasser par un contexte en changement et dynamisme permanent.

2. Le pouvoir démocratique au Chili et ses avortons contre-révolutionnaires.

Dans le but d’éviter une crise de l’ordre institutionnel et afin de s’assurer un nouveau cycle pour le modèle de domination démocratique, la politique actuelle contre-insurrectionnelle de l’État chilien a commencé à élaborer des commissions et des sommets de sécurité en prenant comme excuse la nouvelle vague d’attaques incendiaires-explosives qui en 2014 ont été en augmentation en comparaison avec les deux dernières années.

Récupérant l’enseignement répressif des dictatures civico-militaires de la dernière moitié du siècle et sa continuité sous des régimes démocratiques, l’État chilien se sert de sa propre expérience, avec ses réussites et ses erreurs, dans la désarticulation de la subversion marxiste d’abord, et ses tentatives d’anéantir l’insurrection autonome anti-autoritaire plus récemment. En associant des méthodes anciennes avec des nouvelles, le pouvoir est en train d’engendrer une nouvelle politique contre-insurrectionnelle qui a recours à différentes tactiques déjà connues, et qui aujourd’hui sont configurées dans un modèle applicable aux nécessités actuelles du pouvoir.

En ce qui concerne la répression sélective envers des groupes belligérants spécifiques dans le présent et envers ceux qui peuvent apparaître à l’avenir, l’État chilien est en train de reconfigurer et de renforcer ses appareils d’intelligence, en cherchant à donner plus de pouvoir à ses policiers et en incorporant la figure de l’agent sous-couverture pour infiltrer des groupes antagoniques au système, en donnant la priorité à ce qu’ils appellent « l’anarchisme insurrectionnel ». Par là ils cherchent à obtenir des informations sur les milieux de lutte, cherchant des preuves pour mettre des compagnon-ne-s en taule. Ils cherchent aussi à encourager le développement d’opérations armées incitées par des agents sous couverture et « menées » par la police qui jette des compagnon-ne-s dans les griffes de la répression. Avec ça ils cherchent aussi à susciter la méfiance entre compagnon-ne-s, l’isolement entre groupes et l’affaiblissement moral et matériel des forces hostiles au pouvoir.

À côté de ça l’appareil répressif dans sa dimension juridique se renforce, pour appliquer toujours plus d’années de prison à ceux qui sont arrêtés au cours d’actions de violence antagonique, renforçant la loi de contrôle des armes et blindant la législation anti-terroriste au maximum, en misant sur le fait que dans le futur n’importe quel agissement qui mette en danger la stabilité de l’ordre social puisse être écrasé par la machinerie légale du pouvoir.

Tout cela a été modelé au cours des derniers mois avec un déploiement médiatique qui cherche à dégager le terrain pour les agissements des forces répressives, suscitant la panique collective face à la figure crée du « terroriste », provoquant le consensus afin que la répression progresse sans remise en question de la part de la population. Par le bombardement médiatique d’images et de gros titres de presse sur le « danger terroriste », le pouvoir tente de vider de son contenu politique et révolutionnaire n’importe quelle revendication qui accompagne l’action violente contre l’ordre établi.

Cette manœuvre déjà connue mais favorisée par l’actualité ne place plus les médias de masse comme de simples outils pour les plans du pouvoir mais comme une nouvelle armée d’occupation destinée à pénétrer dans les esprits et les comportement des masses.

3. Au sujet d’une action qui a provoqué des débats pour affiner nos objectifs.

Comme on le sait, le 8 septembre dernier un extincteur avec de la poudre noire a explosé dans les couloirs d’une galerie commerciale d’une station de métro dans la commune de Las Condes. Cela a provoqué une grande confusion parce que 14 personnes ont été blessées, ce qui a facilement été récupéré par le pouvoir pour alimenter l’hystérie « anti-terroriste » et insérer à travers le choc l’idée que le terrorisme « est  au coin de la rue ».

En ce qui concerne l’action, d’autres compagnon-ne-s se sont déjà exprimé à ce sujet, surtout dans le laps de temps où l’attaque est restée dans l’anonymat et que le pouvoir profitait bien des conséquences de ce fait. Mais ensuite l’action a été revendiquée par un groupe anarchiste qui a déclaré avoir averti la police quelques minutes avant car ils n’avaient pas d’intérêt à blesser des passants, dégageant un peu les doutes qu’il y avait.

Sur cette action et sa revendication, nous partageons son objectif de frapper les puissants et de ne pas blesser les passants, mais nous posons clairement que ce genre de lieu n’est pas un repaire de puissants, et que la sécurité prise au préalable n’était pas suffisante.

Débattre sur le premier point, sur le lieu choisi, est en rapport avec le débat sur les objectifs de notre lutte : qui est notre ennemi et comment le frapper, comment nous envisageons l’offensive dans l’espace-temps, quels outils nous utilisons, quand et où, etc. Ça concerne le milieu anarchiste, anti-autoritaire et anti-capitaliste-autonome en général, car le débat et la réflexion sur nos pratiques multiformes est un outil indispensable pour parfaire nos positions de lutte, remplir nos vides discursifs et dépasser les faiblesses que chacun d’entre nous peut avoir.

Mais d’un autre côté il y a aussi un cadre qui fait partie de la lutte multiforme mais qui se trouve plutôt en rapport avec l’aspect opératif des actions menées par les groupes d’action directe : comment se déplacer dans la ville au cours d’une action, comment ne pas laisser de traces, des mesures de sécurité opérative, etc. À ce sujet nous insistons pour dire que cela regarde ceux qui réalisent ces actions ou désirent participer à leur développement, et pas ceux qui critiquent par des discussions de bistrot en pointant du doigts les « erreurs » d’autres mais sans risquer ni une portion minime de leurs vies dans la lutte multiforme contre le pouvoir.

4. La solidarité avec les compagnon-ne-s en prison est une action urgente. Le reste n’est que prétexte.

Tandis que tu lis ça trois compagnon-ne-s sont aujourd’hui emprisonné-e-s, accusé-e-s d’avoir participé à plusieurs attaques explosives.

Tout l’appareil juridique, policier et journalistique au service du pouvoir s’est rué sur les vies de Juan, Nataly et Guillermo, arrêté-e-s le 18 septembre au cours d’une nouvelle opération répressive télévisée. Ils n’ont pas encore émis de communiqués publics mais ils ont fait preuve de défiance face à la police et à la presse. Pour l’instant on se contente de ça. Peut-être que plus tard, lorsque leurs positions seront connues, on se sentira plus, ou moins, en affinité avec eux, mais aujourd’hui la solidarité avec les trois compagnon-ne-s est urgente et n’accepte aucun faux prétexte.

« J’ai du mal à être solidaire avec eux parce que je ne me retrouve pas dans l’action dont on les accuse », pourraient dire certains, partant de l’erreur de considérer les compagnon-e-s « coupables ». « Il faut d’abord attendre leurs communiqués publics pour être solidaires », pourraient proposer d’autres, comme si l’image de Juan criant « à bas l’état policier » ne nous suffisait pas, tout comme celle des deux compagnon-ne-s sortant la tête haute du commissariat pour être formalisé-e-s sous les charges de terrorisme.

Notre solidarité envers Juan, Nataly et Guillermo est une solidarité envers des compagnon-ne-s, et pas de simples individus, dont les vies ont été mises en prison en conséquence d’un coup du pouvoir afin de désarticuler tout type d’opposition à l’ordre de domination.

De plus, dans un contexte dans lequel l’ennemi cherche à se renforcer, la solidarité envers les compagnon-ne-s en prison doit être assumée comme faisant partie de notre responsabilité individuelle et collective en tant que protagonistes d’une lutte continue et multiforme qui refuse de se taire face aux offensives du pouvoir.

Et c’est l’action offensive et solidaire, et pas les critiques dans son petit confort, qui nous permettra de surmonter des moments adverses et de favoriser la continuité de la lutte anti-autoritaire sur ce territoire.

5. Une fois de plus, nous surmontons les obstacles en affrontant le pouvoir par des actions multiformes. Nous sommes ceux qui ne se rendront pas.

Un milieu de lutte où le débat et la réflexion sont rares ou superficiels, où prime le copinage et l’auto satisfaction, où les bonnes intentions et les discours radicaux ne se transforment pas en pratiques concrètes, est un milieu de lutte destiné à être facilement détruit dans ses convictions et perspectives d’action.

Nous disons cela parce que nous croyons qu’aujourd’hui il est urgent de dialoguer et réfléchir entre compagnon-ne-s pour que la pratique anarchiste soit encadrée dans un processus dont les horizons de confrontation permanente fassent avancer la lutte en construisant des relations d’affinité réelle qui dépassent le copinage, où les compagnon-ne-s sentent l’urgence de l’action et donnent à leurs projets des perspectives qui cherchent la continuité du conflit malgré les coup répressifs.

Nous nous n’allons pas prendre peur et nous continuerons notre pratique de propagande, en diffusant des réflexions qui émanent de l’offensive anti-autoritaire. Nous continuerons d’intervenir dans les rues grises avec notre propagande, éditant nos publications intermittentes, provoquant des ponts de communication avec des compagnon-ne-s d’autres territoires à travers des traductions et des informations d’événements importants pour le débat fraternel et l’agitation solidaire avec les compagnon-ne-s prisonnièr-e-s. Nous ne retiendrons pas, ni d’un millimètre, la propagation de la confrontation contre le pouvoir dans la lutte pour la liberté, dans laquelle toutes les formes d’action, depuis la propagande jusqu’aux actions armées, sont une contribution si la destruction totale de la domination est posée.

Il est essentiel de prouver par nos agissements que la lutte continue, que rien n’a changé ici, que la lutte contre l’autorité n’est pas terminée tant que nous restons actifs et forts.

On peut rester dans le combat tant qu’on veut se battre, ceci étant particulièrement important aujourd’hui, comme à chaque moment la réflexion renforce les conviction, valeurs et idées menées à la pratique.

Aujourd’hui le moment nous exige une action offensive urgente matérialisée par l’agitation de rue, par l’accentuation de conflits qui remettent en question l’ordre social, par la propagande, le débat et la diffusion large de l’idée de la destruction du pouvoir, toujours en cherchant à répandre et renforcer des convictions, favoriser des liens d’affinité et des engagements de lutte, sentant le besoin de créer des groupes et s’organiser entre personnes en affinité pour modifier la réalité à partir d’une prise de position offensive de libération totale.

En somme, notre force individuelle et collective dans les temps à venir résidera dans la sortie pratique que nous donnons à un processus réflexif et autocritique nécessaire qui nous amène à acquérir ou à renforcer ces éléments, capacités, connaissances et expériences qui permettent de tenir une confrontation continuelle, une offensive permanente qui se nourrit des bonnes ou mauvaises réponses et qui ne s’affaiblit pas face à la répression, afin que notre offensive, et les compagnon-ne-s qui décident de lancer leurs vie dans la lutte multiforme contre le pouvoir, ne recommencent pas de zéro une fois de plus.

Ainsi, chaque jour notre vie en guerre est une énergie incandescente qui obstrue le flux de la domination.

Parce que la destruction de l’ordre existant dépend de nous.
L’action et la solidarité ne peuvent pas attendre.

Sin Banderas Ni Fronteras, noyau anti-autoritaire d’agitation et de propagande.
Chili, Octobre 2014.

Contrainfo

La neutralisation de la dissidence, du refus à la demande d’améliorations

sweetNous vivons une époque difficile, c’est clair. À première vue on ne voit aucune lutte qui puisse nous convaincre et même si nous ressentons le mal-être et le mécontentement social dans toutes les sphères du quotidien, nous voyons aussi le panel de thérapies que le système nous propose pour supporter ce qui devient insupportable : l’aliénation du contrôle sur nos vies et la solitude à laquelle nous lie l’individualisme exaspéré. Cela nous affecte, provoque de la souffrance, nous détruit.

Face à ça certain-e-s d’entre nous tombent dans l’activisme, dans le « faire quelque chose » même si c’est dans une optique d’auto-satisfaction face au sentiment d’impossibilité d’un changement réellement structurel. Le besoin de transformer une réalité qui nous étouffe nous amène trop souvent au « geste pour le geste », tombant souvent dans la sectorisation des luttes et dans la perte d’un discours radical, c’est-à-dire un discours qui agisse véritablement sur la racine du conflit et pas sur la diversité de ses manifestations.

La majorité des luttes sociales (ou vitales) commencent par un refus de la réalité, c’est-à-dire, le refus d’une réalité établie. Face à ça l’administration, l’État ou l’institution démocratique du système font l’impossible pour pouvoir diriger cette négation vers une proposition positive dans le but de comprendre le mal-être (et son origine) et ainsi de phagocyter la proposition critique, se rendant plus pervers et aimable; rendre chaque fois plus supportable la vie niée, sans que son hégémonie ne soient altérée. C’est-à-dire, sans que sa figure de père-protecteur ne soit remise en question.

Les faits prouvent cette mutabilité de l’État-démocratique et le phagocytage des luttes qui d’entrée affrontent son Pouvoir, et nous en avons une multitude d’exemple au cours du XXe et XXIe siècle. Tel est le cas des luttes anti-autoritaires débutées par Laing, Cooper ou Basaglia contre l’institution psychiatrique et contre la psychiatrie en général, et qui ont permis à ces institutions de se réformer jusqu’au point de rendre chaque fois plus invisibles ses perversions ainsi que l’adoption d’un discours anti-autoritaire jusqu’à le rendre inoffensif. On pourrait dire la même chose de Foucault avec le reste des institutions totales, ou encore de l’idée que l’école fasse du réformisme pédagogique et aille même à proposer la déscolarisation; tous ces cas ne devraient pas nous laisser indifférents. Tout cela parce que le discours est compréhensible par l’institution, est rationnel, et devient donc assimilable.

 À notre époque il se passe quelque chose d’identique. Des luttes naissent du refus de la réalité mais s’étiolent dès qu’elles cherchent à élaborer un discours compréhensible, dès qu’elles essaient de rationaliser une impulsion vitale (et habituellement irrationnelle, émotionnelle) comme l’est l’insoumission et la rébellion face à une injustice quelconque. Nous pensons que dans l’élaboration d’un discours ou dans l’articulation d’une émotion qui nous amène à dire « ça suffit » nous perdons de la puissance dû au fait que le monde que nous voulons transformer ne peut pas être transformé à partir de mots qui recréent ce même monde. Je ne dis pas par là que nous devons inventer un nouveau vocabulaire, rien de tel. Je veux juste dire qu’il faut redonner un sens aux mots et utiliser ceux que nous voulons utiliser et pas ceux que les médias ou autres nous font utiliser en leur faveur. Tout ça peut sembler abstrait mais ramenons-le à un cas concret : la lutte contre l’EES ( espace européen de l’enseignement supérieur) ou Processus de Bologne.

À l’origine le mouvement étudiant s’est déclenché face à l’imposition d’un nouveau plan d’études qui faisait un pas de plus dans le processus de libéralisation de l’Éducation Supérieure. Mais même si nous partagions un « NON » frontal face à ce processus, dès le premier jour de blocage dans le Rectorat Supérieur de la UB (NdT : Université de Barcelone) le discours a pris la forme d’une demande à l’administration, favorisée par la criminalisation de la part des médias de désinformation qui exigeaient que nous fassions une proposition pour ne pas être destructifs mais constructifs. C’est de cette manière qu’est arrivée la proposition : une demande de dialogue. Bien sûr face à ça l’institution voyait ses attentes satisfaites et nous demandait ce que nous voulions pour pouvoir faire une étude de nos réclamations. De cette façon nous avons commencé un dialogue impossible car nous savions (ou pressentions) que la situation d’asymétrie dans le conflit dans lequel on était impliqué permettait uniquement, d’un côté,  l’exercice du pouvoir, et de notre côté, de l’accepter. Face à ça on ne pouvait pas parler de dialogue mais de bavardage, et même ainsi on continuait de demander un dialogue en exigeant que ce soit un débat ouvert auquel participeraient tous les agents impliqués dans le futur de l’Université. La pantomime d’une Table Nationale pour l’Éducation, avec le spectacle de Blanca Palmada (alors Mandatée pour les Universités et la Recherche de la Generalitat [Ndt : le gouvernement catalan]), en plus d’un référendum frauduleux, ont contribué au bouillon de culture idéal pour légitimer une intervention des forces répressives une fois que les mesures moins explicites de la démocratie étaient épuisées.

La même chose peut se passer avec les squats et l’assimilation que l’État-ville fait d’eux. Dernièrement nous avons pu voir un article du Département de la Jeunesse de la Generalitat qui met en valeur le travail qu’on fait certains centres sociaux dans la revitalisation du tissu associatif de quartier, créant des réseaux et démocratisant la façade de la ville. Jusqu’à quel point le discours citoyenniste ne s’est pas vu perméabiliser par ceux qui (autant le voisinage que les athénées à leur origines ou l’associationnisme) lui ont apporté ?

Et un dernier point. Nous pensons qu’il est nécessaire de faire au moins une mise en garde au sujet des mouvements altermondialistes. Bien entendu l’hétérotopie qu’offrent ces mouvements nous aide à nous nourrir et nous renforcer dans la conviction qu’il y a d’autres façons de se mettre en rapport et de « faire » au delà du capitalisme, mais, et c’est là qu’est la mise en garde, nous n’avons qu’un monde, il n’y a pas d’autre monde possible, et celui-ci est celui que nous avons et c’est urgent, nécessaire, indispensable, de le changer. Je reviens au début, et je m’en remets à Bonanno lorsqu’il déclare, en parlant des prisons, que le fait de changer une institution, la transformer ou même l’abolir fait que le système cherche de nouvelles institutions pour remplir la fonction sociale attribuée à l’institution antérieure, et l’hégémonie du système étant ainsi de nouveau restituée (et parfois après la crise).

Pas besoin d’être une flèche pour se rendre compte que le discours altermondialiste est l’un de ceux assimilés le plus facilement par le système vu qu’il ne met pas l’accent sur la destruction du système dominant, et c’est pourquoi il sert le système, actuellement douloureux, pour devenir chaque fois plus attirant et obtenir ainsi que, petit à petit, nous nous rapprochions, si on ne fait rien, au bonheur que Huxley fait rechuter dans son monde heureux. À coup de Soma, de traitements thérapeutiques ou de notre petite (ou grande) contribution à l’élaboration de cellules isolées de vie, en fin de compte des petits ( ou grands) bastions thérapeutiques qui ne règlent pas le problème mais qui nous permettent de vivre avec. De cette façon on ne se rend pas compte de la facilité que c’est de tomber dans le piège de l’auto-satisfaction, dans le piège de chercher des actions palliatives qui nous aident à vivre avec notre aliénation, l’aliénation du contrôle total de nos vies.

Mars 2010

Terra Cremada

 

Autocritique sur le mouvement de libération animale

autocritica

Extraits de la brochure Autocritica al movimiento de liberación animal publiée pour la Première Rencontre pour la Libération Animale en Uruguay en 2010.

Les animaux de compagnie

On dit que le véganisme n’est pas seulement un régime et que c’est par conséquent synonyme d’activisme. De nombreux activistes végans consacrent leur temps et argent aux animaux domestiques. C’est à dire : faire des campagnes de conscientisation auprès des propriétaires (pour bien traiter son animal domestique, ne pas l’abandonner, etc), des campagnes de vaccination, de stérilisation et des campagnes d’adoption.
Face à l’immédiateté et la souffrance d’un être abandonné ils font appel à la charité et à des campagnes légalistes mais ne critiquent jamais la possession même d’animaux.

D’après la publication du groupe allium  » Possession d’animaux domestiques : domination à visage humain « , avoir un animal est un problème en soi et ceci à cause de deux facteurs : la soif de domination et l’auto complaisance égoïste et irrationnelle. Le premier facteur a à voir avec une projection de la domination où le contrôle d’autres êtres (enfants, femmes, animaux) fonctionne comme une « soupape de sécurité » pour la frustration générée par la hiérarchisation que le système social dominateur impose aux humains, établissant et maintenant ainsi de longues et complexe spirales de domination. L’auto-complaisance est l’autre raison pour laquelle les êtres humains ont des animaux domestiques. Cela veut dire que les animaux sont des « coussins » sur lesquelles se repose la conscience pour essayer de compenser les carences affectives. Et l’hédonisme humain est tel qu’il donne la priorité au plaisir individuel sans tenir compte de la liberté des autres ni des problèmes qui dérivent du fait d’avoir des animaux domestiques.

Les principaux problèmes liés à la possession d’animaux domestiques sont :

-la production capitaliste, le business autour des élevages est en plein essor. Vente et soin d’animaux domestiques  amènent avec eux une floraison de magasins d’animaux, cliniques vétérinaires, entreprises qui produisent et commercialisent la nourriture et le matériel pour les animaux de compagnie, etc … Ces entreprises se chargent de maintenir la demande d’animaux domestiques au travers de tactiques publicitaires de tout type, y compris la création de campagnes protectionnistes.

– la surpopulation : le nombre d’animaux domestiques est à chaque fois plus grand, ce qui entraîne une série de problèmes qui vont s’aggraver  à mesure que le nombre de ces animaux augmentera. Certains de ces problèmes sont : saleté, bruits, accidents, attaques, abandons, animaux domestiques devenus sauvages et destructions d’équilibres écologiques, etc …

– la consommation de produits d’origine animale : de nombreux animaux domestiques ont des régimes alimentaires carnivores ou omnivores, est ils ont besoin de s’alimenter avec des produits animaux issus d’élevages, développant ainsi la domination que ceux-ci supposent actuellement sur les autres animaux, sur la Planète et même sur les êtres humains.

– l’insensibilisation envers le reste des autres animaux : posséder un animal domestique détourne l’attention sur une poignée d’espèces domestiquées considérées plus proches ou « humanisées » (anthropomorphisme), générant l’indifférence, tranquillisant les consciences et occultant même la réalité de la domination dont souffrent d’autres animaux domestiqués ou sauvages (vivisection, élevage, etc) des mains d’une bonne partie des êtres humains.

– le développement de la vivisection : les animaux domestiques ont besoin de soins qui sont la raison d’être des vétérinaires, qui basent une bonne partie de leurs méthodes sur l’expérimentation sur les animaux.

– la déshumanisation des relations entre êtres humains : l’un des objectifs de la possession d’animaux domestiques est de « satisfaire » les besoins affectifs des personnes, se substituant aux humains dans ce rôle dans de nombreux cas. Ainsi les problèmes d’isolement, égocentrisme, manque de communication et les nombreux déséquilibres psychologiques en rapport avec cela se voient favorisés, entre autres raisons, par cette zoophilie qui cache les symptômes de ces problèmes en empêchant qu’ils se solutionnent. Pendant ce temps ces problèmes grandissent et déséquilibrent les relations humaines et sociales.

Action directe et pop-corn

 » … pour ne pas nous laisser éblouir par le spectacle et les victoires (médiocres selon nous) de groupes qui ne font que se soucier de sauver quelques animaux et non d’en finir avec la domestication de la vie. »
Tout comme la gauche avec le « Che », le mouvement pour la libération animale a son icône sur des tee-shirt. Bien que celui-ci soit anonyme et pas (encore) aussi connu, il le surpasse en bizarrerie étant donné que sa silhouette est identique à celle d’un autre « sauveur ». Je parle de l’image de l’ange libérateur : une personne cagoulée avec des ailes qui serre dans ses bras un animal qu’il vient de libérer, de la même manière que Jésus tient un agneau dans ses bras.

Cet extrait du texte « la fausse opposition de la libération animale » non seulement critique l’esprit de charité des activistes (sauver un chien d’un laboratoire n’est pas très différent qu’adopter un chien abandonné) mais aussi la mise en scène des actions directes et le fait de ne pas attaquer le système de domination dans son ensemble mais exclusivement les institutions qui dominent les animaux non humains. Il  y a des groupes et des campagnes pour la « libération animale » hors du cadre légal, et même certains qui se disent anarchistes, qui ne sortent pas de la morale chrétienne mise en évidence par des formes altruistes et caritatives, leur  donnant l’image de sauveurs des animaux, en dévoilant ainsi leur spécisme (vu que pour que quelqu’un sauve une autre personne, ce dernier a automatiquement un rôle d’infériorité) et devenant de façon égocentrique martyres de leur lutte comme le montre la multitude d’entretiens et/ou hommages rendus à leurs héros. Il est évident qu’il y a une grande spectacularité autour de ces luttes, sinon comment expliquer les multiples photos des sauveurs cagoulés avec leurs animaux libérés dans les bras (un fétichisme du trophée bien sûr), et les nombreuses vidéos diffusées sans aucun contenu explicitement informatif. Tout cela se limite à nous montrer quelques cagoulés ouvrant des cages avec une jolie bande sonore en fond. Nous croyons qu’ils serait plus illustratif d’expliquer les précautions et les aspects pratiques à prendre en compte pour mener à bien l’action. Le niveau de sensationnalisme est abyssal : animaux maltraités, torturés, humiliés, assassinés, violés, vendus, et tout ça pour sensibiliser les gens lambdas et profiter de leur compassion avec des phrases comme « pauvres animaux ! » Où est passé le reste du discours ? Nous considérons qu’il s’est perdu en chemin. La totalité du discours a été réduite en une partie infime.

Ce qui est vrai c’est que la lutte pour la « libération animale » obtient de nombreuses victoires, ce qui est important est positif. Mais attention, parce qu’elle peut devenir une arme à double tranchant. D’un côté cela peut stimuler d’autres personnes à rejoindre cette lutte, mais d’un autre cela peut amener les activistes à se contenter de cela, qui satisfaits des réussites n’envisagent pas d’autres formes et encore moins de nouveaux contenus, ni d’approfondir ce qui existe.

Le sabotage et la destruction des industries animales peuvent être dirigés contre la transformation des animaux en produits. Cependant, dans certains cas, lorsque ces actions sont menées avec l’objectif de libérer des animaux, elles restent confinées dans une perspective qui ne se soucie que des autres animaux. Par exemple, de nombreux communiqués d’attaques sur des labos de vivisection se focalisent uniquement sur l’oppression des autres animaux, parfois dans des termes moraux, et ignorent les aspects d’exploitation des laboratoires de recherche des universités ou des compagnies pharmaceutiques. Au lieu de détruire les frontières qui nous empêchent de comprendre la domination sociale, des actions comme celles-ci érigent des perspectives limitées qui ne prennent pas en compte les causes subjacentes qui font des animaux des produits. Ainsi, le potentiel de ces actions est fragilisé par la focalisation sur un seul thème au lieu d’être un acte de solidarité lié à d’autres luttes sociales. Cependant, il y a des personnes qui libèrent des animaux en sabotant des  opérations d’exploitation animale sans signer leurs actions comme appartenant au mouvement de libération animale. Cela ne devrait pas être ignoré, parce qu’ils ne les considèrent pas comme importantes pour un aspect de la domination en particulier, mais simplement comme des attaques à l’une de ses diverses formes. Si nous voyons l’exploitation et la domination partout, nous ne devons pas nous limiter, nous devons les attaquer partout où nous les trouvons.